Intervention de Mireille Imbert-Quaretta

Réunion du 27 mars 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Mireille Imbert-Quaretta :

Les thèmes que nous avons abordés ont été brillamment résumés par Michel Winock. Le rôle de l'exécutif – en particulier du Président de la République – a été évoqué lors de notre dernière séance, mais ses relations avec le Parlement dans l'élaboration de la loi, elles, ne l'ont jamais été ; or cette question peut avoir des incidences sur l'évolution des institutions.

Deux orateurs, ce matin encore, ont fait référence aux articles 34 et 37 de la Constitution, pour dire que les dispositions relatives au droit du travail devaient ressortir au périmètre de l'article 34 sans empiéter sur l'article 37 : la remarque, me semble-t-il, ne vaut pas seulement pour le droit du travail.

M. Carvounas, entre autres, a évoqué le système des dépouilles, lequel doit permettre l'application des lois votées. Si le Premier ministre est responsable de l'administration dans son ensemble, chaque administration est placée sous la responsabilité, donc sous le contrôle, d'un ministre. Cela appelle de ma part des questions sur le temps réservé au débat public et à la fabrique de la loi. En neuf mois, observait M. Ray, le « soufflé » retombe et beaucoup d'obstacles peuvent être surmontés. De plus, la concertation permet des textes plus élaborés et plus pérennes. Le vote de la loi de 1905 avait ainsi été précédé par deux ans et demi de débats passionnants.

Vous aviez organisé, monsieur le président, un colloque intitulé : « Mieux légiférer ». Des lois de qualité affermissent la confiance de nos concitoyens dans ceux qui les font et dans les institutions. Que penser d'une loi qui ne cesse de changer, qu'il s'agisse du domaine pénal – que je connais bien – ou du droit du travail ? Ces empilements successifs, qui portent souvent sur des modifications à la marge, peuvent révéler un manque de réflexion et de préparation ; ils occultent aussi le travail du Parlement dont les rapports, un intervenant l'a rappelé, ne sont guère lus : les lois ne reflètent que l'écume des choses, non les travaux en profondeur.

Le contrôle ministériel de l'administration appelle des questions sur trois réformes constitutionnelles récentes. Toute réforme nouvelle doit être précédée d'une évaluation de la réforme précédente et d'une étude d'impact. On peut en premier lieu se demander si la session unique est une bonne chose : une pause entre deux sessions parlementaires ne ménage-t-elle pas du temps pour la réflexion et le contrôle des administrations ? Ne permet-elle pas également à celles-ci de préparer les décrets d'application des lois votées ? En matière de procédure pénale, ce sont quatre personnes, réunies dans un même bureau, qui rédigent les textes de loi et leurs décrets d'application. Le problème est donc aussi d'ordre pratique : si l'on ne cesse de légiférer, il est logique que certains décrets d'application restent en souffrance.

La double session permettait une respiration, y compris médiatique, à une époque où le contrôle ne revêtait pas, de surcroît, une importance aussi grande qu'aujourd'hui. La session unique a-t-elle amélioré la qualité de la loi ? Voilà la vraie question à poser.

Depuis la réforme de 2008, l'ordre du jour est partagé – en dehors des lois de finances – entre le Parlement et l'exécutif, et c'est le texte de la commission qui est débattu en séance ; si bien que les ministres doivent assister aux débats en séance comme en commission. Or, pour contrôler leurs administrations respectives, il faut bien qu'ils aient le temps de réunir les directeurs des services.

En vertu du système des dépouilles, le Gouvernement a la main sur l'administration dont il peut nommer les responsables ; mais ce n'est pas parce que les administratifs assurent la mise en oeuvre effective des lois de la République que les ministres n'ont plus rien à faire : il leur faut donc du temps. Or, pour être ministre ou même Président de la République, observait en substance Mme Parisot, on n'en reste pas moins homme : on a besoin de repos et l'on peut parfois tomber malade…

Après la réforme de 2008, les recours aux ordonnances ont littéralement explosé, et pas seulement pour des raisons de codification. Confier l'élaboration de la loi à l'exécutif revalorise-t-il le rôle du Parlement ? La réponse me paraît évidente. C'est par voie d'ordonnance, par exemple, qu'a été supprimée la distinction entre filiation naturelle et filiation légitime. Les Français ont connaissance des débats parlementaires, qui font l'objet de comptes rendus ; mais les ordonnances, elles, passent tout à fait inaperçues. Le choix des ordonnances n'est pas moins problématique pour la future réforme du droit des obligations. L'enjeu est d'importance puisqu'il s'agit de combattre, dans le domaine économique, le droit des contrats anglo-saxon. Un tel sujet eût mérité un vrai débat parlementaire.

Nous aurions donc tout intérêt à évaluer, en fonction des objectifs qu'elles poursuivaient – améliorer la qualité de la loi, revaloriser le rôle du Parlement et faciliter l'information de nos concitoyens –, les trois réformes institutionnelles que je viens de rappeler.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion