Lors de la mise en place du Fonds stratégique d'investissement (FSI) en 2009, une stratégie d'investissement avait été définie dont je rappelle les principales thèses : apport de fonds propres permettant aux entreprises de dynamiser leur croissance, souscription au capital d'entreprises en mutation pour accompagner leur transformation ou la consolidation du secteur, stabilisation de l'actionnariat des entreprises disposant de positions concurrentielles solides, et dont les compétences et les technologies sont importantes pour le tissu industriel du pays.
À sa création, l'Agence des participations de l'État (APE) a été conçue non comme une entité pouvant légitimement prendre de manière souple des participations dans le capital des entreprises, mais comme la gestionnaire d'un stock d'actifs issus pour l'essentiel des anciens monopoles. Le FSI, par sa doctrine, avait donc vocation à assurer une intervention plus flexible de l'État auprès des entreprises, en particulier en période de crise.
La formalisation d'une stratégie de l'État actionnaire, sous la forme d'une doctrine, a été une démarche importante réalisée par mon prédécesseur en 2014. Cette doctrine, qui a fait l'objet d'une communication en Conseil des ministres le 15 janvier 2014, a partiellement estompé les différences qui pouvaient exister entre l'APE et les modalités d'intervention de l'ancien FSI, incorporé depuis lors au sein de Bpifrance.
Selon cette doctrine, l'État doit posséder la capacité d'intervenir en fonds propres, à titre majoritaire ou minoritaire, dans des sociétés commerciales, cotées ou non. Il se comporte en investisseur avisé avec une vision stratégique, une appréciation des risques, une capacité d'intervention ou d'anticipation qui lui sont propres. Son intervention doit pouvoir s'inscrire dans la durée, notamment afin de soutenir des projets qui supposent un retour sur investissement différé.
Une réflexion menée en 2013 a permis d'identifier quatre objectifs clairs et explicites qui doivent guider l'intervention de l'État en fonds propres. L'APE doit s'assurer d'un niveau de contrôle suffisant dans des entreprises à capitaux publics stratégiques intervenant dans des secteurs particulièrement sensibles en matière de souveraineté. Elle doit s'assurer de l'existence d'opérateurs résilients pour pourvoir aux besoins fondamentaux du pays. Elle doit accompagner le développement et la consolidation d'entreprises, en particulier dans des secteurs et des filières déterminantes pour la croissance économique. Enfin, elle doit intervenir ponctuellement, dans le respect des règles européennes, dans des opérations de sauvetage d'entreprises dont la défaillance présenterait des risques systémiques. La doctrine de l'État actionnaire prévoit explicitement que celui-ci puisse intervenir aussi bien directement par l'intermédiaire de l'APE qu'indirectement, via Bpifrance.
Dans ce cadre, Bpifrance s'est dotée d'une doctrine d'investissement complémentaire à celle de l'APE. Pour simplifier, quatre grandes complémentarités peuvent être identifiées.
Bpifrance a un rôle de financement de l'économie, au sens où son action doit contribuer à augmenter le volume de financements apportés aux entreprises françaises, tant par l'effet direct de ses interventions que par leur effet d'entraînement lié à la recherche de cofinancement.
Pour satisfaire ce premier objectif, Bpifrance concentre prioritairement son action sur les TPE, PME et ETI, alors que celle de l'APE porte sur un nombre limité de grandes entreprises, les unes cotées, les autres issues des anciens monopoles.
Dans la mesure où Bpifrance intervient en vue de créer un effet d'entraînement, elle recherche systématiquement des co-investisseurs auxquels elle laisse la majorité des parts. À l'inverse, l'APE peut conserver une position d'actionnaire majoritaire, voire unique dans de nombreuses entreprises.
Enfin, Bpifrance poursuit un objectif de rotation du portefeuille d'actifs en synergie avec les co-investisseurs, dans un souci de bonne gestion des risques, de libération de marges de manoeuvre pour financer de nouveaux investissements et de valorisation de son patrimoine. Par conséquent, son horizon de détention est fini, de l'ordre de cinq à sept ans. L'APE intervient dans des entreprises pour lesquelles l'horizon de détention peut être beaucoup plus long, par exemple lorsque l'intervention est guidée par des enjeux de souveraineté.
La complémentarité des deux types d'action mérite cependant d'être nuancée. La question du bon véhicule d'intervention de la sphère publique s'est posée dans certains cas, comme dans celui d'Alstom. Néanmoins, ces hésitations traduisent plus souvent une incertitude sur les raisons de l'investissement – entreprise stratégique, consolidation d'une position, durée de détention – que sur l'outil à utiliser.
Cette complémentarité et ces divergences dans les objectifs ont une traduction concrète en termes d'effectifs. Alors que l'APE dispose d'une cinquantaine de collaborateurs dont un peu moins de quarante cadres opérationnels, Bpifrance Participations possède un personnel plus important avec près de 200 personnes affectées aux questions de participation et d'investissement.
Enfin, au-delà des relations entre l'APE et Bpifrance, l'APE dispose, lors des prises de participations, d'autres interlocuteurs dans la sphère publique, notamment la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Néanmoins, l'APE étant actionnaire de Bpifrance, leur dialogue est intense et fluide.
Bpifrance entretient des relations étroites avec d'autres services de l'État comme la direction générale du Trésor et la direction générale des entreprises, notamment dans le cadre de son suivi, mais le positionnement de l'APE demeure particulier, compte tenu de la proximité de l'action des deux véhicules.
J'en viens aux questions que vous m'avez posées par écrit.
Les grandes entreprises occupent une place à part au sein du portefeuille hérité de la CDC et du FSI que Bpifrance a reçu lors de sa création. En cédant ces participations, Bpifrance opère un mouvement de bascule par lequel elle se dégage des grandes entreprises pour accompagner les PME et les ETI.
L'action de Bpifrance auprès des grandes entreprises se fait principalement au travers de la filiale Bpifrance Participations et du métier fonds propres ETIGE (ETIgrandes entreprises). Au-delà du suivi du portefeuille hérité du FSI, qu'elle assure avec grand professionnalisme – comme le prouvent les résultats pour l'exercice de 2014 –, Bpifrance permet des échanges entre les grandes entreprises et développe des interactions au sein du secteur industriel français, que ces entreprises continuent à marquer de leur présence. Elle s'acquitte ainsi de sa mission de financement de l'économie.
Les échanges entre les services de l'APE et ceux de Bpifrance concernant ces grandes entreprises sont nombreux, afin de rendre l'action publique le plus efficace possible. Le portefeuille de Bpifrance Participations est marqué par une forte présence des entreprises du secteur des télécommunications, via Orange, qui constitue plus de 30 % de la valeur nette comptable du portefeuille des grandes entreprises cotées, mais aussi par le biais d'entreprises connexes à ce secteur, comme Technicolor ou Eutelsat.
Parmi les participations directes héritées du FSI, certaines ont été vendues ; les autres appartiennent encore au portefeuille de Bpifrance, pour des montants relativement importants. Les actifs de l'APE, très différents de ceux de la BPI, composent un inventaire à la Prévert. Ce sont des d'entreprises très diverses, dans lesquelles notre niveau de participation varie considérablement. L'APE est présente dans soixante-quatorze entreprises pour une valeur nette comptable de 110 à 120 milliards, dont 80 dans des entreprises cotées, alors que Bpifrance dispose directement d'environ soixante-dix participations ETIGE pour une valeur nette comptable d'un peu plus de 10 milliards.