Intervention de Jean-Louis Beffa

Réunion du 19 mars 2015 à 11h00
Mission d'information commune sur la banque publique d'investissement, bpifrance

Jean-Louis Beffa, président d'honneur de Saint-Gobain, membre de la commission de surveillance de la CDC :

Il faut des experts techniques et industriels. Pour un dossier de financement dans le secteur de l'automobile pour lequel vingt-cinq emplois étaient en jeu, le chef d'entreprise avait un bon projet, mais il lui manquait 900 000 euros de capital. Le personnel était prêt à en fournir 100 000. Je lui ai suggéré de solliciter quatre de ses clients, qui pourraient apporter chacun 100 000 à 150 000 euros. Dans pareil cas, la BPI peut jouer un rôle utile, à condition que le chef d'entreprise ne soit pas seul, et qu'il apporte au moins l'engagement d'un client.

L'industrie n'est une priorité ni pour la BPI ni pour le Trésor. Or, si l'on peut fonder une entreprise de services avec très peu de capitaux propres – les Français ne s'en privent pas –, des capitaux sont nécessaires pour former un projet industriel. Dans ce domaine, la BPI ne s'engage pas de manière significative.

Il serait facile de sauver certaines entreprises en difficulté, qui doivent rester dans des mains françaises. La Compagnie générale de géophysique, que son management a trop endettée, traverse une crise conjoncturelle. La BPI lui apporterait un confort précieux en la dotant de fonds propres. Elle pourrait aussi aider les groupes Technip ou Vallourec à faire évoluer leur structure. On éviterait ainsi que la France ne les perde à l'occasion d'une OPA.

Le Fonds stratégique d'investissement (FSI) avait procédé à de bons investissements, que la BPI n'a pas renouvelés de manière significative, sans doute par manque de fonds. L'Agence des participations de l'État (APE) possède désormais l'argent que l'État peut vendre sans changer sa stratégie vis-à-vis des sociétés concernées. Le problème est que cet argent ne sert pas à restructurer des capitaux, comme l'ont fait, pour Peugeot, l'État et la famille, associés à un investisseur chinois. J'aurais souhaité, par exemple, que le FSI, joint à un partenaire japonais et aux membres de la famille Bouygues aide le groupe General Electric à former une structure.

Je le répète : les moyens manquent et ils ne se placent pas où il faudrait. Il est dommage de valoriser les actifs de l'APE sans en consacrer une partie à doter la BPI, ce qui aiderait les grands groupes qui peuvent se redresser à restructurer leur capital. Il faut vendre des actions de l'APE et les transférer vers un fonds de la BPI, conçu sur le modèle du FSI.

Le recours par Bpifrance à d'une activité de fonds de fonds, que j'ignorais, car elle n'a pas été évoquée au comité, est une démission intellectuelle, comme peut l'être, pour une société, le fait de racheter ses actions. On fait des fonds de fonds – activité financière et passive – quand on n'est pas assez fort pour investir. À quoi bon avoir créé la BPI pour arriver à ce résultat ? Mieux vaut développer des prises de participation directes. Il est probable qu'une banque ordinaire, comme la BNP, n'aurait pas investi dans Peugeot.

Le fond de fonds est une activité financière, qui ne correspond pas à ce qu'on attend de la BPI. Aux termes de la loi du 31 décembre 2012, elle a pour objectif de soutenir les stratégies de développement des filières. Il est essentiel de financer celles qui exportent, en sachant que, dans le monde industriel, certains métiers affrontent la concurrence mondiale, alors que d'autres ne se mesurent qu'aux acteurs nationaux.

C'est en fonction de ce critère que j'ai orienté l'activité de Saint-Gobain pour me prémunir de la concurrence chinoise. Les points forts du CAC 40 sont les entreprises multirégionales, que la France détient à hauteur de 12 %. On constate en effet un décalage entre la difficulté d'exporter, qui est manifeste, et la force du CAC 40.

Sous le Président Jacques Chirac, j'avais créé l'Agence de l'innovation industrielle, qu'a supprimée le Président Nicolas Sarkozy. Elle aidait les grands groupes à mener des projets ambitieux, tournés vers l'exportation, n'en déplaise à ceux qui dénonçaient un « interventionnisme d'État ». L'instance a fusionné avec le FSI qui, sous l'égide de la BPI, poursuit deux activités. L'activité financière m'inspire plus de réserves que l'activité stratégique, celle de la branche innovation, dont le directeur, M. Fournier, est un homme de grande valeur.

M. Macron a bien fait de réduire le nombre des plans de reconquête de trente-quatre à dix. Le Commissariat général à l'investissement est une bonne instance, mais ses procédures, lourdes et complexes, s'accordent mal au financement de plans industriels ambitieux.

Je ne suis pas hostile au principe des pôles de compétitivité, mais beaucoup d'entre eux ne produisent rien de concret. On découvre, après des années, que leur activité ne justifie pas les financements qu'ils ont reçus. Mieux vaudrait les structurer autour d'un projet.

À mes yeux, le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) n'est rien de plus qu'une infirmerie.

Enfin, il est difficile de parler de cohérence quand les acteurs sont aussi nombreux. À chaque étape interviennent deux entités : le Trésor, qui, compte tenu de son libéralisme financier, ne considère pas la politique industrielle comme une priorité, et le Budget, qui veille à ce qu'on n'octroie pas de crédits à tout instant. Cette dualité allonge les délais et entraîne des complications considérables.

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