Intervention de Chantal Guittet

Réunion du 15 avril 2015 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChantal Guittet, rapporteure :

Mes chers collègues, je vous remercie de m'accueillir au sein de la commission des Lois pour vous présenter cette proposition de loi très attendue par les entreprises exportatrices, dont je rappelle qu'elles contribuent à la réduction du déficit de notre balance commerciale et sont soumises aux rigueurs de la compétition internationale.

La proposition de loi participe de la volonté du Gouvernement de lever les obstacles législatifs et réglementaires auxquels les entreprises sont confrontées. Elle ne menace aucun droit, ne marque aucun recul ; il s'agit d'un simple ajustement technique dont devrait résulter un accroissement des commandes pour nos entreprises, donc, à terme, des créations d'emploi.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi de modernisation de l'économie (LME) en 2008, le délai de paiement entre les entreprises ne peut excéder quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d'émission de la facture. Toutes les transactions entre entreprises françaises sont soumises à cette règle, sauf si elles concernent des denrées périssables. Le dépassement du délai est sanctionné, aux termes de l'article L. 442-6 du code de commerce, d'une amende de 15 000 euros pour les particuliers et de 375 000 euros pour une personne morale.

Cette disposition, qui vise à éviter qu'une grande entreprise ne mette en péril les PME qui la fournissent en réglant ses factures en retard, pose toutefois un problème aux entreprises qui vendent à l'international. Le droit international, en l'occurrence la convention de Vienne de 1980, laisse en effet une complète liberté de choix aux parties pour la fixation des délais de paiement, sous réserve que personne ne soit lésé dans la négociation. Quant au droit européen, il fixe, par une directive du 16 février 2011, un délai de soixante jours tout en laissant aux cocontractants la possibilité de s'entendre, à condition qu'il n'y ait pas d'abus.

Ainsi, alors que la France ordonne un délai de quarante-cinq jours fin de mois ou de soixante jours à compter de la facture, le reste du monde, notamment certains pays européens comme la Belgique, laisse une entière liberté aux commerçants. L'entreprise française subit un effet ciseau : elle doit payer ses fournisseurs immédiatement et accepter d'être rémunérée par ses clients plus tard pour s'adapter au marché international. Une telle situation, outre qu'elle entraîne des frais de trésorerie, nuit à la compétitivité de nos entreprises, leur fait manquer des contrats et détruit des emplois.

Les exportations indirectes réalisées par les sociétés de négoce indépendantes atteignent un montant de 36 milliards d'euros par an. Ces 4 600 entreprises comptant plus de 35 000 salariés, ainsi placées dans une situation de faiblesse concurrentielle, sont finalement incitées par le code de commerce à choisir un fournisseur européen, dont les délais de paiement sont négociables, plutôt qu'un fournisseur français. Selon les Opérateurs spécialisés du commerce international (OSCI), chaque fois que les négociants indépendants substituent à 1 % de leurs achats auprès des producteurs français des achats à l'étranger, 360 millions d'euros de chiffre d'affaires sont perdus par les usines et les agriculteurs français et entre 3 500 et 7 000 emplois quittent le territoire national. Cette hémorragie doit cesser !

C'est pourquoi la proposition de loi vise à dispenser les entreprises de « grand export », c'est-à-dire exportant hors de l'Union européenne, de l'encadrement des délais de paiement issu de la loi de modernisation de l'économie. Dans l'Union européenne, la directive de 2011 déjà évoquée apporte, malgré ses défauts, un début de réponse satisfaisante.

Cette initiative est saluée par les entreprises qui exportent, mais elle inquiète leurs fournisseurs, qui redoutent de voir la charge de trésorerie se reporter sur eux. Il faut entendre cette inquiétude.

À cet égard, le texte initial excluait déjà les grandes entreprises exportatrices du bénéfice de la dérogation, d'abord pour prévenir les clauses abusives et l'abus de domination, ensuite parce que ces entreprises ont un certain poids dans les négociations internationales ou peuvent trouver des solutions pour financer leur trésorerie. Mais, pour apaiser les craintes des fournisseurs, je vous proposerai par amendement d'assouplir, plutôt que de supprimer, l'encadrement réglementaire, en concédant des délais de paiement un peu plus longs aux entreprises exportatrices : quatre-vingt-dix jours à compter de la facture si le fournisseur est une PME et cent vingt jours s'il s'agit d'une grande entreprise. Nous offririons ainsi plus de liberté aux exportateurs tout en maintenant le contrôle auquel sont attachés leurs fournisseurs.

La législation actuelle constitue de fait un véritable barrage à l'achat des productions françaises destinées au grand export, donc à la valorisation du « made in France » à l'international. Les productions étrangères se voient en effet conférer un avantage comparatif évident à cause d'une malheureuse distorsion légale. Nous vous proposons de rendre à nos entreprises la possibilité de lutter à armes égales avec leurs concurrentes internationales, sans pour autant sacrifier la sécurité économique apportée aux fournisseurs par la loi de modernisation de l'économie.

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