Mes chers collègues, je vous remercie de m'accueillir au sein de votre Commission en tant que rapporteure de la proposition de loi relative au droit de préemption des salariés. Ce texte, qui crée un droit nouveau pour les salariés, vise à répondre à un besoin exprimé encore ce matin par les employés de Gaillon, qui souhaitent pouvoir reprendre leur entreprise afin d'éviter sa délocalisation. Les chefs d'entreprise et les syndicalistes que nous avons auditionnés estiment du reste que, pour assurer le maintien des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME), la piste du rachat par les salariés doit être explorée.
Le Conseil économique, social et environnemental indique dans un avis du 22 janvier 2013, que le modèle coopératif doit être modernisé afin de faciliter la reprise d'entreprise par les salariés. Celle-ci, ajoute-t-il, ne doit pas être réservée aux entreprises en difficulté, le modèle coopératif, notamment les sociétés coopératives et participatives (SCOP), peut apporter plus globalement une réponse à l'enjeu de la transmission de PME saines.
Chaque année, 17 000 entreprises, employant entre cinq et cent salariés font l'objet d'une transmission. Or, des milliers d'emplois sont détruits à cette occasion, soit parce que l'entreprise cesse ses activités faute de repreneur, soit parce qu'elle passe sous le contrôle d'acquéreurs dont la préoccupation est d'accroître leurs marges au détriment des emplois voire de délocaliser. Ainsi, nombreux sont les salariés qui subissent les ventes et reventes de leur entreprise et leur cortège subséquent de licenciements économiques.
Avant la loi du 31 juillet 2014, dite « loi Hamon », relative à l'économie sociale et solidaire, aucun dispositif n'offrait aux salariés de véritable possibilité d'intervenir sur le choix du repreneur ou de prendre part à la vente. La proposition de loi qui vous est soumise s'inscrit dans le prolongement de ce texte en renforçant le droit de préemption des salariés. Ce faisant, elle répond à la préconisation du Conseil économique, social et environnemental qui, dans son avis précité, prône « l'application d'un droit de reprise préférentiel aux salariés repreneurs dans le cas spécifique de fonds prédateurs dont l'action se solde par des destructions massives d'emplois et de savoir-faire dans les territoires ».
L'acquisition de TPE ou de PME par les salariés constitue en effet une solution efficace pour l'avenir de ces entreprises. De fait, ces derniers sont attachés au maintien de l'emploi, ne sont pas tentés de délocaliser et connaissent le fonctionnement de l'outil de production et du marché. Ce dispositif favorise donc le maintien des entreprises et de l'emploi dans nos territoires.
Si la proposition de loi laisse ouvert le choix de la forme juridique sous laquelle l'entreprise sera reprise, nous espérons que la structure coopérative sera privilégiée. Les sociétés coopératives sont soumises à des règles qui imposent que les résultats soient affectés en priorité à la pérennité des emplois et du projet d'entreprise. Leur mode de gouvernance démocratique permet, en outre, de faire valoir les intérêts de la majorité des coopérateurs salariés. La transformation en coopérative équivaut ainsi un changement de modèle qui a bien des vertus. J'ajoute qu'économiquement, les coopératives ont fait leurs preuves puisque, selon la Confédération générale des SCOP, leur taux de pérennité à trois ans est de 77 %, contre 65 % pour l'ensemble des entreprises françaises, tandis que leur taux de rentabilité est identique voire légèrement supérieur à la moyenne.
La création d'un droit de préemption des salariés provoque un bouleversement culturel tel que leur formation et leur accompagnement ainsi que la formation et l'accompagnement du cédant sont nécessaires. On sait, en effet, qu'il est difficile pour un dirigeant de se séparer de son entreprise et, pour les salariés, d'envisager même de la gérer. Or, les acteurs que nous avons auditionnés soulignent combien l'anticipation, le temps de préparation du projet de reprise et l'accès au financement sont décisifs pour la réussite du projet. Certains d'entre eux ont par ailleurs suggéré des pistes de financement, qui vont du recours facilité à l'épargne salariale à l'extension des avantages fiscaux prévus dans la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 dite « Dutreil II ». Ces pistes méritent d'être explorées pour compléter la proposition de loi.
Cette dernière s'inscrit dans le prolongement des articles 18 à 20 de la loi « Hamon », qui créent un droit d'information des salariés sur les possibilités de reprise au moment de la cession de l'entreprise. Ainsi l'article 2 de la proposition de loi vise-t-il à permettre au comité d'entreprise de se faire assister d'un expert-comptable pour étudier un projet de reprise, et aux salariés d'accéder à la base de données économiques et sociales en cas d'offre de vente. Il sera possible de discuter ensemble d'un projet de reprise grâce à la création d'une heure mensuelle d'information syndicale. Il s'agit de consolider la procédure d'information afin d'accroître les chances de reprise par les salariés.
L'article 1er de la proposition de loi vise, quant à lui, à ajouter une étape à cette procédure d'information, en permettant aux salariés qui n'ont pas acheté le fonds de commerce ou les parts de l'entreprise au moment où ils ont été informés de la vente de rester prioritaires. Lorsqu'un employeur trouve un acquéreur, il doit le notifier aux salariés, les informer du prix et des conditions de la vente, et leur donner un accès aux documents comptables. Les salariés ont ensuite deux mois pour se substituer au nouvel acquéreur et devenir propriétaires de l'entreprise. L'opération est sans effet sur le chef d'entreprise vendeur, puisque toutes les clauses contractuelles demeurent inchangées à l'exception du nom de l'acheteur. La procédure est relativement simple et connue ; c'est celle d'une préemption.
La proposition de loi adopte l'ensemble des critères de la loi relative à l'économie sociale et solidaire : son champ d'application est le même ainsi que la taille des entreprises visées par le dispositif.
Certains se sont interrogés sur la constitutionnalité de la proposition de loi. Ainsi Mme la secrétaire d'État au Commerce a-t-elle fait allusion, hier, en réponse à une question d'actualité posée par le président André Chassaigne, à la décision du Conseil constitutionnel sur la loi n° 2014-384 du 29 mars 2014 dite « Florange ». Cependant, le droit de préemption que nous proposons d'instituer ne porte atteinte ni au droit de propriété ni à la liberté d'entreprendre. Comme le précise le Conseil constitutionnel, « il est loisible au législateur d'apporter aux conditions d'exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et à la liberté contractuelle, qui découle de son article 4, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi. » Or, je rappelle que notre Constitution protège le droit de chacun à avoir un emploi et que le combat contre le chômage et les délocalisations est un objectif d'intérêt général indiscutable.
De surcroît, cette proposition de loi est très en retrait par rapport au contrôle des structures en matière agricole, par exemple, ou à la loi « Dutreil II » précitée, qui autorise les communes à préempter des fonds de commerce et des baux commerciaux en faisant diminuer leur prix par le juge. Quant à nous, nous ne proposons rien de tel. Le propriétaire est respecté ; il n'est ni exproprié ni spolié ; il vend parce qu'il le veut au prix qu'il veut.
Mes chers collègues, cette proposition de loi a pour ambition de contribuer à la préservation des entreprises, notamment des TPE et des PME, donc de l'emploi, sur l'ensemble du territoire afin d'y maintenir une activité économique et sociale.