La liberté de ton qui préside à nos échanges témoigne du climat de confiance dans lequel nous travaillons et de notre volonté d'aboutir à des solutions. Chacun est pourtant conscient que nos travaux ne vont pas déboucher sur la proposition miracle qui résoudra toutes nos difficultés. Au-delà de nos institutions, trop de facteurs sont en effet en jeu dans le malaise de la société, au point que les faits viennent parfois contredire nos réflexions.
On a ainsi beaucoup évoqué le lien entre le citoyen et le politique et insisté sur l'importance d'un partage de la parole et de la décision, notamment au niveau des collectivités territoriales. Or force est de constater que le bilan dont peuvent se prévaloir les conseils généraux a pesé de peu de poids dans le scrutin de dimanche dernier et qu'on ne constate aucune corrélation entre le résultat du vote et le fait que, localement, les citoyens sont mieux associés aux décisions qui améliorent leur existence et répondent à leurs attentes. J'observe que, bien au-delà des enjeux locaux, ces élections confirment qu'il existe aujourd'hui deux catégories d'électeurs qu'on ne peut ignorer : ceux qui se sentent exclus de la mondialisation et répondent à cette exclusion par un vote protestataire ; ceux qui, au contraire, en prennent acte, voire en retirent quelques bénéfices, mais en tirent également la conclusion que les politiques n'ont plus guère de pouvoir et qu'il est vain, dans ces conditions, de voter.
D'où l'importance qu'il y a à clairement définir notre champ d'intervention et les leviers que nous pouvons actionner afin de donner corps à notre ambition pour la démocratie : c'est le seul moyen de convaincre nos compatriotes que ceux qu'ils élisent sont capables de les représenter en assumant toutes leurs responsabilités. Dans ce cadre clarifié, il deviendra possible d'établir une gradation entre les différents lieux de représentation. Alors que de plus en plus de décisions sont prises au niveau européen, y compris en ce qui concerne le droit du travail, nos partenaires jugent très sévèrement la représentation française au sein de l'Union européenne et dénoncent l'indifférence de nos compatriotes et de nos représentants à l'égard de l'Europe. C'est dire qu'il est primordial à tous points de vue, pour restaurer la qualité de la représentation, que nous nous fixions des objectifs de réforme du politique auxquels il faut rallier nos concitoyens.
J'en reviens ici aux quatre chapitres évoqués par Michel Winock dans son introduction et sur lesquels il nous appartient de progresser. Il ne suffit pas en effet de d'énoncer que nous avons un problème de représentation ; il faut aller plus loin et préciser nos interrogations. L'institution présidentielle est-elle, sous sa forme actuelle, conforme à notre conception de la représentation démocratique ? Le mode de désignation de nos représentants au Parlement est-il satisfaisant ? Si nous ne faisons pas l'effort de préciser nos exigences sur chacun de ces points, l'idée qu'en fin de compte tout procède d'une main invisible qui rend de peu d'importance l'amélioration de nos institutions finira par avoir raison de nos ambitions originelles.
Il est donc important, comme vient de le suggérer Michel Winock, que nous n'attendions pas que la vérité nous éclaire de toute sa lumière lors de nos ultimes séances mais que nous consacrions d'ores et déjà aux points que nous avons abordés des temps de débat nous permettant d'approfondir et de coordonner notre réflexion sur la manière de mieux organiser la représentation démocratique et d'articuler entre eux de façon cohérente ses différents lieux d'expression. Dans un monde de plus en plus globalisé, cela implique bien plus qu'une modification des institutions, à laquelle nous serions tous coupables de ne pas avoir déjà procédé si elle était susceptible de tout résoudre.
J'ajoute que nous ne devons pas craindre de nous différencier dans l'appréciation de nos objectifs, et j'ai le plus grand respect pour la position de Bernard Accoyer hostile à l'idée d'amender notre Constitution – c'est également l'idée défendue peu ou prou par Jean-Noël Jeanneney, dans un article à paraître dans Le Débat.
J'ai entendu vos remarques de méthode et propose que, sur chaque thématique évoquée, nous allions jusqu'au bout de la confrontation intellectuelle pour dépasser nos divergences théoriques et aboutir à des propositions concrètes susceptibles de nourrir le débat public, à commencer, par exemple, par la question de la représentation. Nous allons revoir le calendrier de nos travaux et y inclure des séances consacrées au fonctionnement du Parlement. J'entends également que l'examen du lien entre les différents pouvoirs ne doit pas être circonscrit à une séance unique mais que cette question doit irriguer, de manière continue, l'ensemble de nos réflexions, quel qu'en soit le thème central.