Il n'est pas dans mes intentions de résumer les sept premières séances de notre groupe de travail. La richesse de vos interventions et de celles de nos invités me contraint au schématisme.
Avant d'énumérer les principaux thèmes que nous avons abordés, je ferai trois remarques générales. La première concerne la notion de « crise ». Nous sommes partis de l'idée que notre système politique est en crise : crise de confiance, crise de participation, écart croissant entre les élus et les citoyens et peut-être, au-delà, entre les élites et les classes populaires. Cependant, Virginie Tournay nous en a avertis : « Étymologiquement, le mot “crise” correspond à un moment-clé, à un moment charnière paroxystique qui appelle un dénouement, une sortie de crise, une décision. Mais aujourd'hui, la crise ne désigne plus un moment : elle renvoie, de manière presque oxymorique, à un état permanent dont il n'est pas possible de sortir ; elle n'est pas perçue comme liée au tournant d'une décision, mais comme intervenant dans un univers où règne l'indécidable. »
Nous ne sommes pas, plusieurs l'ont dit, dans une crise constitutionnelle issue d'une crise politique, comme en 1958, mais au coeur d'une formidable mutation civilisationnelle qui remet tout en cause, non pas brutalement, mais sur la longue durée. Bernard Accoyer en a résumé les principales composantes : « la construction européenne, avec ses effets positifs mais aussi ses contraintes, parfois fort mal vécues par nos compatriotes ; la fin du modèle communiste d'État et, en contrepoint, une économie de marché devenue hégémonique ; la mondialisation et les bouleversements géopolitiques ; la place qu'occupent désormais les puissances émergentes, véritables puissances-continents ; les fabuleux progrès techniques et technologiques, face auxquels nous sommes restés plutôt passifs, qu'il s'agisse des transports et, surtout, des nouvelles technologies de l'information et de la communication ou de la génomique et des biomédicaments. S'y sont ajoutées d'importantes migrations, qui se distinguent notablement des vagues précédentes en ce qu'elles proviennent des pays du Sud, dont la culture et la religion diffèrent des nôtres. » À ces points j'ajouterai les dégâts humains de la désindustrialisation, le chômage de masse, la sortie de la religion pour la majorité des Français, la montée en puissance de l'individualisme encouragé par le néo-libéralisme et le défi écologique planétaire. Nos parents ou grands-parents – selon nos âges respectifs – ne s'y retrouvent plus, non plus que la France du général de Gaulle, qui avait approuvé massivement la Constitution de la Ve République.
S'il y a crise de tel ou tel élément de notre système politique, n'oublions pas qu'elle s'inscrit dans un processus bien plus vaste de transformation qui dépasse le cadre purement politique ou institutionnel.
Ma deuxième remarque porte sur le mot « démocratie ». L'expression « démocratie représentative », a observé Michaël Foessel, est un oxymore. « C'est une loi fondamentale de la démocratie », écrit Montesquieu, « que le peuple seul fasse des lois ». Et l'auteur de L'Esprit des lois d'ajouter que les magistrats dont la cité a besoin sont désignés par tirage au sort. « Le suffrage par le sort », précise-t-il, « est de la nature de la démocratie ; le suffrage par choix est celui de l'aristocratie. Le sort est une façon d'élire qui n'afflige personne ; il laisse à chaque citoyen une espérance raisonnable de servir la patrie. » Rousseau, dans le Contrat social, reprend les idées de Montesquieu sur ce point.
On comprend, dès lors, que le système n'est pas reproductible dans une patrie moderne. Du reste, on peut se demander si, même à Athènes, l'idéal de la démocratie a jamais existé : « À prendre le terme dans la rigueur de l'acception, il n'a jamais existé de véritable démocratie, et il n'en existera jamais », écrivait Rousseau, également auteur de la phrase célèbre : « S'il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes. »
C'est pendant la Révolution que Sieyès et Barnave ont parlé de « gouvernement représentatif ». « Dans la démocratie », écrit Sieyès, « les citoyens font eux-mêmes les lois, et nomment directement leurs officiers publics. Dans notre plan, les citoyens font, plus ou moins immédiatement, le choix de leurs députés à l'Assemblée législative ; la législation cesse donc d'être démocratique, et devient représentative. »
Aujourd'hui nous n'opposons plus système représentatif et démocratie, notamment parce que la représentation se fonde sur le suffrage universel ; mais il y a loin, le rappel ne me paraît pas sans intérêt, entre la démocratie représentative et la démocratie tout court. Au fond, tenter de démocratiser le système représentatif, c'est se rapprocher de la démocratie directe. Celle-ci est impossible, mais la direction est claire : la participation accrue des citoyens à la décision politique.
Ma troisième remarque concerne l'histoire. Claude Bartolone a voulu qu'un historien co-préside ce groupe de travail. Je l'en remercie, mais je me réjouis surtout que ses convictions le conduisent à regarder la connaissance du passé comme un éclairage pour l'esprit de réforme et, plus généralement, l'esprit politique. J'ai été frappé d'entendre l'un de nos invités, M. Sawicki, nous dire que l'histoire « risque de devenir un argument pour ne rien changer », laissant ainsi entendre que l'histoire est immobile et qu'elle suggère la reproduction du même. Il n'en est rien. C'est par l'histoire que nous pouvons comprendre le contemporain, Jean-Emmanuel Ray et Bernard Thibault l'ont rappelé ce matin avec force. Reconstruire des institutions à partir d'une page blanche, comme le voulaient certains Constituants de 1789, est un leurre ou une utopie. Que nous le voulions ou non, nous sommes tributaires du passé, y compris si nous voulons faire du neuf : pour du passé table rase, encore faut-il le connaître.
Cela dit, je regrouperai nos débats et nos auditions en quatre grands chapitres. Le premier a trait au problème de la représentation. Ceux qui en ont parlé ont été unanimes à dénoncer les inégalités observables, sur ce plan, dans toutes les assemblées, qu'il s'agisse de la surreprésentation des diplômés du supérieur, des fonctionnaires et des catégories dirigeantes au détriment des populaires, des inégalités entre jeunes et personnes âgées ou entre hommes et femmes. Sans aller jusqu'à préconiser des assemblées-miroirs reflétant scrupuleusement la société, on ne peut que constater que les écarts sont plus profonds que jamais. Comment y remédier ?
D'autre part, si la participation est le mot-clé de la démocratie, nous avons abondamment discuté des moyens de la promouvoir, à travers les associations, les conférences de citoyens, la démocratie participative – sur laquelle le scepticisme me semble avoir dominé –, l'extension du référendum, le parrainage populaire des candidats, le vote obligatoire, le vote électronique – auquel on s'est montré réticent –, le rôle des partis politiques, le mode de scrutin – lequel n'était pas encore à l'ordre du jour –, le cumul des mandats dans la durée et son corollaire, le statut des élus. Nous avons également évoqué, à plusieurs reprises, les nouvelles fonctions du Sénat, appelé par plusieurs orateurs à favoriser une meilleure représentation et une meilleure participation des citoyens.
Troisième chapitre : le fonctionnement des institutions. En ce domaine, la surpuissance du Président de la République, encore renforcée par le quinquennat, a été au centre des critiques. Je dirai, pour résumer, que le débat est ouvert entre les partisans d'un régime présidentiel sans Premier ministre et les partisans d'un régime parlementaire qui, sans supprimer l'élection du Président au suffrage universel, rétablirait l'équilibre entre l'exécutif et le législatif. Plusieurs questions corrélatives ont été soulevées sur le rôle du Conseil constitutionnel ou de la Cour des comptes et sur le calendrier électoral.
Une autre grande question a été abordée, sans être approfondie : l'articulation du Parlement avec les instances de l'Union européenne. Cette question me semble devoir être étudiée avec soin et précision, car le no man's land entre nos institutions et celles de l'Union explique en partie la défaveur dont souffre l'Europe.
Le quatrième et dernier chapitre concerne les insuffisances de la démocratie sociale et environnementale. Parmi les nombreux échanges sur ce thème on peut en retenir deux, sans préjudice des autres. Le premier portait sur la faiblesse de la syndicalisation des salariés français, ses causes et les remèdes que l'on peut y apporter : c'est là, me semble-t-il, une question essentielle pour la démocratie sociale comme pour la démocratie politique. S'agissant de la démocratie environnementale, on a longuement évoqué le principe de précaution, vital pour les uns, inhibant pour les autres. Nous avons aussi abordé le problème de la démocratie environnementale à travers les conflits qui se sont succédé entre les élus locaux, les experts et les militants « zadistes ». En ce domaine, il est urgent de mettre en oeuvre des procédures de conciliation qui répondent au mieux aux exigences de la démocratie.
En relisant les comptes rendus de nos séances, je me suis réjoui de constater, à mi-course, que les échanges, au sein de notre aréopage divers à tous égards, ont été fructueux. L'écoute réciproque a été la règle ; aussi j'espère que nos travaux seront à même d'alimenter la réflexion du législateur.
Le 28/12/2016 à 12:11, Laïc1 a dit :
"D'autre part, si la participation est le mot-clé de la démocratie, nous avons abondamment discuté des moyens de la promouvoir, à travers les associations, les conférences de citoyens, la démocratie participative – sur laquelle le scepticisme me semble avoir dominé –, l'extension du référendum"
L'extension du référendum surtout, tout est là.
Le 28/12/2016 à 12:13, Laïc1 a dit :
"aussi j'espère que nos travaux seront à même d'alimenter la réflexion du législateur."
Je crois bien être le seul dans ce pays à qui ces travaux ont alimenté la réflexion...
Le 28/12/2016 à 12:01, Laïc1 a dit :
"Nous sommes partis de l'idée que notre système politique est en crise : crise de confiance, crise de participation, écart croissant entre les élus et les citoyens et peut-être, au-delà, entre les élites et les classes populaires. "
Très bonne base pour un appel résolu et légitime au référendum systématique. Quelqu'un a-t-il une meilleur idée pour renouer le lien entre le pouvoir et le peuple ? Pour associer le peuple, c'est-à-dire chaque citoyen sans exception, à la prise de décision politique ?
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