Une part de l'affaiblissement de notre démocratie politique provient de la diminution de l'influence de la démocratie sociale ; on a trop tendance à opposer l'une à l'autre alors qu'il n'y a qu'une démocratie, alimentée par les champs politique et social.
Les institutions sociales et politiques d'un pays résultent de son histoire et diffèrent donc de celles existant à l'étranger, ce qui ne signifie pas que l'on ne puisse pas étudier les autres expériences, non pour importer des modèles, mais pour s'inspirer de principes. Il convient de ne pas oublier une période singulière de notre histoire politique, celle de la seconde guerre mondiale, au cours de laquelle fut créé le Conseil national de la résistance (CNR). Des forces démocratiques – politiques, syndicales avec la CGT et la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), et associatives – se sont réunies, dans ce contexte très lourd, pour élaborer un plan composé d'une partie visant à libérer le pays et d'une autre portant une vision de la société de demain. Les organisations patronales n'avaient pas été incluses dans le CNR, car elles étaient considérées comme collaborationnistes. Si on oublie cet épisode, on ne peut pas comprendre la nature singulière des rapports qui se sont instaurés après la guerre entre les syndicats de salariés et les employeurs.
La loi du 20 août 2008 va dans la bonne direction, même si elle aurait pu fixer le seuil de validité de l'accord collectif à 50 % et non à 30 % ; il est heureux que les syndicats qui négocient pour l'ensemble des salariés – y compris les non-syndiqués – aient obtenu une part importante du vote des travailleurs. Mais la représentativité de la partie patronale continue de poser question ; or si l'on veut que la négociation se développe, il faut que l'ensemble des partenaires s'appuient sur une légitimité minimale. Les millions de salariés des petites entreprises ne sont pas représentés, alors que le Préambule de la Constitution prévoit que les salariés participent à la gestion des entreprises par le biais de leurs délégués. Ils seront peut-être représentés par région, mais ils ne pourront probablement pas pénétrer dans les entreprises. Dans le cadre actuel, la représentativité des organisations patronales se mesurera à partir du nombre d'adhérents auto-déclarés : je n'ai jamais imaginé proposer cela pour les salariés ! Que n'aurait-on dit si je l'avais fait ?
Au nom de la modernisation, un débat a émergé sur l'opportunité de négocier à un échelon de plus en plus bas, et l'individualisation du rapport salarial s'est développée depuis quelques années. Il ne s'agit pas de nier la diversité des rapports sociaux, des entreprises et des activités économiques, mais l'individualisation porte préjudice au sens collectif dans sa dimension sociale et donc républicaine. Comment mieux articuler la variété des situations et le respect d'un cadre collectif qui assure des droits comparables aux salariés ?
Je milite pour la diminution du nombre de conventions collectives ; on en signe dorénavant une pour chaque nouveau métier, sans que cela réponde à une demande des organisations syndicales. En revanche, les employeurs préfèrent signer ces textes pour maintenir leurs positions en matière de représentation. Avec la prolifération des conventions collectives, les organisations de salariés rencontrent plus de difficultés pour s'assurer de l'effectivité du droit du travail. Ne pensez-vous pas qu'il conviendrait de regrouper les conventions par grands corps ? Cela permettrait au droit du travail de mieux s'appliquer et cela nous prémunirait contre le risque de judiciarisation systématique du rapport social.