J'ai l'honneur et le plaisir de vous présenter notre rapport annuel. Comme vous l'avez noté, monsieur le président, nous sommes fidèles à notre principe de réactivité. Ce devoir nous est tracé par la loi, aux termes de laquelle le rapport est élaboré durant le premier trimestre de l'année. Ce rapport a fait l'objet d'une délibération en collège, le 18 mars, avant d'être adressé, à la fin du mois, tant à votre commission qu'à de hautes personnalités de la République.
Dans l'exposé liminaire, je m'en tiendrai à l'objet de l'audition, sans ignorer que l'actualité vous conduira sans doute à ne pas limiter vos questions à l'année 2014.
Mon audition s'inscrit dans la continuité des contacts permanents qui me lient à votre commission ou à d'autres instances de l'Assemblée. En 2014, j'ai été auditionné, non seulement le 6 mai, sur le rapport annuel de 2013, mais, le 24 juin, par la commission des Affaires européennes, puis, le 16 octobre, par la commission de réflexion sur le droit et les libertés à l'âge du numérique. J'ai été entendu personnellement par M. Beffara sur les perspectives de la loi de finances pour 2015. Cette année, j'ai été auditionné par votre commission le 13 janvier sur le bilan quadriennal de France Télévisions et, le 31 mars, par la commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes.
Le CSA a remis plusieurs rapports au Parlement. Trois d'entre eux concernent les élections municipales, européennes ou néocalédoniennes. Les autres portent sur des sujets comme la représentation de la diversité à la télévision, l'intensité sonore en télévision ou la concentration du média radiophonique. Début 2015, un rapport a été rendu sur la radio numérique terrestre (RNT).
J'aborderai pour commencer le fait que 2014 est la première année pleine d'application de la loi du 15 novembre 2013. Puis je soulèverai plusieurs questions sur l'avenir de la plateforme TNT et du média radio. J'évoquerai ensuite l'adaptation de la régulation audiovisuelle à l'ère numérique. Enfin, au terme de ce trimestre tragique, je consacrerai quelques minutes à l'affirmation et à l'illustration des valeurs dont vous nous avez confié la garde, au service de la République.
La loi de 2013 a rénové le statut et le fonctionnement de notre institution. Celle-ci, en devenant une autorité publique indépendante, a acquis une plus grande autonomie dans la gestion du budget et une meilleure maîtrise financière, grâce à la fongibilité des crédits de personnel et d'intervention. Cette fongibilité nous permet de mieux nous adapter à nos missions, par exemple en arbitrant entre le recours à des emplois ou à des prestations techniques. Elle nous permet aussi d'organiser un fonds de roulement, grâce auquel nous lissons des investissements sur plusieurs années, ce qui est essentiel dans le dossier de la bande des 700 MHz. Dans un souci de plus grande prévisibilité, nous recourons à des instruments de gestion pluriannuels : gestion des reports, possibilité de mise en réserve, adaptation de l'outil Chorus, qui est assez lourd.
Sur le plan interne, une innovation importante découle de la mise en place, en matière de sanction, d'un rapporteur indépendant, chargé de l'engagement des procédures, selon des modalités arrêtées par décret en décembre 2013. Prochainement, le rapporteur, M. Fraisse, désigné en janvier 2014 par le vice-président du Conseil d'État, présentera ses premiers rapports au collège.
Celui-ci étant resserré autour de huit membres – pardon si j'empiète un peu sur 2015 –, le nombre des formations internes du Conseil a été réduit de vingt-six à dix-neuf. Ce chiffre peut encore paraître élevé, mais il s'accorde à la gamme des compétences que vous nous avez attribuées. Cependant, plus d'un quart des structures internes ont été supprimées, ce qui rend notre fonctionnement plus efficace et plus resserré.
Je soulignerai à présent le renforcement de la dimension économique de la régulation. Nous recourons davantage aux études d'impact. Certaines ont été réalisées dans le cadre des demandes d'évolution du modèle économique de chaînes de télévision payantes ; d'autres ont été engagées en amont d'appels à candidatures pour des services de radio.
D'autre part, nous procédons plus volontiers, comme vous l'avez souhaité, à des évaluations, notamment économiques, avant d'accorder une autorisation d'utilisation de fréquence. Le rapport consacre à cette question un chapitre de 35 pages, ce qui constitue une première dans l'application de l'article 18. L'an dernier, j'avais regretté de n'avoir pu, faute de temps, mener cette étude à bien.
Au cours de ses travaux, le Parlement a fréquemment souligné que le CSA constitue un espace de dialogue, au carrefour des intérêts divers, parfois divergents, du secteur économique essentiel qu'est l'audiovisuel. La meilleure illustration en est probablement le séminaire intitulé « L'audiovisuel, enjeu économique », qui s'est tenu le 2 octobre 2014, et qui a été ouvert par la ministre de la culture et de la communication, et clos par le Président de la République.
Le Conseil a vu ses responsabilités renforcées en matière d'audiovisuel public. Non seulement il a désigné le président de Radio France, mais il a mis en oeuvre sa compétence nouvelle d'avis, prévu par l'article 53 de la loi, sur les rapports d'exécution des contrats d'objectifs et de moyens, tant de Radio France que de France Médias Monde et, en janvier 2015, de France Télévisions. Il a aussi exercé sa compétence de rapport, qui n'est pas nouvelle, sur l'exécution du cahier des charges. Enfin, il a rempli la nouvelle mission que vous lui avez confiée, qui consiste à établir un bilan quadriennal sous forme d'avis motivé sur les résultats des sociétés de l'audiovisuel public. Son rapport sur France Télévisions concerne la période 2010-2014. Je relève à ce stade que le rapport interministériel qui a débouché sur les orientations gouvernementales annoncées le 4 mars 2015 ne comporte aucune dissonance avec celui que le CSA a rendu le 10 décembre 2014.
Ces travaux éclairent les candidats à la présidence de France Télévisions. Un communiqué publié le 1er avril précise que nous avons reçu trente-trois candidatures à cette fonction. Au regard de la vocation particulière du service public, je mentionnerai enfin notre rapport sur l'offre culturelle des chaînes du groupe France Télévisions, publié en juillet.
J'en viens à l'avenir de la plateforme TNT et du média radio, auquel je consacrerai le deuxième temps de mon intervention.
L'avenir de la bande des 700 MHz est un enjeu pour le financement de la création. Le Gouvernement a officialisé sa décision de réallouer cette bande de fréquence, qui représente 30 % de la ressource hertzienne actuellement affectée à l'audiovisuel. Dès le 26 novembre 2014, nous avons émis un avis au Gouvernement, rendu public, qui rappelle l'importance des services de la TNT nationale pour les usagers des médias audiovisuels et le soutien à la production cinématographique et audiovisuelle française. Nous avons souligné les contraintes très lourdes qui pèsent sur cette réaffectation, dont le délai de mise en oeuvre est fixé au 1er juillet 2019, mais dont la première étape doit intervenir dès avril 2016. Alors que le déploiement des six nouvelles chaînes de la TNT autorisées en 2012 n'est pas encore achevé, le Conseil a insisté sur l'importance d'assurer la pérennité de l'infrastructure numérique de très haut débit qu'est la plateforme TNT. Il s'agira, grâce à des mesures que vous choisirez, d'accompagner cette mutation de grande ampleur par l'assistance à l'équipement des foyers, la modernisation des technologies de diffusion et de codage, l'évolution vers la haute, voire l'ultra-haute définition.
Nous sommes déjà confrontés à des décisions très lourdes, notamment pour poursuivre le déploiement des chaînes de la TNT. Le Conseil a décidé un moratoire de la douzième et avant-dernière phase de déploiement des nouvelles chaînes, initialement prévue le 7 avril 2015 dans le département de la Savoie. Au terme d'une consultation que nous avons organisée du 21 janvier au 23 février, il est apparu que les multiplexes R5 et R8 étaient mis en cause. C'est ce qui nous a conduits à préconiser un moratoire sur le déploiement des douzièmes et treizièmes phases à l'automne 2015, dans l'attente des décisions du Parlement, et à lever ce moratoire pour le multiplexe R7. J'insiste sur les conséquences de cette réaffectation, tant pour l'audiovisuel que pour l'économie et l'emploi. La situation économique des multiplexes et des diffuseurs peut se trouver gravement mise en cause. Le CSA a d'ailleurs alerté le Gouvernement sur l'importance de prévoir des mesures de compensation.
Une nouvelle consultation publique sera lancée dans les prochains jours, afin de présenter aux acteurs de l'audiovisuel la ressource rendue disponible à compter d'avril 2016 et de recueillir leur contribution, la modification du barème des millièmes attribués au sein des multiplexes aux différentes chaînes de la TNT et l'ensemble des conséquences économiques liées à la délivrance des nouvelles autorisations.
J'en viens à l'avenir du média radio. Nous vous avons adressé un rapport sur la modernisation du régime de la concentration, dont la régulation constitue une de nos missions centrales. Il faut préserver le pluralisme des services de radio, sans pour autant compromettre le dynamisme économique des acteurs, dont dépend l'existence d'une pluralité d'opérateurs.
Le dispositif actuel de régulation de la concentration présente selon le CSA plusieurs limites. Le plafond de concentration de 150 millions d'habitants est issu d'une réflexion basée sur des hypothèses technologiques, démographiques et techniques qui datent de 1994, alors que la population française et le parc de fréquences disponibles ont augmenté depuis. La méthode de calcul et l'indicateur de couverture ont progressé avec l'évolution des recommandations méthodologiques internationales, ce qui peut provoquer un manque de continuité dans les résultats. Défini sur un périmètre national, le plafond n'intègre pas les enjeux locaux du pluralisme, pourtant essentiel, et le dispositif de régulation de la concentration dans son ensemble ne prend pas en considération les nouveaux modes de consommation de la radio, de plus en plus utilisés par les Français.
Le Conseil a proposé au Parlement d'examiner différentes pistes d'évolution, notamment l'indexation du plafond sur l'évolution démographique, le changement de cet indicateur et la mise en valeur de plafonds locaux.
Par ailleurs, nous avons poursuivi l'optimisation de la diffusion analogique, que la saturation de la bande FM rendait nécessaire. Nous avons engagé une campagne de densification du spectre, basée sur une concertation relative aux principes à suivre pour le choix des zones géographiques, qui doit faire l'objet d'un appel à candidatures, et sur l'analyse des principes techniques de planification des fréquences. Nous avons lancé des appels à candidatures dans le ressort des comités territoriaux de l'audiovisuel (CTA) de Lyon et de Caen. Nous avons reproduit cette démarche en début d'année pour le CTA de Marseille et de la collectivité de Corse.
En ce qui concerne la progression de la diffusion numérique, nous avons constaté en octobre que treize des quatorze multiplexes de la RNT autorisés dans les zones de Marseille, Nice et Paris en 2013, étaient entrés en service. Ils diffusent quatre-vingt-dix-neuf programmes, essentiellement selon la norme DAB+ (Digital Audio Broadcasting), adoptée en août 2013. L'année 2014 marque le lancement concret de ce mode de diffusion, sans qu'on puisse préjuger du rôle que tiendra la RNT, entre le socle historique de la modulation de fréquence et la radio sur IP (Internet Protocol) de plus en plus utilisée, notamment au moyen d'applications mobiles.
Nous avons considéré qu'il appartenait au régulateur de mettre en oeuvre, tout en veillant à la préservation des équilibres du secteur, la volonté exprimée à quatre reprises par le législateur de développer la plateforme RNT en France. En 2015, le Conseil poursuivra ce développement en préparant le lancement de nouveaux appels à candidatures notamment dans les zones où des expérimentations sont en cours et ont donné pleinement satisfaction et dans les principales agglomérations frontalières, où l'offre de radio est manifestement limitée, surtout pour des questions de coordination internationale, difficiles à résoudre. Nous poursuivons d'autres études sur les modèles de distribution nationale, les technologies hybrides de diffusion Broadcast Broadband et la RNT dans les territoires d'outre-mer. Nous envisageons une consultation publique sur l'opération d'élargissement.
La troisième partie de mon intervention porte sur l'adaptation de la régulation audiovisuelle à l'ère du numérique. Le 2 décembre, nous avons rendu un avis, important à nos yeux, sur le projet de décret portant modification du régime de contribution à la production d'oeuvres audiovisuelles des services de télévision. Sur ce texte, qui a été soumis à la consultation du Conseil d'État, le Gouvernement n'a pas encore rendu sa décision. Nous avons insisté sur l'importance de ménager un équilibre entre le rôle des producteurs, qui voient leur fonction garantie juridiquement, et celui des éditeurs, qui peuvent être appelés à intervenir lorsque le producteur ne dispose pas, pour l'oeuvre, d'une capacité de distribution assurant des conditions de commercialisation équivalentes.
Si sensibles que nous soyons à l'impératif de circulation des oeuvres, en vue de laquelle nous avons proposé plusieurs mesures, nous sommes conscients, comme le Gouvernement, que, dans le cadre de l'application de l'innovation qu'instaure la loi du 15 novembre 2013 sur les parts de producteurs susceptibles d'être détenues par les éditeurs, la réflexion a vocation à s'élargir, pour engager une réforme d'ensemble du régime de soutien à la production audiovisuelle.
J'insiste sur l'importance d'agir à l'échelon européen. Au printemps dernier, le Gouvernement a engagé une consultation publique sur les services de médias audiovisuels à la demande (SMAD), qu'un texte doit prochainement assouplir et développer. Le 14 avril, les vingt-huit membres du Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (European Regulators Group for Audiovisual Media Services, ERGA) seront réunis à Paris, où ils aborderont des thèmes essentiels. Le CSA leur a proposé une déclaration sur la liberté d'expression, sur laquelle ils ont un rôle à jouer.
Nous continuerons nos travaux sur divers sujets : les conditions de l'indépendance des régulateurs au sein de l'Union européenne, la protection des mineurs, la compétence matérielle, avec notamment l'apparition de cette nouvelle catégorie d'acteurs que sont les distributeurs, et la compétence territoriale, c'est-à-dire la problématique de l'application des règles du pays d'origine ou du pays de diffusion. Le CSA a obtenu, en plus de celle de l'ERGA, la présidence du groupe de travail dédié à cette question.
Je conclurai sur notre rôle au service des valeurs de la République, qui vient d'être violemment agressée. Le législateur nous a confié pour mission de combattre toutes les formes de discrimination et de contribuer activement à la cohésion sociale. À ce titre, nous avons signé, le 24 novembre, une convention de partenariat avec le Défenseur des droits. Notre tâche est également de promouvoir l'égalité par la compensation des handicaps, qui s'est traduite par la signature de deux chartes : l'une, le 11 février 2014, pour la formation et l'insertion professionnelle des personnes handicapées dans le secteur de l'audiovisuel, l'autre, le 15 janvier, pour la qualité de la langue des signes à la télévision.
Nous avons aussi appliqué les prescriptions de la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. Notre délibération du 2 février 2015 précise, dans l'optique de coordination voulue par le législateur, les critères d'appréciation susceptibles de contribuer à la lutte contre les préjugés sexistes.
Nous veillons à mettre en lumière, dans les médias audiovisuels, la richesse de notre lien social et de notre langue. Ainsi, nous avons organisé un colloque, le 9 décembre 2014, sur les jeunes et les médias. Le 16 mars, lors de la semaine de la langue française, nous avons eu l'initiative d'un autre colloque, sur les services de radio et de télévision. J'espère que vous avez eu l'occasion d'écouter les messages diffusés dans ce cadre à la télévision et, ce qui est nouveau, à la radio.
Se rassembler et rassembler, les chaînes de télévision l'ont fait autour du message « Nous sommes la France », le 14 juillet dernier. Ce message sera réitéré et enrichi également à la radio. Cette année, nous menons une action pour prendre en compte le fait qu'après l'école, les médias jouent un rôle essentiel pour maintenir et développer la cohésion de la communauté nationale. Le CSA a pris l'initiative d'écrire aux chaînes de télévision pour leur proposer une réunion, le 28 mai, en vue d'examiner des propositions susceptibles d'être mises en oeuvre avant l'été, et de préparer le colloque du 6 octobre sur la diversité.
Nous mènerons ces actions dans une démarche constante de mobilisation des télévisions et des radios, et d'implication de tous les acteurs de ce qu'on nomme la « chaîne de valeurs de l'audiovisuel », tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de notre territoire. Au premier rang de ces valeurs, figure notre attachement à la liberté d'expression et de communication, au pluralisme et à la diversité des médias, ainsi qu'au rayonnement de la création. Vous pourrez compter sur le CSA tout au long de cette année pour prolonger et amplifier les actions mentionnées dans le rapport. Je signale particulièrement notre souci de maintenir l'assise économique de la régulation audiovisuelle, et de faire en sorte que la TNT puisse se développer, y compris dans le secteur payant, alors que les produits qu'offre la TNT payante connaissent une restriction préoccupante dans un monde où la place de la télévision payante est en questionnement permanent.