Je sais votre passion pour la Défense nationale, monsieur le délégué général, et rien de ce que je vais dire ne doit être pris comme une attaque à votre encontre. Je suis très inquiet de voir que nous nous apprêtons à recourir à un système tenant de la cavalerie financière. Je reviens d'une mission au Sahel, où j'ai pu constater à la fois l'excellence de nos forces et l'extrême difficulté de leur mission.
Il me paraît évident que nous allons exploser le plafond que constituent les 31,4 milliards d'euros de budget de la défense. Le dépassement lié aux OPEX atteindra au moins 1,2 milliard d'euros – encore s'agit-il d'une évaluation a minima, car l'opération Chammal, impliquant le porte-avions Charles de Gaulle et son groupe aéronaval, va coûter très cher. Il faut y ajouter le coût du plan Vigipirate, prévoyant le renfort de 10 000 militaires, et tenir compte de l'absence des recettes exceptionnelles qui étaient attendues ainsi que des reports de charges. Au total, ces charges supplémentaires vont dépasser les 8 milliards d'euros, ce qui représente la totalité des achats d'équipements de l'armée française – hors nucléaire – pour une année.
Face à ce qui constitue une véritable impasse, le Gouvernement doit reconnaître que nous n'avons plus les moyens de rester dans l'épure de la loi de programmation militaire, et en tirer les conséquences soit en lançant un emprunt national pour la Défense – ce qui peut se justifier au regard de la situation exceptionnelle que nous connaissons, marquée notamment par une montée en puissance de la menace terroriste –, soit en reconnaissant la nécessité de réviser la LPM. À défaut, il ne reste qu'à essayer de trouver des rustines pour préserver tant bien que mal le fonctionnement de la défense de notre pays : le système des sociétés de projet, évoqué depuis plusieurs mois par le ministre de la Défense, me semble s'apparenter à cela. J'ai envie de dire que vous nous présentez le projet d'une défense Cofidis ou Cofinoga.
Or, nous ne devons pas faire abstraction du fait que cette solution repose sur le recours à des crédits extrêmement coûteux. En conséquence, il nous faut nous demander s'il ne serait pas préférable soit de renoncer à l'acquisition de ces armes, soit de mettre en oeuvre d'autres méthodes pour les financer. S'il existe une catégorie de personnes adorant l'idée des SDP, ce sont bien les banquiers et les financiers, qui voient dans les montages à venir une occasion de gagner beaucoup d'argent – ce qui ne sera pas le cas pour le contribuable.
Enfin, autant l'hypothèse des SDP me paraît désastreuse pour le budget de l'État, autant elle me paraît envisageable à l'export, pour faciliter le financement de matériels coûteux à l'exportation – de nombreux pays y ont d'ailleurs recours. Je répète que je suis extrêmement sceptique à l'égard d'un dispositif servant avant tout à masquer les conséquences de l'absence de décision politique sur certains choix majeurs en matière de défense et que, si nous ne parvenons pas à financer les dépenses exceptionnelles auxquelles nous devons faire face – résultant aussi bien des opérations extérieures Chammal et Barkhane que du plan Vigipirate –, nous ferions mieux de le dire clairement aux Français et de revoir la loi de programmation militaire, plutôt que de permettre des constructions financières qui ne sont pas porteuses d'avenir pour notre Défense nationale.