Je vous remercie de m'avoir invité à participer, aux côtés du président Monti, à ce très intéressant débat. La question de savoir comment l'on finance le budget communautaire est aussi cruciale pour l'avenir de l'Union européenne que méconnue des citoyens européens. Pourtant, une fois que nous serons sortis de la crise, dans les mois qui viennent, le tout premier problème qui se posera sera le gouffre entre les annonces spectaculaires faites lors des sommets européens et la faiblesse des moyens mis en oeuvre pour financer ces objectifs.
Depuis des années, chaque annonce par les dirigeants d'une grande politique européenne est un mensonge, puisque l'Union européenne n'a pas un euro. Quelques exemples ? On décide que l'agence Frontex prendra le relais de la marine italienne pour contrôler la navigation maritime en Méditerranée ; on tient trois mois, puis il n'y a plus d'argent. Autre chose : à la Tunisie, où s'est rendu le Président de la République française et où se trouvent aujourd'hui le Président du Conseil européen, Donald Tusk, et la Haute Représentante Federica Mogherini, l'Union européenne va annoncer une aide généreuse de plusieurs milliards d'euros. C'est une fable : cet argent n'existe pas.
Il y a aussi le plan Juncker. Ni le président Monti ni moi n'étant habilités à engager le groupe de haut niveau ou le Parlement européen à ce sujet, je suggère, madame et monsieur les présidents, que vous organisiez une réunion expressément consacrée à ce sujet. Je me limiterai à dire qu'il n'y a pas non plus d'argent pour financer ce plan. L'astuce politique, l'excellente idée unanimement soutenue par le Parlement européen et par les gouvernements des États membres – et il est de l'intérêt de tous les Européens que l'objectif visé soit atteint –, c'est de parvenir à convaincre les investisseurs privés de participer à de grands programmes d'investissement traditionnellement publics. Les besoins sont avérés, les projets existent et des masses d'argent considérables sont à la recherche de rendements plus forts que le rendement quasiment nul des investissements à court terme ; seule la confiance fait défaut. Pour l'attirer, un minimum de garantie publique est nécessaire. Il faut pour cela trouver 8 milliards d'euros sur sept années de budget européen, soit un peu plus d'un milliard d'euros par an. On finira par les trouver, mais comment ? Pour garantir de financement de projets d'investissements d'avenir, on amputera le budget de la recherche et celui des infrastructures, également prévus pour des investissements d'avenir, déshabillant ainsi Pierre pour habiller Paul.
En d'autres termes, les politiques européennes sont paralysées par la camisole de force d'un budget communautaire asséché. C'est qu'en proportion du PIB total, le budget européen est inférieur maintenant à ce qu'il était il y a vingt ans. Il représente moins de 1 % du PIB de l'Union européenne, alors même que le Traité de Lisbonne a, et de beaucoup, accru les compétences européennes. Le plus étrange est que le système de financement du budget européen a été complétement modifié sans que jamais la décision politique ait été prise au niveau approprié, celui des ministres ou des chefs d'État, et sans que jamais le Parlement européen et les parlements nationaux aient eu à en débattre. Cela s'est fait par des machinations bureaucratiques subreptices, année après année, au sein des ministères des finances.
Depuis le traité de Rome, il est dit explicitement que les dépenses européennes sont financées par des ressources propres. Il en a été ainsi pendant trente ans, mais depuis vingt ans, progressivement, certaines ressources propres ont disparu, d'autres ont été grignotées par l'évolution économique – ainsi, les droits de douane ne rapportent presque plus rien – et la ressource principale, qui était un point de TVA, a été rognée, année après année, par les ministères du budget. Il en résulte que plus de 80 % de la ressource européenne est à présent issue des contributions directes des budgets nationaux. Cette évolution a pour corollaire la logique fatale du « juste retour ». Il est indispensable d'en finir, car aussi longtemps qu'il y aura vingt-huit Margaret Thatcher autour de la table de négociation, il n'y aura pas de politique européenne possible.
Notre rapport d'étape définit le système actuel tel qu'il est : opaque, inexplicable, totalement inadapté aux besoins et anti-européen, mais aussi injuste et régressif. M. Pierre Alain Muet a dit les mérites que peut avoir une ressource assise sur le revenu national. Cela se concevrait à la rigueur, abstraction faite de l'énorme grief de la recherche du « juste retour », si l'on appliquait ce système proportionnellement ou progressivement. Mais, comme le montre sans équivoque un tableau du rapport d'étape, il est appliqué de manière dégressive : plus grande est la richesse par habitant d'un pays, moins élevée est sa contribution nationale au budget européen. Cela est dû à ce que le Royaume-Uni, dès le premier jour, a obtenu un rabais, puis, quelque temps plus tard, l'Allemagne, la Suède, les Pays-Bas et l'Autriche, et maintenant le Danemark. Les seuls pays qui n'ont rien obtenu sont l'Italie et la France. De ce fait, la France verse chaque année une contribution au budget communautaire augmentée d'un milliard d'euros pour payer sa part du « chèque britannique ». Cela n'est pas su en France ; je souhaiterais qu'il soit dit, lors d'une campagne électorale, que ce système scandaleux et inacceptable doit finir. Je m'y suis employé, mais ma voix n'a pas suffisamment porté.
Comment en sortir ? En reconnaissant la validité du diagnostic posé et en suivant les lignes directrices adoptées, grâce au savoir-faire du président Monti, à l'unanimité par les trois institutions, Conseil des ministres compris, en vue d'une réforme. Il n'y aurait pas de changement de traité : la souveraineté fiscale appartient aux parlements nationaux et il n'est pas question de la transférer au Parlement européen. Il faut simplement, comme les traités en disposent, que l'Union européenne soit considérée, de ce point de vue, comme une collectivité locale, ayant à ce titre le droit de bénéficier de certaines ressources fiscales par décision du souverain fiscal, une fois une assiette définie. Il n'est pas davantage question de modifier le principe de l'équilibre du budget, ni le plafond du budget européen. Mais toute décision portant affectation de nouvelles ressources propres au budget communautaire devant être prise à l'unanimité des gouvernements des États membres, la ratification par les parlements nationaux étant requise, l'exercice, qui est d'une absolue nécessité pour l'avenir de l'Union européenne, est d'une très grande difficulté.
Ce que dit le Président de la République et ce que disent les services du ministère des Finances au sujet de la taxation des transactions financières n'étant pas exactement semblable, j'aimerais, en ma qualité de député européen français, savoir quelle est la position officielle des autorités françaises ; je l'appuierai quand je la connaîtrai.
Pour ce qui est de la taxe « carbone », la prudence s'impose : ne recréons pas un droit de douane sous un autre nom. Si l'on institue une taxe « carbone », on l'applique partout, y compris aux frontières ; comme la TVA, c'est un droit indirect.
Ce qui a été dit au sujet de l'impôt sur les sociétés intéresse beaucoup le président de la commission spéciale sur les rescrits fiscaux que je suis aussi. Vous le savez, cette commission spéciale a été créée après le scandale suscité par les révélations de la presse également connues sous le nom de Lux Leaks, à l'insistance du Parlement européen, pour traiter des conditions insatisfaisantes de la concurrence fiscale au sein de l'Union européenne en matière d'impôt sur les sociétés. C'est un autre sujet dont il faudrait débattre spécifiquement. À titre personnel, je pense que nous devons avoir pour objectif politique d'harmoniser l'assiette de l'impôt sur les sociétés, comme, il y a quarante ans, nous avons harmonisé l'assiette de la TVA, ce dont nous nous trouvons fort bien. Si l'accord politique se fait, il serait logique de consacrer une partie au moins de recettes issues de cet impôt à l'assiette harmonisée au financement des politiques européennes, comme le fait une faible fraction de la TVA.
M. Éric Alauzet a raison : pour espérer convaincre, il faut partir des dépenses et, en l'occurrence, des économies réalisées. Or, nous ne calculons pas suffisamment les économies permises par le transfert de compétences à l'Union européenne. Pour les collectivités locales, la métropolisation consiste à transférer aux métropoles des compétences municipales, ce transfert étant assorti du transfert de moyens puis de personnel. La même philosophie doit présider au transfert de compétences nationales à l'Union européenne, et nous devons recenser toutes les économies que l'Union nous permet de faire, ou devrait nous permettre de faire si nous avions la sagesse, à chaque fois que nous lui transférons des compétences, de réduire notre budget, et d'autant la charge fiscale nationale. Si nous ne procédons pas de la sorte, il sera très difficile de faire accepter l'idée qu'à la fiscalité nationale s'ajoutent des dépenses et des recettes communautaires.