Intervention de Thierry Braillard

Séance en hémicycle du 4 juillet 2012 à 15h00
Débat sur les résultats du conseil européen des 28 et 29 juin 2012

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Braillard :

Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 15 août 1971, brutalement, sans aucune concertation, Richard Nixon, président des États-Unis d'Amérique, décidait de retirer la clef de voûte de tout l'édifice monétaire et financier mondial : il mettait fin à la convertibilité du dollar en or. On échangeait, à l'époque, une once d'or pour 35 dollars. L'once d'or vaut, aujourd'hui, entre 1 700 et 1 800 dollars. La valeur réelle de la monnaie américaine a été divisée par cinquante alors que la valeur du pétrole, toujours exprimée en dollars, même aujourd'hui, était multipliée par vingt, ce qui est à l'origine de toutes les crises de toutes les économies occidentales. Richard Nixon avait compris. Il avait compris qu'une monnaie n'était pas neutre et qu'une banque d'émission ne pouvait pas être indépendante. Il avait d'ailleurs envoyé, à l'époque, le secrétaire américain au Trésor en tournée européenne pour dire une seule chose, une seule phrase : le dollar est notre monnaie, c'est votre problème. La solution était contenue dans cet énoncé très violent : les Européens devaient marcher vers le fédéralisme. Cela prend du temps, beaucoup de temps, trop de temps. Mais il est clair que le choix amorcé voici une quinzaine de jours lors du sommet européen est un bon choix, ce dont le groupe RRDP se réjouit à la quasi-unanimité – même si, par honnêteté intellectuelle et cohérence partisane, un des membres de notre groupe, progressiste, est plus dubitatif quant aux conclusions de ce sommet. Il est clair que les enjeux du Conseil européen, qui s'est tenu les 28 et 29 juin, dépassaient largement la crise des dettes souveraines de la zone euro dans laquelle l'Europe s'enlise depuis deux ans. En effet, depuis deux ans, en dépit de la multiplication des réunions du Conseil européen, en dépit des efforts et des effets de manche de M. Sarkozy et de Mme Merkel et en dépit de la prétendue efficacité apportée par les modalités d'application du traité de Lisbonne, force est de constater que la construction européenne elle-même est questionnée et que l'institution se trouve fragilisée voire remise en cause.

La crise de la zone euro est une crise financière, certes, mais c'est également une crise de gouvernance économique à laquelle le pacte budgétaire acté en mars dernier n'apportait qu'une réponse partielle et austère.

Le président François Hollande a promis, durant la campagne des élections présidentielles, de renégocier ce pacte d'austérité qui avait pour unique effet d'exporter la vision allemande de la gestion économique dans les pays du sud de l'Europe, avec les conséquences détestables qui sont rapidement apparues. Il fallait donc y ajouter un programme pour la croissance. C'était également un des enjeux de ce conseil européen. Allait-on rééquilibrer l'influence des uns et des autres au sein de ce conseil ? La France ferait-elle de nouveau entendre sa voix, sans donner cette impression d'être systématiquement dans les pas de l'Allemagne ? Que ce soit bien clair : nous sommes persuadés que l'avenir de l'Europe, le rétablissement de la confiance, la stabilité de la zone euro passent par l'axe franco-allemand. Je veux d'ailleurs, à cette tribune, m'exprimant pour la première fois, citer François Mitterrand dans son ouvrage De l'Allemagne, de la France, d'avril 1996 – je pense que cela fera plaisir au ministre – qui écrivait : « Quoi d'étonnant si, aujourd'hui, ce qu'on appelle le couple franco-allemand est devenu comme une sorte de baromètre de l'Europe. On nous épie, on nous ausculte. La moindre de nos brouilles supposées met en alarme rédactions et chancelleries. L'affirmation de notre entente suscite la jalousie et le soupçon. Et pourtant, tous nos partenaires le savent, et s'ils ne le savaient pas, je leur répéterais ce soir : l'entente franco-allemande ne prend tout son sens que parce qu'elle est au service de l'unité européenne. » Il était donc opportun que les représentants des États membres entendent le discours français qui en appelait aux grands principes ayant fondé l'Europe de Jean Monnet et de Maurice Faure : les principes de solidarité, d'unité et de progrès.

Le bilan du Conseil européen est donc positif, même si, sur certains bancs, hier, quelques-uns n'y voyaient qu'un verre à moitié plein ou un verre à moitié vide. Qu'ont décidé les chefs d'État et de gouvernement au cours de ce sommet ? Ils ont, tout d'abord, trouvé un accord pour relancer immédiatement l'économie européenne en adoptant le pacte pour la croissance et pour l'emploi proposé par la France auquel se sont finalement joints nos partenaires allemands, italiens et espagnols. Il s'agit d'un tournant majeur, puisque ce texte s'ajoute au traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le fameux TSCG de mars 2012. Ainsi, ce sont 120 milliards d'euros qui seront investis dans l'économie européenne pour favoriser la croissance, grâce au déblocage des sommes non utilisées provenant des fonds structurels et à l'accroissement de la capacité de prêt de la Banque européenne d'investissement ou aux project bonds, qui doivent être mis en place dès cet été pour financer des infrastructures dans les secteurs des transports, de l'énergie et des communications.

Investissement, croissance et emploi, tels sont les premiers mots d'ordre de ce sommet.

Mais la véritable rupture tient cependant à la détermination des chefs de gouvernement italien et espagnol, MM. Monti et Rajoy, rupture soutenue par la France, rupture qui a permis d'adopter des solutions d'urgence, mais aussi de réaliser des avancées de long terme.

Ce Conseil européen est donc parvenu à un véritable compromis politique et a ainsi replacé le politique, la politique, au coeur des enjeux économiques de l'Europe. Une volonté politique existe désormais pour une nouvelle gouvernance européenne axée sur une véritable coordination des politiques économiques européennes.

Le président du conseil italien a obtenu que les fonds de secours européen – le FESF et le MES – puissent racheter directement de la dette d'un État dont les taux seraient soumis à des fortes pressions sur les marchés. C'est ce que l'on appelle le bouclier anti-spread en faveur duquel il plaidait, souvent en vain, depuis plusieurs semaines.

Le président du gouvernement espagnol a, quant à lui, obtenu que ces mêmes fonds de secours puissent recapitaliser directement les établissements financiers. Cela permettra de répondre à la situation très délicate dans laquelle se trouve son pays, qui est confronté à une crise bancaire sans précédent. Il a sollicité une aide européenne. Ses partenaires se sont mis d'accord sur le principe d'un prêt du FESF ou du MES d'un montant maximal de 100 milliards d'euros. D'après les dispositions du traité instituant le MES, cette aide aurait dû être versée directement à l'État espagnol, ce qui aurait contribué à alourdir encore plus sa dette dans un contexte déjà tendu. La recapitalisation directe des banques obtenue par l'Espagne résout cette difficulté. C'est, là encore, un effet positif de ce sommet. En échange, les dirigeants espagnol et italien ont accepté de mener des réformes structurelles d'envergure dans un calendrier strict. En outre, les opérations de marché conduites par le FESF et le MES le seront sous le contrôle de la Banque centrale européenne.

Voilà le constat que l'on peut tirer de ce Conseil européen.

L'étape suivante sera celle d'une union économique et monétaire renforcée avec la mise en place d'une union bancaire telle qu'elle a été esquissée par le président du Conseil, M. Van Rompuy, dans le rapport très clair qu'il a remis aux chefs d'État et de gouvernement quelques jours avant le sommet. Il devra, avec le président de la Commission, celui de la Banque centrale européenne et celui de l'Eurogroupe, remettre, d'ici à la fin de l'année, une feuille de route plus précise pour concrétiser cette nouvelle étape de l'intégration européenne. Celle-ci devra, bien entendu, être établie en concertation avec les États membres, mais aussi, ce qui est essentiel, avec les parlements nationaux.

Un certain nombre de points restent, bien sûr, à préciser dans ce nouveau schéma, comme le rôle de la Banque centrale européenne, et nous devrons veiller, lors de cette négociation, à ce que cet élan européen qui résulte du sommet des 28 et 29 juin ne s'essouffle pas dans des désaccords sur des points très précis, voire parfois quelque peu superflus.

C'est donc une Europe plus forte, une Europe plus solidaire qui ressort de ce sommet. Il est désormais clair pour tous que le fédéralisme politique et budgétaire qu'appellent de leurs voeux depuis bien longtemps les radicaux de gauche n'est plus une option. C'est la seule solution…

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