Intervention de Laurent Neyret

Réunion du 7 avril 2015 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Laurent Neyret, professeur des universités en droit privé à l'université de Versailles-Saint-Quentin :

Son exposé des motifs pourrait comporter une référence au principe constitutionnel du pollueur-payeur ainsi qu'à la directive de 2004 afin de nous mettre en conformité avec la législation européenne. Puis serait introduit dans le code civil un chapitre ou un titre spécifique intitulé « De la responsabilité civile environnementale », comprenant les articles 1386-19 et suivants. Il serait intéressant, parce que les rédacteurs du code civil ont su le faire et parce que c'est la responsabilité du législateur que de marquer les consciences en énonçant des principes généraux de justice, de prévoir dans un premier article que « toute personne qui cause un dommage à l'environnement a l'obligation de le réparer ». Ce type d'énoncé est clair et simple, et traverse les années.

Viendrait ensuite la déclinaison de ce principe. Il conviendrait notamment de préciser que les dispositions de la proposition seraient instituées sans préjudice des règles existant par ailleurs, notamment dans le code de l'environnement et d'imposer une articulation entre ces différentes normes. Serait alors énoncée une définition, la plus resserrée possible, de la notion de préjudice écologique afin de bien préciser que celui-ci est réparé sans préjudice de la réparation des dommages causés aux personnes et au patrimoine. En effet, un dommage causé aux ostréiculteurs ou aux professionnels du tourisme ne relève pas du préjudice écologique. Cette loi serait donc aussi l'occasion de préciser que le préjudice écologique est réparé en sus de la réparation des préjudices classiques.

À ce propos, il ne me semble pas que la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères énonce en son article 1er un principe général. Comme je l'ai expliqué à son auteur, lorsque je présenterai ce texte à mes étudiants, je vais avoir du mal à leur fournir une définition du devoir de vigilance des entreprises, dans la mesure où le premier article entre d'emblée dans une forme de réglementation très administrative. Avant de présenter les modalités d'application d'un dispositif, il convient d'en rappeler avec force le principe. Pourquoi ne pas énoncer un principe général de vigilance ? Et pourquoi faire référence à un « plan de vigilance » à l'article 1er quand il est question, dans le titre du texte, de « devoir de vigilance » ? Enfin, cette proposition de loi est rattachée au code de commerce et non au code civil. C'est pourquoi, du point de vue symbolique, et afin de garantir la pérennité du texte, ces éléments auraient pu être amendés.

Pour en revenir à la proposition de loi consacrant un préjudice écologique, viendrait ensuite un article énumérant la liste des personnes ayant intérêt à agir, comprenant les personnes publiques intéressées, les collectivités territoriales et leurs groupements et les associations et fondations. Et l'on irait plus loin que le droit en vigueur qui ne vise que les seules associations agréées. D'aucuns objecteront que l'on risque de ce fait d'entraîner un encombrement des tribunaux. Or, dans le cadre d'une procédure civile, toute action abusive est sanctionnée. De surcroît, compte tenu de leurs moyens financiers, j'ai rarement vu des associations intenter des actions abusives en la matière.

Puis seraient reprises les dispositions de la proposition de loi Retailleau qui font l'unanimité : l'énoncé du principe de réparation en nature, et, à titre subsidiaire, si cette réparation est impossible ou excessive, l'énoncé du principe de réparation par compensation pécuniaire, à condition de rendre obligatoire l'affectation de cette réparation à la cause environnementale.

Si certaines associations se montrent réticentes vis-à-vis de ce texte, c'est qu'elles craignent qu'on leur retire le bénéfice de dommages-intérêts alors qu'elles agissent sur le terrain. Or elles confondent le préjudice d'atteinte à l'intérêt statutaire qu'elles ont pour objet de défendre avec le préjudice écologique, qui sera pris en compte indépendamment du précédent. Ainsi, dans l'arrêt Erika, la LPO s'est vu indemniser son préjudice personnel ainsi que son préjudice économique, puisqu'elle avait investi dans des lessiveuses pour nettoyer les oiseaux et dans la diffusion de fascicules spécialisés. En sus, cette association a également touché 300 000 euros au titre du préjudice écologique. De même, le département du Morbihan a obtenu un million d'euros d'indemnités.

Plutôt que de voir un département réinsuffler ces réparations dans son budget général pour construire, par exemple, un parking près d'une dune, on pourrait l'obliger à affecter ces sommes à la réparation du préjudice écologique, d'autant que les collectivités territoriales savent le faire. Lors de l'audience devant la cour d'appel de Paris, le représentant de la région Bretagne avait clairement indiqué que, si la région se voyait indemniser le préjudice écologique subi, cela lui permettrait de financer son plan d'action de protection du massif dunaire. Et si une association ou une collectivité n'a pas les moyens d'utiliser ces sommes, ces réparations pourraient être affectées, à titre subsidiaire, à un fonds qui se chargerait de les redistribuer.

Enfin, serait traitée dans cette proposition de loi la question de la sanction et de l'amende civile pour faute grave, l'idée étant de gratifier les bons élèves en leur faisant comprendre qu'ils ont raison de respecter l'environnement. La chambre commerciale de la Cour de cassation a d'ailleurs considéré l'an dernier, dans une affaire opposant une entreprise qui respectait le droit de l'environnement et une société concurrente qui n'avait pas respecté l'obligation de formuler une demande d'autorisation administrative, que ce non-respect constituait un acte de concurrence déloyale. Voilà un signe lancé en direction de ceux, nombreux, qui respectent l'environnement. L'amende civile n'a pas pour objet de stigmatiser celui qui aurait mal compris la loi, mais de sanctionner celui qui a commis une faute grave lucrative, parce qu'il savait que violer la loi lui rapporterait davantage que de la respecter.

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