Intervention de Laurence Rossignol

Réunion du 14 avril 2015 à 17h00
Commission des affaires sociales

Laurence Rossignol, secrétaire d'état chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie, auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé :

Lorsque j'ai ouvert ce dossier, j'ai acquis assez vite la conviction que la protection de l'enfance était l'angle mort des politiques publiques. Comme cette politique est confiée aux départements, elle obéit aux règles constitutionnelles de libre administration des collectivités territoriales. C'est par ailleurs rarement un sujet de débat politique. En effet, je n'ai jamais vu un conseiller départemental se faire élire ou réélire en mettant au coeur de la campagne électorale la question de la protection de l'enfance. On sait tout sur les ronds-points, mais peu sur la protection de l'enfance. Cela montre bien le secret qui entoure les politiques de protection de l'enfance. Il faut les extraire de cet angle mort.

Comme les départements conduisent les politiques qu'ils veulent dans le cadre des compétences qui leur sont données, on aboutit à une diversité des politiques, c'est-à-dire à une diversité des points de vue. Permettez-moi de dire que l'essentiel ne se joue sans doute pas dans la loi. Certes la loi doit exister, car elle manifeste la volonté politique, l'intérêt de l'État à se porter garant du sort des enfants, mais l'essentiel se joue dans les pratiques professionnelles et les doctrines sur lesquelles s'appuient les élus mais aussi les services des conseils départementaux. De fait, on peut toujours faire une loi, mais dans quatre ou cinq ans on s'apercevra qu'elle est diversement appliquée, comme toutes les précédentes.

M. Vlody a évoqué la place des assistants familiaux. Font-ils ou non partie des équipes des travailleurs sociaux ? Oui, en tout cas, c'est ce que prévoit la loi de 2005. Mais leur inclusion ou non dans les équipes des travailleurs sociaux dépend de la volonté des uns et des autres. Si l'on veut améliorer les choses, il faut pouvoir retrouver la volonté politique de l'État dans la politique que mène le département. En la matière, les élus doivent jouer tout leur rôle. Je suis partie du principe que si l'on ne faisait pas travailler tout le monde ensemble, cela ne servirait à rien de modifier la loi. Il est indispensable que les deux mouvements soient concomitants et complémentaires.

Certains orateurs sont troublés par les lacunes qui existent en matière de repérage de la maltraitance. La Haute autorité de santé a publié il y a quelques mois un avis dans lequel elle considère que la maltraitance des enfants est une question de santé publique, ce qui n'était pas le cas auparavant. Quand vous discutez avec différents acteurs, notamment avec les médecins dont on a remarqué qu'ils font peu de signalements par rapport au nombre de personnes et de familles qu'ils voient, on sent un certain malaise où se soupèse le lien de confiance avec la famille et la nécessité de transmettre des informations préoccupantes. Vous avez déploré que certains signalements ne soient pas suivis d'effet. Mais on touche là au secret. On ne peut pas en effet partager le secret avec le parent d'élève qui a été alerté parce que son fils est « copain » avec un enfant qui lui aura raconté certaines choses. Cela dit, en la matière on peut néanmoins incontestablement améliorer la situation. Les observatoires départementaux de la protection de l'enfance permettent de réunir les acteurs et ainsi de mieux travailler. Par ailleurs, les CRIP ont permis de progresser.

Mme la rapporteure me demande pourquoi le Sénat a supprimé certains articles. Le Conseil national de la protection de l'enfance a été supprimé par une espèce de rigueur que je qualifierai d' « anti-machin ». Or l'absence de coordination des différents acteurs et d'élaboration d'une doctrine commune de la protection de l'enfance justifie la création de ce conseil. Si l'Assemblée nationale propose de rétablir l'article 1er, j'y serai très favorable.

L'article 7 qui prévoyait la validation du projet pour l'enfant par une commission pluridisciplinaire a été supprimé en raison de la charge de travail supplémentaire que risque d'entraîner cette mesure. Seul un peu moins de 15 % des enfants protégés par l'ASE bénéficient d'un projet pour l'enfant. Les travailleurs sociaux estiment que c'est compliqué, qu'ils n'ont pas le temps, bref ce n'est pas dans leur culture. D'où l'idée de créer un référentiel. Monsieur Dord, nous avons procédé à des comparaisons, notamment avec le Québec. Mais comme l'approche culturelle des autres pays est parfois assez orthogonale par rapport à la nôtre, il est difficile de s'en inspirer. D'abord, les travailleurs sociaux n'aiment pas les référentiels. Contrairement aux Québécois, ils n'aiment pas avoir une grille d'identification. Il faut donc travailler avec eux sur la conception d'un tel référentiel.

Les doctrines sont un peu différentes selon les pays, notamment sur la manière dont on coupe ou non les liens avec la famille biologique. Dans certains pays, on ne s'encombre pas de certaines questions, on ne s'interroge pas, par exemple, sur la place de la famille biologique et des différentes figures d'attachement autour de l'enfant. Du coup, leurs politiques d'adoption sont infiniment plus rapides que les nôtres. En France, l'histoire de la protection de l'enfance est faite de grands mouvements de balancier successifs. Jusque dans les années quatre-vingt, le respect de la famille biologique ne dominait pas la protection de l'enfance. La direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) n'était pas toujours très attentive à cette notion. Depuis le rapport Bianco-Lamy, on a assisté au mouvement de balancier inverse : tout est fondé sur les parents, sur l'autorité parentale. Il nous faut parvenir à placer le curseur du balancier au bon endroit, sans repartir dans l'autre sens, c'est-à-dire celui d'avant 1980.

Certains aimeraient que l'on retire les enfants des parents biologiques et que l'on favorise l'adoption, que l'on « prenne les enfants des pauvres pour les confier aux riches ». La pauvreté est une maltraitance sociale de ces familles mais ce n'est pas la maltraitance des enfants dans la famille. Certains courants de pensée considèrent que la famille biologique est l'alpha et l'oméga de la vie qu'on doit offrir à un enfant. Il faut donc parvenir, dans un contexte sensible, à trouver le bon équilibre en sachant qu'il faut être prudent dans la loi.

Madame Poletti, s'agissant du repérage précoce, l'entretien pendant la grossesse doit être davantage centré sur le « repérage » car c'est le moment où l'on peut aider à construire le lien. Sinon, on risque d'aboutir au placement de l'enfant et à ces fameux aller et retour dommageables dont on a parlé tout à l'heure.

L'irrévocabilité de l'adoption simple pourrait constituer une solution pour bon nombre d'enfants pour lesquels la vie dans la famille d'origine n'est pas possible. L'adoption simple est insuffisamment utilisée dans notre pays en raison de sa révocabilité. Le texte initial de la proposition de loi proposait l'irrévocabilité de l'adoption simple, c'est-à-dire une stabilisation de l'adoption simple car actuellement n'importe quel membre de la famille de l'adopté peut demander la révocation de l'adoption simple. Cette situation est donc extrêmement précarisante tant pour l'adoptant que pour l'adopté. Je suis favorable au rétablissement de l'article 12.

S'agissant des jeunes majeurs, je suis en train de réfléchir à une ou deux propositions. Le code de la famille et de l'action sociale prévoit déjà que l'accompagnement va au-delà de dix-huit ans, c'est-à-dire à vingt et un ans. Toutefois, l'application de cet article est différente d'un département à l'autre car il n'est pas très directif. Or on ne peut pas le rendre totalement directif. Je vous proposerai des amendements qui prévoient que le jeune majeur soit suivi et qu'un travail soit fait avec lui avant la rupture. Je précise que certains conseils départementaux font des choses formidables en matière d'accompagnement des jeunes majeurs.

Les mineurs isolés étrangers relèvent, comme les autres mineurs, de l'aide sociale à l'enfance. Ce sont des mineurs. C'est d'ailleurs toute la noblesse de la loi française de les traiter d'abord comme des mineurs. Il existe des problèmes en ce qui concerne leur répartition sur l'ensemble du territoire. Je proposerai un amendement afin de donner une base légale à la circulaire Taubira et faire en sorte que les départements prennent leur part de manière équitable. Paris est l'une des villes les plus sollicitées sur la question des mineurs isolés étrangers.

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