Intervention de Jean-Louis Bianco

Réunion du 11 mars 2015 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Jean-Louis Bianco, représentant spécial du ministre des affaires étrangères et du développement international, pour les relations avec l'Algérie :

Je vous remercie de l'invitation que vous m'avez faite, madame la présidente ; elle me donne l'occasion de retrouver des visages amis. M. Laurent Fabius m'a confié le soin de reprendre, avec un accent un peu différent, la mission engagée avec une grande efficacité par M. Jean-Pierre Raffarin. En ma qualité de représentant spécial du ministre des affaires étrangères, je dois bien sûr essayer d'aider à régler des conflits et des difficultés, qui sont très nombreux, mais aussi, les relations bilatérales étant entrées dans une phase nouvelle, contribuer plus que par le passé à l'aboutissement de projets de développement structurants.

Les propos tenus par les responsables algériens sur l'état de la relation franco-algérienne actuelle sont toujours très positifs et optimistes. En nous recevant, Laurent Fabius, Emmanuel Macron et moi-même, en novembre dernier, le président Bouteflika nous a dit que jamais, ou pas depuis très longtemps, les relations politiques entre les deux pays n'ont été aussi bonnes ; cela m'a été répété par le Premier ministre le week-end dernier. Et, au-delà des mots, on constate en effet les signes d'une évolution positive.

Il existe une mécanique de coopération franco-algérienne. Elle trouve sa traduction dans les réunions, au niveau des ministres, du Comité mixte économique franco-algérien (Comefa) et, au niveau des premiers ministres, dans celles du Comité inter-gouvernemental de haut niveau (CIHN). Ces deux instances se réunissent tous les semestres. La réunion plus récente du CIHN s'est tenue à Paris le 4 décembre 2014. Celle du Comefa a eu lieu, en partie à Oran et en partie à Alger, le 10 novembre ; un point d'étape a été prévu le 12 mai, date à laquelle M. Laurent Fabius et M. Emmanuel Macron se rendront en Algérie. Une nouvelle réunion des deux instances aura lieu au deuxième semestre 2015.

Certains responsables dont Abdeslam Bouchouareb, ministre de l'industrie et des mines, mon principal interlocuteur, et le Premier ministre, ont fait, avant même la baisse du prix du baril, la même analyse : la dépendance de l'économie algérienne aux recettes issues de la vente d'hydrocarbures et son corollaire, la faible diversification de l'économie et la destruction de filières entières – une proportion considérable des importations pourraient être produites localement – ne sont pas tenables sur le plan politique. Ils ont pris la mesure du défi : répondre aux attentes de la jeunesse algérienne, qui veut du travail, le plus vite .

La Chine a certes pris la première place en Algérie, mais dans ce pays comme ailleurs sur le continent africain, son image s'est dégradée. On reproche aux Chinois une arrogance croissante mais aussi, dans le secteur des travaux publics, la très fréquente médiocrité de leurs prestations.

Les contentieux en suspens sont dus à la complexité insigne de la bureaucratie algérienne et à la difficulté d'identifier les pouvoirs de décision. La situation se caractérise par des retards, de la mauvaise volonté, des délais de paiement, des procédures de dédouanement complexes, parfois la peur de prendre des décisions.

Les entrepreneurs du secteur privé algérien commencent à se faire entendre : le forum des chefs d'entreprise a un certain poids, et la Chambre de commerce et d'industrie algéro-française est présidée par un industriel remarquable. Des entrepreneurs algériens voudraient investir en France, en accord avec des entreprises françaises, mais cet élan est freiné par la bureaucratie et par la loi du partenariat national majoritaire. La règle du 5149 pose problème aux établissements français d'enseignement, qui éprouvent les mêmes difficultés de transfert de fonds, par exemple pour assurer les frais de fonctionnement du siège.

Je vous donnerai quelques exemples des contentieux irrésolus à ce jour. Le premier concerne, depuis des années, Aigle Azur, compagnie aérienne dirigée par un Franco-algérien. Air France est également en litige. Ces contentieux concernent les billets émis par ces compagnies et non utilisés. Ils sont comptabilisés en recettes, que ces transporteurs aériens souhaitent, en vain, pouvoir transférer en France. Le contentieux porte aussi sur des taxes d'aéroport. Aigle Azur réclame, très probablement à juste titre, 33 millions d'euros, Air France 14 millions d'euros. Le contentieux s'éternise en raison d'un dialogue de sourds : jusqu'à une date récente, on réclamait aux deux compagnies aériennes qu'elles présentent les souches des billets - inexistantes depuis l'informatisation des titres de transport. Il a finalement été admis que les commissaires aux comptes pourraient valider et certifier ces billets émis et non utilisés. Depuis novembre 2014, nous avons obtenu que la question soit réglée pour la moitié des billets d'Air France, et l'autre moitié va suivre. Pour Aigle Azur les choses sont un peu plus compliquées, mais des progrès se font sentir.

De même, les transferts de recettes des armateurs, la CFA-CGM en particulier, sont bloqués, alors que de 35 à 40 % des importations et des exportations de l'Algérie se font par leur entremise. Outre cela, un interminable contentieux oppose la CFA-CGM à l'administration algérienne, qui les empêche de vendre ou de louer le bâtiment qu'ils ont fait construire pour y établir leurs bureaux, au motif qu'ils ont pour métier le fret et non l'immobilier. Je citerai encore le très compliqué contentieux opposant Technip à la Sonatrach à propos de l'état réel d'une raffinerie algéroise à moderniser ; on vient, semble-t-il, d'obtenir un processus d'arbitrage.

Cela dit, j'ai constaté, lors de mon dernier voyage, un changement significatif, y compris pour des dossiers qui paraissaient bloqués il y a quelques semaines encore. On sent une bonne volonté nouvelle, y compris de la part de la Banque d'Algérie, souvent présentée par les ministres algériens eux-mêmes comme un puissant facteur de blocage : j'ai rencontré son gouverneur et, désormais, la Banque d'Algérie accepte de discuter avec nos entreprises. Même si le discours reste quelque peu rigide, les choses évoluent.

En matière de co-développement, les joint-ventures sont préférées aux prises de participation d'entreprises étrangères. Plusieurs projets très intéressants sont à l'étude ; je n'ai aucun doute sur la volonté de les mener à bien mais, comme dans d'autres domaines, on se heurte à mille difficultés. Il y a d'abord – et c'était l'occasion de notre déplacement avec les deux ministres le 10 novembre dernier – une nouvelle usine Renault située à côté d'Oran, qui fabrique les versions haut de gamme de la Symbol destinées au marché algérien et, à terme, à d'autres marchés africains. L'usine, remarquable, a été construite rapidement et, à la satisfaction de tous, elle emploie beaucoup de jeunes et de femmes. Renault voudrait aller plus loin, mais on butte sur le fait que l'on attend depuis des mois la publication « imminente » du décret simplifiant le crédit à la consommation. De même, le gouvernement s'était engagé à ce que les administrations achètent de ces véhicules ; cela commence à venir.

Peugeot a exposé aux autorités algériennes un très gros projet de même nature, consistant aussi à construire une usine et à monter en puissance pour exporter en joint-venture. Ce projet, qui intéresse beaucoup les Algériens, en est à ses débuts.

À la suite des visites en Algérie de M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la forêt, des projets très ambitieux ont été évoqués, qui concernent en particulier la filière bovine, celle du lait et celle des semences ; les déclarations et les accords signés tardent à se concrétiser mais je pense que les choses vont avancer. La société Bel est très présente en Algérie, où le succès de La Vache qui rit ne se dément pas ; elle a un très important projet de nouvel investissement qui sera décidé formellement dans les prochains mois et réalisé dans les toutes prochaines années.

En Algérie, pays qui est le premier marché de l'Aspegic, Sanofi a des projets pharmaceutiques importants, mais aussi des contentieux compliqués qui l'ont conduit jusqu'à la Cour suprême. Il semblerait que Sanofi va gagner et que ces contentieux vont être réglés.

Une série de projets concernent le ferroviaire et les transports, domaines dans lesquels la compétence de nos entreprises est reconnue. Lors de la visite des ministres, le 12 mai prochain, devraient être inaugurés une usine Alstom et un cluster ferroviaire.

Les projets relatifs à la gestion de l'eau et au traitement des déchets, notamment par l'entremise de Suez Environnement qui est déjà très présent, ne manquent pas. Des intentions ont été exprimées en matière d'énergie, singulièrement électrique, mais de manière encore trop peu explicite pour que nous sachions exactement ce que les Algériens souhaitent.

Pour la filière numérique, la situation de l'Algérie rappelle celle de la France au moment du Plan Calcul. Les autorités songent à équiper les universités de très gros ordinateurs à la réalisation desquels participeraient Bull et Inria, puis de créer des partenariats entre universités et entreprises. Mais c'est de l'aide à la création de start ups que demandent les chefs d'entreprises algériens, conscients du potentiel de créativité et d'innovation de la jeunesse algérienne.

Je ne conclurai pas sans évoquer aussi un projet, très intéressant sur le plan politique, de mobilité des jeunes actifs supposant la réciprocité entre l'envoi des volontaires internationaux en entreprise (VIE) français en Algérie et, pour un délai maximum de deux ans, de professionnels algériens en France. Cette idée se heurte à un problème complexe de visa, dont j'espère que nous parviendrons à le débloquer assez rapidement.

Je souligne pour finir que la demande d'enseignement du français est considérable de la part de tous nos interlocuteurs, particulièrement les chefs d'entreprise ; tous, ministres compris, sont conscients que des erreurs ont été commises dans le passé. Ils demandent que nous ouvrions de nouveaux établissements. Les chefs d'entreprise demandent en particulier l'ouverture d'un deuxième lycée français à Alger, mais nous nous heurtons aux difficultés bureaucratiques que je vous ai dites pour transférer les fonds dont nous avons besoin. La demande est d'autant plus impressionnante qu'elle émane de tous les milieux, y compris de personnes qui ne sont pas forcément les plus francophiles.

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