Monsieur le président, je vous remercie de me donner pour la troisième fois l'occasion de faire le point sur ce dossier devant votre Commission.
Lorsque j'ai lu le compte-rendu de l'audition des syndicats, j'ai tout d'abord cru qu'ils parlaient d'une autre entreprise et d'un autre projet. Je déposerai au secrétariat de la Commission une note détaillée qui dresse la liste de l'ensemble des réunions et de leur contenu ayant marqué les différentes étapes de la concertation avec les partenaires sociaux. Au total, 91 procédures de consultation se sont tenues dans un grand nombre de pays. Vous pourrez ainsi juger de la transparence du processus et de l'accès total des partenaires sociaux à l'information.
L'agence de presse Bloomberg a fait fuiter le 23 avril 2014 l'existence d'un projet de fusion entre GE et Alstom ; dès le lendemain, je me suis présenté devant le comité de groupe européen pour exposer la situation : il m'était assez difficile d'agir plus rapidement. Avant même le démarrage de la procédure formelle d'information et de consultation des instances représentatives du personnel, nous nous sommes assurés, pendant toute la phase de discussion des différentes propositions de partenariat avec une autre entreprise, de l'accès à l'information des représentants du personnel et nous leur avons donné les moyens de travailler avec des experts, bien au-delà de toutes les obligations juridiques. Le comité européen a ainsi tenu cinq réunions avec un expert avant le lancement de la procédure officielle de consultation. Celui-ci a eu lieu à la fin du mois de juin 2014, date à laquelle le conseil d'administration a arrêté une recommandation. Nous avons alors remis aux partenaires sociaux un document de 160 pages détaillant la situation du groupe, les raisons de conduire ce projet et les propositions de GE. Vingt-trois réunions du comité de groupe européen ont été organisées, et les organisations syndicales ont sélectionné des experts qui ont remis un rapport très détaillé ; ces experts ont eu accès à l'ensemble des informations nécessaires, y compris l'accord tripartite – immédiatement après sa signature – et les accords détaillés conclus entre GE et Alstom à la fin du mois de septembre dernier. Les experts ont rencontré le management d'Alstom et celui de GE et, à la suite des vingt-trois réunions, un avis sur ce projet a été émis : 15 voix se sont exprimées en faveur de sa réalisation, 7 contre et 12 abstentions. L'ampleur de ce soutien est relativement rare pour ce type d'opération.
Le même processus s'est déroulé dans les pays où une consultation devait intervenir ; s'agissant des entités françaises, le comité central d'entreprise (CCE) et les comités d'établissement ont émis un avis après un cycle d'expertise scandé par soixante-deux réunions. Douze sociétés françaises sont concernées par l'opération et chacune d'entre elles a exprimé un avis : 4 d'entre eux furent positifs, deux négatifs et six comités n'ont pas souhaité prendre position.
Après cette phase légale, nous avons poursuivi le travail d'information et de concertation avec les partenaires sociaux, puisqu'une charte a été conclue avec eux pour poursuivre la consultation entre l'avis et la fin de l'opération. Depuis, neuf réunions se sont tenues à l'échelle du groupe européen, et l'expert continue de travailler avec un accès total à l'information. En France, une soixantaine de réunions ont été organisées depuis la remise des avis pour poursuivre la concertation.
Il y a quelques jours, à la fin du mois de mars 2015, nous avons conclu un accord avec les partenaires sociaux pour organiser la représentation du personnel au sein d'Alstom, recentré sur le transport, et dans les activités de la branche énergie transférées à GE, en plus de l'application d'une charte sur la circulation de l'information jusqu'à la signature définitive de l'opération.
Aucune entité consultée dans le cadre de cette opération n'a estimé manquer d'information pour élaborer son avis. Deux syndicats minoritaires – la CGT et FO – ont essayé de bloquer le processus à ses débuts en mai dernier, mais le tribunal de Bobigny en première instance puis la cour d'appel de Paris ont débouté leur recours en estimant que l'entreprise avait rempli, dans des conditions normales, son obligation de transmettre l'information aux salariés.
L'accord des partenaires sociaux n'est pas nécessaire à la réalisation de l'opération, mais j'avais négocié avec GE la possibilité d'arrêter la fusion si les syndicats s'opposaient au projet. Nous avons assuré une transparence totale de l'information à destination des syndicats et les expertises remises aux différents comités représentent 1 000 pages. On peut approuver ou réprouver l'opération conduite avec GE, mais je n'accepte pas que l'on affirme que les partenaires sociaux n'ont pas eu accès à l'information.
Il n'y a aucun changement entre l'accord tripartite du 21 juin dernier et les accords détaillés liant GE et Alstom. L'État a avalisé cette opération sur le fondement du décret du 14 mai 2014, dit décret Montebourg, relatif aux investissements étrangers dans des secteurs stratégiques, après avoir bien entendu vérifié que l'ensemble des engagements pris par les parties en juin étaient strictement respectés ; les partenaires sociaux ont également été informés de ce processus. Le fonctionnement des coentreprises et leur gouvernance correspondent totalement à ce que l'accord tripartite prévoyait.
GE possédera la propriété intellectuelle des activités correspondantes, car celle-là est associée à celles-ci dans une entreprise technologique. De même, Alstom acquerra les brevets liés à l'activité de signalisation de GE. Dans le domaine du nucléaire, la coentreprise recevra une licence totale et irrévocable pendant 50 ans pour l'ensemble des droits de propriété intellectuelle correspondant aux turbines nucléaires. En outre, si GE considérait un jour ne plus pouvoir respecter ses obligations, la licence serait mécaniquement transférée à une société détenue intégralement par l'État qui disposerait de tous les éléments de propriété intellectuelle pour, par exemple, fabriquer les turbines. Cette société pourrait d'ailleurs transmettre à son tour cette licence à Areva ou à EDF. Les éléments de propriété intellectuelle nécessaires à la fabrication d'une turbine seront déposés sous séquestre en France ; ils représentent environ 250 000 documents. L'État est actionnaire de l'entreprise et possède une golden share ; il dispose de droits spécifiques dans un certain nombre de domaines liés à des transferts de centres de décision, à des ventes d'actifs, à des opérations qui seraient jugées contraires aux intérêts de la France dans le domaine du nucléaire, à la politique de recherche et développement (R&D). Sur ce dernier point, une feuille de route a été négociée entre GE, Alstom et l'État, et celui-ci peut mettre son veto à toute déviation dans la mise en oeuvre de ce plan. Jamais dans l'histoire d'Alstom, l'État n'a eu autant de droits sur les activités de turbines nucléaires.
GE a pris des engagements en matière d'emploi et de localisation de centres de décision en France, et je n'ai aucune raison de penser qu'ils ne seront pas respectés. Aujourd'hui, le seul élément qui diffère des accords touche à l'annonce de GE selon laquelle le centre de décision de l'ensemble de la filière des ER – qui génère une activité de 10 milliards d'euros – sera implanté en France.
Alstom Transport sera désendettée et disposera d'une structure de bilan sans dette ou avec une dette compensée par des disponibilités en cash. Elle aura d'amples liquidités et un bilan parmi les plus solides de l'industrie. Depuis l'annonce de l'opération, pas un client n'a exprimé d'inquiétude et Alstom Transport a reçu un niveau record de commandes cette année. Les banquiers qui financeront Alstom demain ne se posent aucune question sur l'avenir de l'entreprise, puisque les conditions de financement des cautions et des crédits vont s'améliorer sensiblement. Ils estiment donc qu'Alstom ne présente aucun risque, et ils ont raison de penser ainsi.
Le carnet de commandes représente 27 milliards d'euros, soit quatre à cinq ans d'activité. Cela ne signifie pas qu'il n'existe pas de problèmes dans certains sites, car ces commandes ne se répartissent pas de manière homogène. La faiblesse du marché du sud de l'Europe crée des difficultés pour notre implantation espagnole et nous avons réduit la dimension de nos moyens industriels à Barcelone comme au Royaume-Uni et au Canada. Certains établissements français font également face à des manques de charges, et j'espère que les commandes nous permettront de gérer les éventuels creux. Le site de locomotives de Belfort doit également gérer une insuffisance d'activité. La France ne représente que 20 % du chiffre d'affaires d'Alstom, entre un tiers et la moitié des 9 000 salariés employés dans notre pays travaillent pour l'exportation, et j'entends dire que le groupe a délocalisé sa production de locomotives au Kazakhstan ! Cela est totalement faux, et c'est d'ailleurs ce qui a permis de maintenir 250 emplois à Belfort pendant trois ans.
M. Macron et le cabinet de conseil Secafi ont reconnu que le statu quo était dangereux pour Alstom, et ce constat s'avère largement partagé. Il nous fallait donc atteindre une taille critique. Aucune offre meilleure que celle de GE n'a émergé ; d'ailleurs, M. Montebourg n'était pas un inconditionnel de l'alliance avec GE, si bien qu'il a mobilisé l'ensemble des moyens de l'État pour trouver une solution française. Il n'en existait donc pas, sinon le ministre nous l'aurait soumise. Quant à l'offre européenne de Siemens, elle ne portait pas de projet crédible.
L'activité des énergies renouvelables, dont une grande composante est américaine, se situe à 80 % dans l'éolien terrestre, filière dans laquelle GE est cinq à six fois plus puissante qu'Alstom. Il n'y a donc pas de quoi critiquer GE, monsieur Fasquelle, qui décide tout de même d'implanter le centre de décision des ER à Paris, cette entité devant présider aux destinées de la plus grande société mondiale dans ce domaine. Je ne vois pas là de drame pour la France ! De même, si les usines sont bien implantées aux États-Unis, celles de l'éolien offshore et de l'hydraulique sont localisées dans notre pays.
Il n'existe aucune relation entre la recherche et la concrétisation d'un accord avec GE et les enquêtes alors en cours devant la justice américaine et relatives à de vieux contentieux de corruption. Notre avocat, certes américain mais assermenté, nous a fourni des éléments factuels sur ce point, et je déposerai au secrétariat de la Commission un rapport détaillé présentant son analyse. Cet avocat, ancien procureur au Department of Justice (DoJ) américain, répond à la question touchant à l'existence éventuelle de pressions du DoJ sur Alstom pour que celle-ci vende une grande part de ses actifs à GE en contrepartie d'un abandon de poursuites pénales contre des cadres supérieurs d'Alstom. En un mot, ma situation personnelle est-elle entrée en compte dans l'accord signé avec GE ? L'avocat affirme que « rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité » et ajoute que « les avocats du DoJ n'ont joué aucun rôle dans les négociations entre Alstom et General Electric. Au contraire, le DoJ n'a eu connaissance de l'accord envisagé entre GE et Alstom que par les informations publiées par l'agence de presse Bloomberg le 23 avril 2014. À cette date, nous n'avions pas encore entamé la moindre discussion avec le DoJ sur une possible transaction et personne au sein du DoJ n'avait eu alors d'information concernant les négociations commerciales en cours entre Alstom et GE. En d'autres termes, il n'y a absolument aucun lien entre les discussions ayant mené à la transaction entre Alstom et le DoJ, qui ont commencé à l'automne dernier, et les négociations qui ont été menées entre Alstom et GE qui les ont largement précédées. Le ministère de la justice américain n'a jamais cherché à lier cette transaction à la situation personnelle d'un quelconque salarié d'Alstom, présent ou passé. Ainsi qu'il est d'usage dans toutes les négociations relatives à une violation de la loi en matière de corruption, la transaction finale conclue entre Alstom et le DoJ prévoit expressément que le DoJ dispose de toute latitude pour engager les poursuites qu'il souhaite à l'encontre de n'importe quel individu. Il m'est impossible de le dire plus clairement : les rumeurs publiées sont non seulement fausses, mais elles sont absurdes et n'ont aucun fondement. Le DoJ n'avait aucune connaissance préalable des négociations entre Alstom et GE, il n'a jamais fait pression sur Alstom pour conclure un accord avec GE, que ce soit avant ou après la perspective d'un tel accord. Dans le cadre des discussions ayant mené à la transaction entre le DoJ et Alstom, le DoJ n'a jamais offert de protéger un quelconque salarié d'Alstom, présent ou passé ».
Je vous confirme n'avoir eu à aucun titre de discussion avec quiconque sur ma situation personnelle. Cette dernière est extrêmement claire : depuis que je dirige Alstom, j'ai mis en oeuvre, année après année, les moyens nécessaires pour éviter des dérapages en matière de respect des règles du commerce international. Alstom est présent dans une centaine de pays et emploie des milliers de vendeurs, si bien qu'il faut mettre en place des procédures et s'assurer de leur application. Je ne connais pas d'autre société qu'Alstom qui ait eu à traiter de ce type de situation avec les autorités américaines – et qui ait dû passer une transaction – sans que celles-ci ne nomment un auditeur chargé de veiller à l'application des textes à l'avenir ; le DoJ a condamné Alstom à une amende, mais a considéré qu'il était inutile de désigner un auditeur au vu des moyens mis en oeuvre par Alstom pour respecter les règles.