Intervention de Axelle Lemaire

Réunion du 18 mars 2015 à 16h00
Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique

Axelle Lemaire, secrétaire d'état chargée du numérique, auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique :

S'agissant de l'accord de Safe Harbor, le gouvernement français demande que cette question soit intégrée aux négociations sur le projet de règlement communautaire concernant les données personnelles. L'étape qui consisterait à demander la suppression de Safe Harbor est donc très loin d'être franchie. Cependant, une renégociation des conditions d'application de cet accord dans un sens plus favorable aux intérêts européens permettrait de répondre en partie aux objectifs que nous poursuivons.

En ce qui concerne l'accord de partenariat transatlantique, je rappelle que c'est le gouvernement français, soutenu par les mobilisations citoyennes, qui a demandé que le mandat confié à la Commission européenne soit transparent. À l'instar du Conseil national du numérique, j'ai alerté mes collègues au sein du Gouvernement et les instances communautaires, sur le fait que, même s'ils ne font pas l'objet d'un chapitre particulier et ne sont donc pas forcément visibles, les enjeux numériques sont omniprésents dans ce traité. Or, ne l'oublions pas, les négociateurs sont des négociateurs commerciaux.

Il faut donc être extrêmement vigilant, d'autant plus – et j'en viens à la question de l'arbitrage – que cette matière ne fait pas l'objet d'une jurisprudence établie. Dans le cadre d'un arbitrage commercial international, les arbitres appliquent la lex mercatoria, qui est un corpus de principes et de règles déterminés par les pratiques commerciales au cours de l'histoire et considérés comme étant intégrables au droit international. Or, ce n'est nullement le cas dans le domaine du numérique : la matière est neuve et elle a, jusqu'à présent, fait l'objet de peu de décisions juridictionnelles. Confier un pouvoir de création jurisprudentielle à des arbitres commerciaux privés présente à mon sens un risque que l'Europe ne devrait pas courir. C'est la raison pour laquelle je ne suis pas favorable à l'insertion, dans l'accord de partenariat transatlantique, d'une clause prévoyant le recours à l'arbitrage pour régler les éventuels différends en matière d'investissements.

Je prends bonne note, monsieur Le Métayer, de votre suggestion concernant la certification des comptes numériques. Quant à la transparence des algorithmes, c'est l'objectif que je poursuis lorsque j'évoque la loyauté des plateformes. Les algorithmes ont en effet un pouvoir de vie et de mort sur les entreprises, puisque la modification de leur référencement peut se traduire par la division par deux de leur chiffre d'affaires. Par ailleurs, on a pu constater, au lendemain de l'attentat contre Charlie Hebdo, que les résultats des recherches sur Google étaient très différents selon que l'on était en France ou dans un autre pays. L'algorithme a donc également un pouvoir sur l'information. La solution ne réside pas dans la censure ou l'interventionnisme, mais dans un renforcement de la transparence pour les usagers.

De manière plus générale, il est reproché au Gouvernement d'entretenir la peur du numérique. Je constate, quant à moi, lors de mes nombreux déplacements dans les régions, que si le numérique suscite la peur, c'est celle d'être exclu si l'on ne maîtrise pas les outils numériques. C'est notamment le cas dans les campagnes, où l'on craint que les écoles ou les services publics ne puissent pas être équipés et que la dématérialisation des procédures administratives exclut ceux qui n'ont pas accès à ces outils ou ne savent pas se les approprier. C'est pourquoi la « littératie » numérique ne concerne pas seulement l'apprentissage du code, mais aussi la simplification de l'accès à l'information, notamment lorsqu'elle est produite par l'État et les administrations, dans une perspective d'égalité. Cet objectif social est fondamental.

Par ailleurs, je n'entends pas s'exprimer des peurs mais, au contraire, une véritable mobilisation. Mes principaux interlocuteurs ne sont pas les grands groupes ; ce sont des acteurs émergents, des responsables de « start up », qui, grâce à l'outil numérique, parviennent à forger leur propre destin, à s'émanciper parfois. Je citerai deux exemples de cette mobilisation. La French Tech est, certes, un label économique, mais elle suscite une dynamique extraordinaire, sur l'ensemble du territoire. Voilà des jeunes qui ont décidé de monter leur entreprise, parfois contre le système et les pouvoirs publics, qui ne les ont pas toujours soutenus, et qui ont réussi, grâce à leurs idées, à leur détermination et au numérique. Ce n'est pas un message de peur mais, au contraire, un message d'espoir ! Je regrette que la société civile et les parlementaires, qui représentent le peuple, ne se saisissent pas de ces enjeux, car le numérique, s'il est bien utilisé, peut être un facteur d'émancipation économique et sociale. Je pense en particulier à l'économie collaborative, aux sites de revente, de covoiturage ou de partage d'appartement. C'est aussi cela, le numérique ! Soutenir ce type d'initiatives qui reposent sur des engagements citoyens, ce n'est pas cultiver l'idéologie de la peur, monsieur Plenel.

Autre exemple : celui de la Grande école du numérique. Ce projet, qui n'est pas celui d'une nouvelle école polytechnique, repose sur un principe nouveau dans la politique française, puisqu'il s'agit de soutenir des initiatives existantes, d'où qu'elles viennent – associations ou entreprises – en labellisant des formations professionnalisantes courtes à destination de jeunes des quartiers, des zones périphériques ou rurales, qui n'ont pas accès au numérique mais ont un intérêt pour ce secteur. La priorité du Gouvernement, ce n'est pas la peur, c'est l'emploi ! C'est pourquoi je veux créer, d'ici à l'automne prochain, au moins 50 fabriques du numérique afin de donner un espoir, une seconde chance, à ces jeunes laissés sur le bord du chemin. J'aimerais que la société civile et la représentation nationale m'aident à porter ce message d'espoir, pour que le numérique ne suscite pas uniquement la peur chez nos concitoyens.

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