Intervention de Marie-Anne Cohendet

Réunion du 27 mars 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Marie-Anne Cohendet :

On peut certes disserter sur les notions de crise ou de dysfonctionnement, cela n'obère en rien le constat que notre société politique ne fonctionne pas très bien. Ce constat, on peut l'étendre à d'autres pays et à d'autres systèmes, ce qui prouve bien qu'il ne s'agit pas de modifier notre régime politique pour tout régler.

Reste que nombre des difficultés que connaît la France sont spécifiquement liées à l'organisation de nos institutions. Là où, à l'étranger, les problèmes se règlent par la voie institutionnelle, ils se traduisent dans notre pays par des manifestations ou des grèves qui sont un symptôme de ce dysfonctionnement. Certes, le mécontentement de nos concitoyens ne vise pas seulement nos institutions mais aussi les hommes et les programmes qu'ils mettent en oeuvre ; il dure néanmoins depuis assez longtemps pour qu'il soit temps d'envisager des réformes institutionnelles susceptibles de restaurer la confiance dans notre démocratie.

Lors de notre précédente séance, un consensus s'est fait autour de l'idée que le problème majeur de la Ve République résidait dans la dissociation entre les pouvoirs du Président de la République – immenses – et son irresponsabilité, ce qui peut se résoudre soit en rendant le président plus responsable, soit en confiant le pouvoir de décision à une instance responsable.

On a ainsi parlé d'instaurer un régime présidentiel, lequel se caractérise, d'une part, par le fait que le Gouvernement n'est pas responsable devant le Parlement, et, d'autre part, par le fait que le Président est élu au suffrage universel direct ou quasi direct. Pour adopter un régime présidentiel, il nous suffirait donc de supprimer le Premier ministre et le droit de dissolution. S'en tenir à de telles réformes serait néanmoins très dangereux, dans la mesure où, comme l'a démontré Montesquieu, l'histoire et le droit comparé montrent que plus un chef est puissant plus il a tendance à être suivi, ce qui conduit systématiquement à des abus de pouvoirs. Il est donc essentiel, si nous empruntons cette voie-là, d'y mettre des garde-fous en limitant les pouvoirs du chef. Rappelons qu'aux États-Unis ces garde-fous existent et que, si le système reste globalement démocratique, c'est notamment parce que les membres de la Chambre des Représentants ne sont élus que pour deux ans, ce qui compense l'irresponsabilité politique du Président. Est-ce ce que souhaitent les députés français ? L'exemple américain nous incite par ailleurs à relativiser l'efficacité d'un tel régime.

Quant à renforcer la responsabilité du Président, les Roumains s'y sont essayés en expérimentant le recall présidentiel avec arbitrage populaire en cas de conflit entre le Président et le Parlement. L'idée, plutôt bonne au départ, a donné de très mauvais résultats, car le Président s'est appuyé sur le peuple pour défendre une vision extensive – et abusive – des pouvoirs que lui conférait la Constitution. Aucune solution n'est donc réellement satisfaisante, ce qui doit nous inviter à l'humilité et au réalisme.

Une seconde solution consiste à conserver le régime parlementaire, dont je rappelle qu'il se caractérise, d'une part, par la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et juridictionnel et, d'autre part, par le fait que le Gouvernement est responsable devant le Parlement. Si la Constitution de 1958 établit donc un régime parlementaire, le système politique de la Ve République, lui, ne l'est pas car, tandis que, par essence, dans un régime parlementaire, le Gouvernement est assuré par des ministres choisis par les représentants du peuple et responsables devant eux, nous avons en France un Président de la République qui confisque à son profit la nomination et le contrôle des ministres.

Je partage avec Bastien François l'idée qu'il faut absolument rétablir le lien entre responsabilité et pouvoir et que cela ne peut se faire que dans le cadre du régime parlementaire. Mais comment, m'objectera-t-on alors, convaincre les Français de renoncer à choisir leur chef ? Il ne s'agit guère de cela mais de leur démontrer que les Anglais, tout comme les Allemands, choisissent leur chef de gouvernement lorsqu'ils votent aux élections législatives, et qu'il est parfaitement possible de concilier le choix du chef par le peuple et son contrôle par les représentants élus.

Quant à savoir si le Président de la République peut être élu sans programme politique particulier, cela se pratique dans nombre de pays. C'est quand il est le garant de l'unité nationale qu'il assume sa fonction d'arbitre telle qu'elle avait été conçue par les constituants de 1958 et telle que nous devrions la rénover.

Il nous reste beaucoup à dire sur le sujet de l'exécutif, notamment sous l'angle de la séparation des pouvoirs mais également en lien avec les questions environnementales, que nous n'avons jusqu'à présent que trop rapidement évoquées – nous avons débattu du principe de précaution mais je tiens à rappeler ici que le principe d'innovation est inscrit dans la charte de l'environnement.

Il nous faudrait également revenir sur le calendrier électoral, sur le droit de dissolution ou sur l'article 16, tout comme sur le principe du contreseing des actes présidentiels. Il est en effet difficilement compréhensible pour le citoyen ordinaire que le Président de la République confisque, en s'en servant comme d'une arme puissante, des pouvoirs soumis à contreseing et qui normalement devraient appartenir au Premier ministre. C'est une situation à laquelle il convient de remédier, tout comme à la présidence du Conseil des ministres par le Président de la République.

Assortir le référendum, bel outil démocratique, d'une procédure de quorum me paraît un garde-fou indispensable. Quant à la démocratie participative, je persiste à penser qu'elle est extrêmement importante ; il n'est pas question qu'elle se substitue à la démocratie représentative mais qu'elle l'accompagne. Ayant participé au récent sommet des Nations unies sur la prévention des catastrophes naturelles, à Sendaï, près de Fukushima, j'y ai entendu des témoignages bouleversants des représentants bangladais ou philippins sur les conséquences dramatiques de notre incurie environnementale. J'y ai également conforté ma conviction que, face aux catastrophes naturelles, ce sont les dispositifs de protection et d'évacuation imaginés par les personnes concernées elles-mêmes qui se révèlent le plus efficaces. D'où l'importance d'avoir sur le terrain des citoyens investis et responsables et de développer pour cela la démocratie participative à tous les niveaux, à l'échelle nationale et locale, comme au sein des entreprises.

Il nous faudra également reparler du mode de scrutin. Deux raisons nous ont pour l'instant incités à refuser la proportionnelle. La première est la crainte de l'instabilité gouvernementale. Or les études de droit comparé montrent que proportionnelle et stabilité gouvernementale sont parfaitement compatibles pour peu que ce mode de scrutin soit accompagné, là encore, de garde-fous.

La seconde tient aux vertus prophylactiques que nous attribuions au scrutin majoritaire face à la montée des extrémismes. Or force est de constater que ce n'est plus le cas. Il est donc temps d'envisager sérieusement le recours à la proportionnelle, qui favoriserait notamment le débat au sein du Parlement, améliorerait sa représentativité et contribuerait donc à renforcer son rôle. Je rappelle ici que, si la proportionnelle a eu les conséquences néfastes que l'on sait sous la République de Weimar, c'est que le parlementarisme n'y était pas rationalisé.

Mettre en place un Parlement plus puissant, qui contrôle, voire élise, le Gouvernement ou le Premier ministre serait un grand pas vers la garantie de l'effectivité des droits. Sans les résoudre toutes, nulle doute que cela remédierait considérablement aux difficultés que nous avons évoquées ici.

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