Intervention de Jérôme Léonnet

Réunion du 2 avril 2015 à 11h00
Commission d'enquête sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Jérôme Léonnet, inspecteur général des services actifs, directeur central adjoint chargé du renseignement, chef du service central du renseignement territorial :

Le service central du renseignement territorial (SCRT) est récent. Il a été créé en mai 2014, pour prendre le relais de la sous-direction de l'information générale (SDIG) créée en 2008, elle-même héritière de la direction centrale des renseignements généraux (DCRG).

La réforme de 2008 a donc supprimé la DCRG et renforcé la direction de la surveillance du territoire (DST). Schématiquement, la lutte contre le terrorisme et le préterrorisme a été confiée à la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), et le domaine classique des renseignements généraux, dont relèvent les événements qui vous intéressent, à la SDIG, en sous-capacité par rapport à la situation antérieure. Alors que la DCRG employait, en 2008, 3 200 fonctionnaires, la SDIG, créée cette année-là, en comptait 1 400.

Notre mandat est défini par le décret du 12 août 2013 : « Dans le cadre de sa mission de renseignement, la direction centrale de la sécurité publique est chargée, sur l'ensemble du territoire national à l'exception de Paris et des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, de la recherche, de la centralisation et de l'analyse des renseignements destinés à informer le Gouvernement et les représentants de l'État dans les collectivités territoriales de la République dans les domaines institutionnel, économique et social ainsi que dans tous les domaines susceptibles d'intéresser l'ordre public, notamment les phénomènes de violence. »

Aux termes de ce décret, je ne suis compétent ni sur Paris ni sur les trois départements de la petite couronne, qui relèvent de la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP). Celle-ci a conservé la compétence en matière de prévention et de lutte contre le terrorisme. Une seconde singularité veut que le SCRT soit hébergé par la direction centrale de la sécurité publique (DCSP).

Si cette situation a suscité des commentaires et créé de l'amertume, elle me semble intéressante tant pour le renseignement territorial (RT) que pour la sécurité publique. On a longtemps reproché aux renseignements généraux de faire cavalier seul, et de parler à l'oreille du préfet et du Gouvernement, sans délivrer toutes les informations dont ils disposaient à l'autorité préfectorale, sur le plan local, ou aux autres directions actives en matière d'ordre public. Aujourd'hui, la question ne se pose plus. En tant que directeur central adjoint chargé du renseignement, je passe mes journées, comme tous les chefs des services départementaux de renseignement territorial (SDRT), à informer en premier lieu l'autorité chargée de la sécurité publique, qu'il s'agisse de l'autorité de police – c'est-à-dire du directeur départemental de la sécurité publique ou, à Paris, du directeur central de la sécurité publique –, ou de la gendarmerie nationale, quand elle exerce sur ces domaines de compétence.

Le renseignement territorial a une compétence globale sur le renseignement du territoire et du département. Les mouvements sociaux sont de son ressort, ainsi que tout ce qui relève de l'ordre public, y compris les phénomènes de violence. La responsabilité qui nous incombe est lourde. Elle nous impose un travail d'anticipation, de suivi, d'analyse, de compte rendu sur l'ensemble des mouvements sociaux, qu'ils soient classiques ou atypiques, comme le sont ceux qui ne sont pas prévus, et qui ne font l'objet d'aucune déclaration. Nous informons le gestionnaire de la sécurité publique des risques ou de l'absence de risque.

Notre travail commence par une anticipation et débouche sur une analyse. Notre présence sur le terrain, à des fins de sécurité publique, nous amène à collecter des références. Au fil des années ou des mois, nous savons où en est tel mouvement, quelles sont ses perspectives et l'état d'esprit de ceux qui le composent. Ancien chef d'état-major aux renseignements généraux parisiens, j'ai acquis la conviction que le renseignement que nous apportons aux gestionnaires de la sécurité publique est une garantie essentielle de la liberté de s'exprimer et de manifester sur la voie publique.

Notre déontologie nous conduit à apporter une information aussi précise que possible, souvent de nature apaisante. Certains mouvements ne méritent pas la mise en place d'un dispositif important, alors que d'autres, dont les représentants pensent qu'ils vont donner lieu à une manifestation traditionnelle, peuvent dégénérer, sous l'influence d'éléments non attendus. Notre mission est d'établir une gamme d'alertes.

Pour accumuler des références sur la manière dont se déroulent les initiatives sur la voie publique, le renseignement territorial est ouvert à tout contact. Quand un mouvement se crée, nous allons au-devant des organisateurs, pour discuter avec eux, afin de prendre leur pouls. Quand ils refusent le contact, nous cherchons des informations par d'autres sources. C'est ainsi que nous évaluons les mouvements qui peuvent un jour ou l'autre aboutir à un trouble à l'ordre public, voire à des violences.

In fine, notre travail se concrétise par des notes, tant dans les départements qu'à l'échelon central. Le renseignement territorial est également présent, en temps réel, sur la voie publique, tandis que le service central se concentre sur l'analyse et la synthèse. Sur un effectif total de 2 200 personnes, 2 000 sont sur le terrain, observent les mouvements sur la voie publique, en rendent compte et informent le gestionnaire de l'ordre public. Sitôt la manifestation terminée, nous établissons un compte rendu, une analyse ainsi qu'une prospective.

Le travail sur la voie publique ne va pas de soi. Le renseignement territorial s'efforce d'observer, mais il lui arrive aussi d'être pris à partie. C'est ce qui est arrivé à deux personnes de notre effectif, à Lyon, alors qu'elles étaient en marge d'un cortège. Cela fait partie des risques du métier. Notre effectif, quoiqu'il n'appartienne pas au dispositif d'ordre et de sécurité, est composé de policiers et de gendarmes.

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