Il y a trois ans, la BPI était encore embryonnaire : c'est donc avec la Caisse des dépôts que j'étais en contact et, dès le départ, nous avons eu des relations quelque peu tumultueuses. Si le dossier que j'ai présenté était atypique, il a néanmoins retenu l'attention de mes interlocuteurs, qui ont tout de suite estimé terriblement dommage d'abandonner les métiers de savoir-faire : ils n'ont pas eu envie de me dire que, s'il était louable et courageux de vouloir les sauver, c'était également irréaliste, lesdits métiers appartenant déjà au passé. Il aurait peut-être fallu qu'ils sachent me dire. Il appartient à la BPI de faire des choix économiques en matière d'accompagnement de tel ou tel type d'entreprises, et peut-être n'a-t-elle pas su faire entendre sa parole à ce moment – mais je ne vais pas me plaindre qu'elle nous ait ainsi donné la chance de vivre l'expérience que nous avons vécue.
Par deux fois, j'ai dû m'exprimer dans les médias pour protester contre le fait que nous ne soyons pas aidés. En conséquence, notre dossier a bénéficié d'une première réouverture, avec un apport de 80 000 euros de la Caisse des dépôts. Si je m'en suis réjouie à l'époque, je regrette aujourd'hui de m'être montrée si innocente. En effet, cette somme était inutile car d'un montant insuffisant : il aurait fallu, dès le départ, prendre la mesure du bon niveau de capitalisation privée et d'apport public. La somme de 450 000 euros dont nous disposions au départ était loin d'être suffisante : il aurait fallu commencer avec deux ou trois millions d'euros, ce qui nous aurait permis de perdre un peu d'argent dans les premiers temps pour en gagner par la suite. Avec le recul, je considère que la Caisse des dépôts aurait dû me dire que commencer avec 450 000 euros n'était pas réaliste.
Mon deuxième contact – avec la BPI, cette fois – m'a permis de rencontrer des acteurs régionaux très engagés, en lesquels j'ai trouvé de vrais soutiens. Cependant, j'ai également ressenti l'effet d'un certain jacobinisme : on ne s'entend pas dire la même chose à Paris qu'en région. À cette époque – il y a environ un an – nous n'avions plus de fonds propres, et la seule solution envisageable consistait à lancer une souscription nationale pour recapitaliser par des fonds privés : ce n'est qu'à cette condition que la BPI consentait à entrer dans le tour de table. J'ai réussi à réunir 750 000 euros de recapitalisation mais cette somme, bien que considérable, n'était toujours pas suffisante, en raison de la sous-capitalisation initiale : nous comptions le moindre sou, alors qu'aucune entreprise ne peut vivre ainsi – pour avancer, il faut savoir dépenser. Au vu de la somme que j'avais réunie, et grâce au petit coup de pouce qu'a constitué le passage de notre dossier par le bureau du ministre du redressement productif, les banques ont accepté de nous prêter 350 000 euros, cet emprunt étant garanti à 70 % par la BPI. Malheureusement, il m'a encore fallu batailler durant six mois avant d'obtenir les fonds promis par les banques, ce qui fait que nous n'avons pu lancer qu'en décembre 2014 notre collection initialement prévue pour le mois de mai. Que de temps et d'argent perdus !
J'avais suggéré à la BPI d'entrer à notre capital, ce qui lui aurait permis d'observer de l'intérieur l'entreprise-laboratoire que nous étions, mais elle n'a pas accepté, ce que je regrette. De même, je déplore qu'après avoir accordé sa garantie d'emprunt, la BPI ne se soit pas assurée que les banques honoraient leurs engagements dans des délais raisonnables. Enfin, alors que Maison Lejaby, notre principal donneur d'ordres, faisait également appel à la BPI, celle-ci a considéré les deux entreprises comme deux entités sans rapport entre elles, alors que nous étions les deux maillons d'une même chaîne. Quand le donneur d'ordres est frappé par la crise russe, son fabricant est déjà quasiment mort : notre atelier, qui devait tourner durant six mois pour fournir Maison Lejaby, n'a reçu des commandes que pour un mois. Je regrette que la BPI n'ait pas su porter un regard sur l'écosystème que nous formions avec notre donneur d'ordres et agir en conséquence : à mon sens, elle aurait dû réunir les parties prenantes, et faire en sorte qu'elles travaillent autrement. Faute d'avoir joué ce rôle, elle a contribué à l'énorme perte d'énergie et d'argent qui a résulté de notre fermeture.