Intervention de Bernard Accoyer

Réunion du 27 mars 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Accoyer :

Contrairement à mon collègue, je ne suis guère convaincu qu'il faille aller vite pour bien légiférer. Le point de vue de l'historien, auquel je sais gré à nos deux présidents d'avoir fait droit, le montre : au cours de la période contemporaine, et même auparavant, cette tendance a conduit à bien des erreurs. Sur ce point, le débat mériterait donc d'être approfondi.

De même, c'est une erreur manifeste que de vouloir changer les règles sous prétexte que les Français décident de ne plus voter de telle ou telle façon. Je ne reviens pas sur les malheurs que les scrutins proportionnels ont provoqués en Allemagne et même en France au cours de l'histoire.

Quant à l'idée de professionnaliser les élus au point d'en faire de véritables chefs de PME, c'est selon moi la raison même du fossé béant qui s'est creusé entre nos compatriotes et les élus, en particulier nationaux.

J'en viens à ce qui m'intéresse véritablement, c'est-à-dire aux réflexions fort pertinentes de Mme Imbert-Quaretta. J'aimerais d'autant plus les approfondir qu'elles concernent en grande partie la réforme de 2008, à laquelle j'ai participé – sans d'ailleurs en approuver toutes les dispositions.

D'abord, le problème du temps, également évoqué par Michel Winock. L'exécutif a bien souvent une grande part de responsabilité dans la manière dont, de plus en plus, nous, législateur, oublions qu'il faut prendre le temps d'écouter, d'échanger, de construire, d'alléger des textes dont la qualité est de plus en plus préoccupante – ils sont verbeux, déclamatoires : on consacre des pages entières à des développements qui ne relèvent absolument pas de la loi mais, tout au plus, de l'exposé des motifs, sans parler de la délimitation entre loi et norme. Voilà un travail que nous ne faisons plus, que les gouvernements ne cherchent plus à faire ; c'est extrêmement dommageable.

L'instabilité de la loi contribue à expliquer que nous ne soyons plus respectés et que nous ayons l'impression que le système dysfonctionne. Mais, dès lors que ce sont le législateur et l'exécutif qui font erreur, le réflexe consistant à changer les règles du jeu au motif que le peuple n'est pas content – à juste titre – devrait être proscrit. Plus précisément, la crise que nous vivons et la désaffection des investisseurs envers l'appareil de production, qui inhibe la création de richesse, sont dues pour partie à l'instabilité permanente des normes fiscales, laquelle est très dissuasive pour l'épargnant modeste comme pour l'investisseur international.

Par la réforme de 2008, nous nous sommes efforcés d'améliorer l'élaboration de la loi. Mais le vrai problème est qu'indépendamment de la rapidité d'élaboration des textes, on consacre beaucoup trop de temps parlementaire à légiférer. Cette frénésie législative, née du désir des ministres comme des parlementaires de donner leur nom à un texte de loi, aboutit à la multiplication sans fin des normes, qui sont aujourd'hui au nombre de 400 000 dans notre pays, ce qui signifie qu'elles sont absolument inaccessibles au commun des mortels. Nul n'est censé ignorer la loi : comment respecter cette injonction lorsque leur nombre est tel et qu'elles ne cessent de changer ?

Nous avons donc tenté de réduire le temps consacré au travail législatif pour doter enfin notre pays de la culture du contrôle parlementaire dont il a tant besoin. À cette fin, nous avons créé le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques, mais sans lui donner assez de moyens ni de place. Pour jouer un rôle constructif, notre Parlement, en particulier notre Assemblée, devrait aller de manière intrusive, autoritaire – la Constitution le lui permet –, au coeur des problèmes du pays, dans les administrations, pour évaluer telle ou telle politique publique, plutôt que de faire d'emblée table rase de ce qui ne fonctionne pas pour le remplacer par autre chose.

De même, les études d'impact, prévues par la réforme constitutionnelle, ne sont pas suffisantes. Issues des ministères, elles sont évidemment favorables au texte en discussion au lieu d'être neutres et objectives. Aucune ne porte sur les amendements parlementaires et gouvernementaux, de sorte que les nouvelles normes sont imposées sans que l'on en connaisse les conséquences. C'est un grave problème.

En ce qui concerne l'ordre du jour, avec la session unique, qui permet de disposer d'un temps considérable, le fait d'avoir accru le nombre de séances d'initiative parlementaire contribue à la multiplication excessive des normes. Notre inventivité en la matière est sans limites et doit souvent beaucoup à la démagogie politique soit des parlementaires eux-mêmes, soit d'un gouvernement qui veut faire plaisir à une partie de sa majorité, au détriment de l'intérêt général.

Quant au recours aux ordonnances, je ne vois pas ce qui, dans la réforme de 2008, l'encourage, au contraire. Les ordonnances sont un choix de l'exécutif ; la majorité l'accepte, l'opposition proteste mais sans espace pour le faire.

Le manque de respect gouvernemental vis-à-vis du bicamérisme transparaît dans le mépris de la navette parlementaire : on décide à la dernière minute de soumettre à la procédure accélérée l'examen de textes dont on nous soutient par ailleurs qu'ils sont indispensables à l'avenir de la nation, au confort et à la sécurité du peuple français. Ce n'est absolument pas sérieux ni acceptable. Et l'on fait siéger l'Assemblée en dehors des trois jours qui lui sont normalement consacrés – le mardi, le mercredi et le jeudi – et qui, au moins, avaient un sens dans le cadre de la session unique, pour s'assurer qu'il n'y aura pas grand-monde en séance !

Enfin, ce n'est pas un mystère : nous sommes trop nombreux. Il convient donc de ne pas augmenter davantage nos moyens sans avoir très significativement réduit le nombre de députés – et de sénateurs, mais c'est un autre sujet –, qui avait été accru pour des raisons entièrement politiciennes en 1986, en vue de la proportionnelle intégrale. La démocratie française a-t-elle gagné à disposer de ces 86 députés supplémentaires ? Non ! Aujourd'hui, avec la rapidité des déplacements et notre capacité à savoir tout ce qui se passe partout, y compris dans nos circonscriptions, et dans tous les domaines, la productivité exacerbée du Parlement accélère la multiplication néfaste des normes et des initiatives parlementaires.

Voilà d'ailleurs la raison pour laquelle je n'ai pas voté le texte mettant fin au cumul des mandats. En effet, si je suis favorable au non-cumul entre mandat national et mandat exécutif local, c'est à condition qu'il s'accompagne d'une réduction sensible du nombre de parlementaires, sans quoi nous aggraverons encore les tendances que Mme Imbert-Quaretta a déplorées à juste titre : un travail expéditif, prolifique, insuffisamment contrôlé et évalué, y compris lors de son application.

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