Intervention de Mathieu Gallet

Réunion du 8 avril 2015 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Mathieu Gallet, président-directeur général de Radio France :

Permettez-moi tout d'abord de présenter les personnes qui m'accompagnent : Maia Wirgin, ma directrice de cabinet, Christian Mettot, directeur général adjoint chargé du dialogue social et des ressources humaines et Frédéric Schlesinger, directeur délégué aux antennes et aux programmes de Radio France.

Vous l'avez souligné, monsieur le président, nous en sommes au vingt et unième jour de grève et pour tous ceux qui, comme moi, sont des auditeurs fidèles de Radio France, c'est avec une grande tristesse que, tous les matins, nous ne pouvons écouter nos programmes habituels. Vous me donnez l'occasion de vous présenter le projet stratégique que j'ai remis à la ministre de la culture et de la communication mercredi dernier. Elle m'a répondu vendredi soir et, durant le week-end, nous avons intégré les différentes orientations qu'elle m'a transmises pour pouvoir présenter, en comité central d'entreprise extraordinaire, ce projet pour Radio France.

J'insisterai sur ce projet car les trois semaines de grève nous ont fait oublier le fond du sujet, qui est de permettre à Radio France de se développer au cours des cinq prochaines années, dans le cadre du COM que nous serons amenés à vous présenter. Il s'agit, malgré les contraintes budgétaires, de donner à Radio France tous les moyens de faire vivre le service public de la radio et toutes les possibilités offertes par les nouvelles technologies afin qu'à l'horizon 2020, il soit toujours aussi présent dans la vie quotidienne des Français – je rappelle que, tous les jours, 14 millions d'auditeurs nous écoutent –, mais aussi toujours aussi en phase avec la société française – le service public tel que je le conçois et tel que le sous-tend le projet doit offrir des programmes de qualité au plus grand nombre.

Les grandes lignes du projet stratégique pour les cinq prochaines années que j'ai présentées, avec mon équipe, lors du CCE des 24 et 25 mars derniers, n'offraient pas beaucoup de nouveautés par rapport au projet que j'avais présenté il y a plus d'un an au CSA puisque, comme le législateur l'a souhaité à l'occasion de la réforme de novembre 2013, la nomination à la tête des sociétés nationales de programmes comme Radio France se fait sur la base d'un projet stratégique. Or mon projet avait visiblement convaincu le CSA de son bien-fondé pour à la fois transformer le service public de la radio et préserver ses grandes missions, son esprit, son modèle culturel, tant il est vrai que l'on ne fait pas la même chose dans une radio de service public que sur les chaînes concurrentes. Même si ces dernières offrent de très bons programmes, il y a bel et bien un esprit du service public que j'ai à coeur de défendre, et c'est cet esprit qui m'a donné envie de rejoindre Radio France il y a bientôt un an.

Le projet stratégique est construit autour de quatre axes.

Il s'agit, dans un premier temps, d'élargir les missions de service public, à savoir d'affirmer notre identité de service public, d'affirmer l'identité de nos sept chaînes en intégrant les nouveaux usages numériques, les changements de mode d'écoute de la radio par les Français – je pense aux plus jeunes dont un tiers écoute la radio par un autre moyen qu'un poste de radio, comme une tablette ou un téléphone portable –, en somme de toucher le public le plus large possible.

Le second axe consiste en l'affirmation de la place de l'information, de la musique et de la culture – missions qui se trouvent au coeur de Radio France –, toujours en tenant compte des évolutions technologiques et sociologiques.

Le troisième axe concerne la rencontre avec de nouveaux publics. Radio France, ce n'est pas seulement sept chaînes, quarante-quatre stations locales de France Bleu, deux orchestres, un choeur, une maîtrise, c'est aussi la Maison de la radio. On a pu d'ailleurs constater, au moment de l'incendie du 31 octobre dernier, à quel point les personnels mais aussi les Français étaient attachés à ce bâtiment historique – il a plus de cinquante ans –, sans équivalent : il n'y a pas de Maison de la télévision mais bien une Maison de la radio. Mon but est d'ouvrir ce lieu au plus grand nombre afin que nous rencontrions nos publics traditionnels mais aussi de nouveaux publics – nous avons un magnifique auditorium, le studio 104 a été entièrement rénové, tout comme de nouveaux studios publics. À mes yeux, la Maison de la radio doit devenir, plus largement, une Maison de la culture – figure en effet, parmi nos nouvelles missions, la production de spectacles, de concerts, de tout ce qui fait l'identité culturelle de Radio France.

Le quatrième et dernier axe, la modernisation de l'entreprise et de sa gestion, est peut-être celui qui inquiète le plus. Le rapport de la Cour des comptes, rendu public mercredi dernier, souligne que Radio France est au bout du modèle économique que l'entreprise a toujours connu, un modèle fondé sur une augmentation, chaque année, de la dotation versée par l'État par le biais de la redevance audiovisuelle – appelée contribution à l'audiovisuel public depuis 2009. Cette dotation a crû jusqu'en 2012, puis a baissé avant qu'elle ne soit stabilisée pour les trois prochaines années. Je rappelle que l'État finance Radio France à 90 % via ladite contribution et que les 10 % restants sont liés à la publicité, aux partenariats et à diverses opérations de diversification. Nous sommes par conséquent très dépendants de l'État. Aujourd'hui, ayant intégré pleinement dans mon projet la contrainte budgétaire de l'État et le nécessaire effort de rétablissement des finances publiques, Radio France est obligée de se développer, de se transformer avec des ressources stagnantes.

Dans le même temps, notre modèle de production est aussi notre force, notre singularité puisque, contrairement à France Télévisions, tout est fait en interne à Radio France : rien n'est acheté à l'extérieur, toutes les émissions sont produites par les personnels de Radio France – techniciens, chargés de réalisation, attachés de production, metteurs en ondes, producteurs, journalistes. La crise vient d'un effet de ciseau : les recettes de ce modèle intégré n'augmentent pas – elles ont baissé puis, aujourd'hui, stagnent –, alors que les charges s'accroissent mécaniquement chaque année d'environ 4 millions d'euros, la masse salariale représentant près de 60 % des charges d'exploitation.

Des efforts ont été faits ces dernières années, bien avant que je n'arrive, et il faut les saluer. Or nous devons consentir un effort supplémentaire car, avec la dotation qui nous est attribuée pour les prochaines années, notre déficit, dès 2015, s'élèvera à un peu plus de 21 millions d'euros. Pour rétablir l'équilibre économique de Radio France tout en lui permettant de se développer, notamment à travers le numérique qui ne représente que 1 % du budget global – ce qui n'est pas normal dans une entreprise de médias –, pour qu'elle puisse continuer d'assumer ses missions de service public dans l'excellence, elle doit se transformer. C'est le plus difficile car cette modernisation se traduira notamment, j'y reviendrai, par un plan de départs volontaires, par l'arrêt de diffusion sur ondes moyennes et sur grandes ondes, mais aussi par le développement des recettes grâce à l'arrivée de nouveaux annonceurs publicitaires.

Nous nous trouvons, le mot n'est pas trop fort, à un moment historique de la Maison de la radio qui a absorbé, il y a une dizaine d'années, l'arrivée du numérique sans toutefois changer son modèle de fonctionnement. Or, je le répète, nous devons nous transformer pour nous renforcer. Le projet que je vous ai présenté, qui est aussi celui que j'avais défendu devant le CSA, forcément amendé du fait de la situation économique que j'ai découverte l'été dernier, vise à préserver le service public et même à développer ses missions. Radio France, par exemple, n'a pas de webradio et reste l'un des seuls services publics en Europe à ne pas avoir enrichi son offre hertzienne, son offre FM, d'une offre numérique. Nous avons des besoins, des possibilités, de grandes forces – à savoir nos talents, nos compétences, notre sens de l'innovation qui ont toujours été l'une des clefs du succès du service public. Mais nous devons agir dans le cadre d'un effort qui nous est demandé par l'État – contrainte que j'intègre et à laquelle il faut ajouter un chantier immobilier difficile à vivre. Ce dernier a commencé il y a plus de dix ans et devrait se terminer en 2018. Il est lourd à porter financièrement, la dégradation de notre trésorerie étant d'ailleurs très liée à sa poursuite. Ce chantier, j'y insiste, est pénible à vivre au quotidien pour des personnels qui doivent continuer à produire du son, d'où une grande lassitude. Le chantier pèse donc sur nos comptes mais aussi beaucoup sur l'état d'esprit de la Maison.

Le projet que je viens de vous présenter dans ses grandes lignes et que j'exposerai plus en détail en compagnie de mes directeurs et de mes directrices en CCE tout à l'heure, est vraiment un projet de développement devant permettre à la radio publique de toucher, d'ici à cinq ans, le public le plus large possible tout en maintenant son niveau d'excellence, d'exigence dans un cadre économique qui n'est plus du tout celui qu'on a connu jusqu'à présent. D'où la grande inquiétude, la colère que je comprends – même la colère des grévistes, alors que souvent nous ne sommes pas d'accord. Nous devons affronter un grand défi pour éviter que la radio publique ne décroche de la réalité de la société française, de ses changements culturels, de ses changements sociologiques, technologiques. Nous devons relever ce grand défi pour nous ancrer dans la société française, rester en phase – en miroir – avec elle. Le service public de la radio étant financé par tous, il doit s'adresser à tous.

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