Intervention de Jean-Claude Casanova

Réunion du 10 avril 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Jean-Claude Casanova :

Je me permettrai, tout au long de mon propos, quelques remarques historiques car je ne suis pas complètement d'accord avec l'exposé de mon collègue et ami Michel Winock.

Je ne cesse de répéter que la loi électorale est la loi la plus importante en démocratie. Elle est, d'une certaine manière, la loi constitutionnelle essentielle – ce qui a été affirmé pour la première fois, clairement, par Montesquieu dans De l'esprit des lois, et repris en 1824 par un des plus grands parlementaires du XIXe siècle, Royer-Collard, selon qui toute modification du mode de scrutin était une atteinte à la partie démocratique de la Constitution. L'idée est mal admise en France : si vous ouvrez les traités de droit constitutionnel, la loi électorale ne figure pas dans les premiers chapitres, alors qu'elle est essentielle à tous les points de vue.

Ensuite, le choix de la loi électorale conditionne la forme politique que l'on veut donner à un régime. Je prendrai plusieurs événements importants. Michel Winock a fait allusion à la « loi Constans » de 1889 rétablissant le scrutin uninominal d'arrondissement à deux tours. Il s'agit d'une particularité française : il n'existe nulle part en Europe. Le procédé selon lequel l'élection comporte deux tours vient de la Restauration, qui l'a elle-même emprunté au mode d'élection ecclésiastique. Les grands inventeurs des systèmes électoraux, dans l'Occident européen, sont en effet les ordres religieux qui ont peaufiné, à partir du XIIe siècle, tous les systèmes électoraux possibles, avec l'idée que la succession des tours provoquait un affinement du jugement électoral. Dans certains ordres religieux, on procédait même à un dernier tour à l'occasion duquel tout le monde votait de la même façon que la majorité obtenue au tour précédent, afin de montrer que, par la progression des esprits, on atteint l'unanimité, sortant de ce fait de la division.

Les politiques de la Restauration souhaitaient, quant à eux, un second tour pour permettre la concentration des droites – car déjà apparaissaient des tensions entre légitimistes, orléanistes et bonapartistes.

Sous la IIe République, le scrutin de 1848 et de 1852 est le scrutin de liste. Le parti républicain considère que l'opposition des listes, c'est l'opposition des idées, alors que le scrutin uninominal d'arrondissement est favorable aux notables. La doctrine républicaine implique le scrutin de liste qui sera repris par Waldeck-Rousseau – un grand républicain.

Le Second Empire rétablit d'ailleurs le scrutin d'arrondissement qui devient le scrutin préfectoral et ministériel par excellence, à savoir le scrutin que le Gouvernement, via les préfets, manipule au profit des notables et des candidats officiels. C'est pourquoi, quand il revient au pouvoir, après la chute du Second Empire, le parti républicain réclame le retour au scrutin de liste. Le malheur, c'est que l'homme qui en a le plus profité fut Boulanger. Non seulement on avait à l'époque la possibilité de se présenter en plusieurs endroits – Boulanger pouvait ainsi faire figurer son nom sur différentes listes – mais l'esprit de ce scrutin favorisait la montée du boulangisme. Constans, quoique radical, est revenu au scrutin du Second Empire, à savoir au scrutin non républicain. Cela montre bien que le mode de scrutin est utilisé en fonction des objectifs politiques que l'on veut atteindre.

Le général de Gaulle explique très clairement dans ses Mémoires – tome III, page 445 – pourquoi il choisit la proportionnelle en 1945 : non seulement le scrutin d'arrondissement s'était révélé catastrophique compte tenu des résultats de la IIIe République au début de la guerre de 1939, mais il aurait permis le succès du Parti communiste. En effet, le scrutin majoritaire est favorable à tout parti qui avoisine 30 % des suffrages. Si, demain, le Front national approche 30 % des voix, je connais un grand nombre de gens qui vont brusquement abandonner leur soutien au scrutin d'arrondissement pour se mettre à défendre le scrutin proportionnel. C'est d'ailleurs Benito Mussolini qui, en 1923, rétablit le scrutin d'arrondissement majoritaire qui donna l'élan permettant au parti fasciste de triompher aux élections de 1924, élections parfaitement libres auxquelles se présentèrent le parti communiste, le parti socialiste, le parti libéral et tous les autres, mais remportées par le parti fasciste avec plus de 60 % des voix, succès encore amplifié par le scrutin majoritaire qui donna à Mussolini une majorité écrasante à la Chambre des députés.

Donc, j'y insiste, on choisit le mode de scrutin en fonction des situations, et son effet est décisif sur les résultats obtenus.

J'en reviens à l'opposition, désormais classique, entre scrutin dit majoritaire et scrutin proportionnel. Le mot « majoritaire », ici, est d'ailleurs mal choisi puisque ce scrutin ne permet pas le gouvernement des majorités, mais permet à celui qui rassemble le plus de voix d'être élu. Du reste, dans le français exact d'autrefois, on parlait de « pluralité » et non de majorité. Les Britanniques n'emploient pas l'expression de scrutin majoritaire, mais définissent leur mode de scrutin par une métaphore hippique : the first past the post. Dans l'Europe d'aujourd'hui, seuls deux pays élisent leurs assemblées législatives au scrutin majoritaire : le Royaume-Uni et la France. Tous les autres ont des systèmes proportionnels, qu'il s'agisse de la proportionnelle intégrale ou de la proportionnelle mixte. Et la singularité française est totale puisque le scrutin majoritaire est à deux tours.

Le système britannique n'a jamais varié et le souhait d'une fraction de la population, au milieu du XIXe siècle, que soit instauré le scrutin proportionnel n'a jamais obtenu satisfaction. La puissance du système britannique s'explique par l'homogénéité de la classe politique. L'expression the first past the post le traduit admirablement. Si les Britanniques prennent une métaphore hippique pour désigner l'élection, ils signifient par là que c'est un sport ; il faut choisir celui qui va diriger selon la méthode de sélection la plus simple : celui qui est en tête, est « en charge » – mais il appartient à la même catégorie que celui qui n'est pas en tête. Notons au passage l'élimination des catholiques de la vie politique britannique. Les catholiques représentent quelque 15 % de la population, mais jamais il n'y eut de Premier ministre catholique au Royaume Uni, alors qu'en France, où la minorité protestante ne représente que 3 % de la population, un nombre considérable de protestants ont été chefs de gouvernement, de Necker à Rocard – ce qui en dit long, au passage, sur le libéralisme anglais comparé au libéralisme français. Le système majoritaire est donc considéré au Royaume-Uni comme naturel.

Les États-Unis d'Amérique vont l'adopter et le conserver, mais l'immensité du territoire rend les comparaisons impossibles avec les pays européens.

Le grand défenseur de l'introduction de la proportionnelle en Angleterre au XIXe siècle est le plus grand intellectuel de gauche de l'époque, John Stuart Mill, qui affirme que ce mode de scrutin est plus juste puisqu'il permet à tout le monde d'être représenté alors que le scrutin en vigueur conduit par définition une minorité à gouverner – d'ailleurs, jamais aucun parti ne recueille plus de 40 % des voix. Reste que le parti minoritaire gouverne souvent dans le cadre d'une coalition – c'est le cas de 40 % des gouvernements anglais. Stuart Mill a été battu en brèche par le grand constitutionnaliste anglais Walter Bagehot dont l'argument, étrange, n'en était pas moins assez profond : si vous modifiez le système des circonscriptions, vous introduisez la manipulation électorale dans la Constitution. Pour lui, le système des circonscriptions était le système naturel de l'Angleterre, il s'imposait aux électeurs. Cet argument très conservateur – au sens propre du terme – continue de l'emporter dans l'esprit britannique où c'est encore le système du XIXe siècle qui est en vigueur, le suffrage universel ayant été bien sûr étendu depuis.

J'entends régulièrement objecter aux partisans du scrutin proportionnel que le scrutin majoritaire assure la stabilité des gouvernements. Je n'ai pas observé d'instabilité gouvernementale en Espagne, en Allemagne, en Suisse, pays qui pratiquent la proportionnelle depuis près d'un siècle. D'autre part, le scrutin d'arrondissement à deux tours a été celui de la IIIe République, c'est-à-dire de la période politique française où il y a eu la plus grande instabilité gouvernementale. Il n'y a donc pas de relation étroite entre la stabilité gouvernementale et le mode de scrutin.

Je plaide d'abord pour le scrutin proportionnel pour une raison de justice. Il garantit, dans un système représentatif, à tous les électeurs d'être représentés, y compris les électeurs minoritaires. Les défenseurs du scrutin majoritaire avancent que les minoritaires sont représentés par la diversité des circonscriptions. C'est en partie vrai. Certes, on peut imaginer un Parlement composé des seuls candidats d'un même parti arrivés en tête dans les quelque 600 circonscriptions, alors qu'avec 48 % des voix les candidats du parti adverse ne seraient pas du tout représentés. Toutefois, la diversité de la répartition des populations – les régions ouvrières votent plus à gauche que les régions agricoles, la Bretagne, longtemps un fief de droite à cause du catholicisme, est devenue un fief socialiste… – permet aux minorités d'être représentées. Reste que la proportionnelle est la garantie que toutes les opinions le soient.

J'en reviens à la stabilité : les pays où le scrutin proportionnel est en vigueur ne sont pas instables. L'instabilité gouvernementale des IIIe et IVe Républiques a été résolue par ce qu'on appelle le parlementarisme rationalisé – droit de dissolution, encadrement des procédures de vote… En Allemagne, le parlementarisme rationalisé fonctionne parfaitement et, à ma connaissance, il n'y a eu depuis un demi-siècle aucune crise ministérielle bien que des élections aient lieu tous les quatre ans, rythme qui crée une rotation démocratique plus rapide que dans les autres pays européens. Aussi l'argument de la stabilité, honnêtement, ne tient-il pas.

En ce qui concerne la France, je m'arrêterai sur la doctrine électorale du parti socialiste, fixée par Jean Jaurès, bien entendu proportionnaliste, et reprise par Léon Blum dans un texte de 1926 dont je vous recommande infiniment la lecture. Le système mixte allemand peut se réclamer du texte de Léon Blum, inspiré d'Étienne Weill-Raynal, puisqu'il prévoit également qu'une moitié des candidats est élue au scrutin majoritaire et l'autre au scrutin de liste. Dans le système défendu par Blum, les élus à la proportionnelle sont choisis parmi les candidats au scrutin majoritaire, alors que le système allemand prévoit deux bulletins de vote, les députés élus au scrutin proportionnel l'étant à partir de listes établies par les partis et dans un cadre régional.

Pourquoi Guy Mollet n'a-t-il pas conservé la doctrine Blum ? C'est que le scrutin d'arrondissement est excellent pour les partis en position centrale – à condition que les « ailes » ne soient pas trop fortes –, ce qui était le cas de la SFIO dès lors que le parti communiste était puissant, et ce qui est le cas de l'UMP aujourd'hui. D'ailleurs, en 1958, Guy Mollet n'a pas réclamé le retour à la proportionnelle. Les socialistes français sont ainsi les seuls en Europe à se montrer favorables au scrutin majoritaire, tous les partis socialistes, depuis le début du XXe siècle - de même, donc, que l'Internationale socialiste – se déclarant favorables à la proportionnelle.

Je suis pour ma part favorable à un système à l'allemande tout en ajoutant aussitôt être certain qu'il ne sera pas adopté. François Mitterrand a établi la proportionnelle départementale en 1985 pour les élections de 1986. Si le RPR et l'UDF n'étaient pas revenus au scrutin majoritaire dans les deux années qui ont suivi, ils auraient gagné les élections suivantes, ce qui prouve bien que, comme le disait Raymond Aron, « les hommes font l'histoire mais ne savent pas l'histoire qu'ils font ». François Mitterrand a profondément regretté de ne pas avoir rétabli la proportionnelle lorsque le Parti socialiste est revenu au pouvoir. J'ai eu l'occasion de m'en entretenir avec lui, lui rappelant que son Premier ministre, Michel Rocard, était contre la proportionnelle ; à quoi François Mitterrand m'a répondu : « Vous savez, quand on a cru à l'autogestion yougoslave, on peut croire n'importe quoi. » On peut faire varier les effets du scrutin proportionnel. Ainsi, certains pays pratiquent la proportionnelle intégrale, comme en Israël. D'aucuns estiment que c'est une erreur mais, si Israël n'avait pas ce mode de scrutin, les électeurs arabes joueraient un rôle déterminant dans les élections, et je ne connais aucun Israélien sérieux qui y soit favorable, car ce système neutralise les minorités qui seraient susceptibles, autrement, d'avoir de l'influence.

Inversement, en réduisant la taille des circonscriptions à l'échelle départementale, dans un département comptant en moyenne cinq députés, deux appartiendront à un parti important, deux autres au parti important adverse et un député viendra de l'extrême gauche ou de l'extrême droite. Ainsi, la proportionnelle départementale a donné à François Mitterrand, en 1986, l'Assemblée la plus proche possible, par sa composition, de l'Assemblée précédente, et la moins défavorable au Parti socialiste. Et quand il regrette, au cours de son dernier conseil des ministres, qu'on n'en soit pas revenu à la proportionnelle, il avertit ses ministres que seulement une cinquantaine de députés socialistes seront élus en 1993, ce qui s'est du reste vérifié, au lieu de cent ou cent dix si l'on avait conservé le mode de scrutin antérieur. La proportionnelle départementale est proche du scrutin majoritaire ne donne pas des résultats fondamentalement différents, mais assure une relative stabilité des partis.

Que donnerait, en France, la combinaison des scrutins majoritaire et proportionnel ? Ce serait le scrutin idéal, car il assurerait l'identification d'une circonscription avec certains hommes – on est élu par tel parti et en tant que tel – alors que la proportionnelle intégrale, à l'israélienne, éloignerait l'élu de l'électeur. Je rappelle que la proportionnelle fournit en Allemagne d'excellents parlementaires : Helmut Kohl a toujours été élu par le scrutin de liste et il a été un remarquable chef de gouvernement, d'une grande autorité, d'une grande sagesse. Prétendre que les représentants des partis seraient moins valables que les élus de terrain – vieil argument en faveur du scrutin d'arrondissement – est une plaisanterie. En effet, les circonscriptions sont en général distribuées par les partis – c'est le cas britannique par exemple : le parti travailliste, ou le parti conservateur, sélectionne ses candidats et donnera une « bonne » circonscription à tel ou tel qui aura des chances de devenir ministre. Partout les partis prédominent dans le choix des candidats. Bien sûr, ils cherchent de préférence des gens qui ont des liens avec le lieu où ils se présentent, mais un très grand nombre de candidats élus sont des parachutés.

L'instauration en France d'un système mixte ou de la proportionnelle intégrale impliquerait presque inévitablement la constitution d'une coalition. Il est plus difficile en effet avec ce système qu'un seul parti obtienne la majorité absolue à l'Assemblée. Incontestablement, les présidents de la Ve République trouvent agréable d'avoir un seul parti majoritaire. J'ai vécu de près, dans l'entourage de Raymond Barre, la situation d'un gouvernement qui n'avait pas la majorité absolue et qui usait abondamment de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution. Il y a une tendance française à considérer que la majorité est la majorité d'un parti au Parlement. Ce n'est toutefois pas garanti, même par le calendrier électoral en vigueur. Même si François Hollande était réélu, il n'est pas certain qu'il aurait une majorité absolue et il gagnerait à réfléchir à l'établissement d'un système plus proportionnel. La proportionnelle, donc, implique dans les faits une coalition, ce qui est le cas dans la plupart des parlements qui nous entourent.

Je suis favorable aux coalitions pour deux raisons.

Mon premier argument est d'ordre moral. C'est celui qu'invoque Léon Blum dans son texte de 1926 : avec ce mode de scrutin, les candidats disent leur vérité, disent ce qu'ils pensent. Ils ne feront pas semblant de parler comme les électeurs dont ils sollicitent les suffrages – sur leur droite ou sur leur gauche – alors qu'au fond ils ne pensent pas comme eux. Blum estime par conséquent que le système proportionnel améliore la moralité de la vie politique. Il a raison, car la moralité s'accroît en même temps que la sincérité des propos, laquelle peut être mesurée de façon empirique : y a-t-il une différence entre les propos publics et les propos privés ? Lorsque cette différence est nulle, lorsque les hommes politiques vous disent la même chose en privé que ce qu'ils vous disent en public, le degré de moralité de la vie politique en est amélioré. Au contraire, lorsqu'ils vous donnent raison en privé sur la nécessité de prendre telle ou telle décision, tout en regrettant de ne pouvoir dire la même chose en public, l'hypocrisie et le mensonge augmentent et la moralité diminue. Je reste donc convaincu que la proportionnelle améliore la moralité de la vie publique.

Bien entendu, pour former une coalition, les partis doivent établir un contrat sur la manière dont ils gouverneront. Dans le cas allemand, sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates ont négocié pendant un mois et ont publié un document de 150 pages qu'ils vont respecter scrupuleusement et qui correspond très exactement à la politique que mènera le chancelier. Le cas britannique diffère quelque peu. Les Anglais sont très roués en politique – ils sont sans doute les meilleurs politiques d'Europe avec les Italiens. Ainsi, si vous examinez le contrat entre le parti libéral et le parti conservateur, non pas avec la naïveté des premiers mais avec l'oeil des seconds, vous comprendrez qu'il a vocation à « rouler » les libéraux, qui du reste seront écrasés aux prochaines élections. Les Allemands sont de ce point de vue plus moraux : leur contrat ménage les deux parties. En France, avec un tel système, si au moins 30 ou 40 % des députés étaient élus à la proportionnelle, une coalition se formerait et donnerait au Président de la République la majorité parlementaire dont il aura besoin.

Mon second argument en faveur des coalitions est politique. Tout le monde affirme que la France jouit d'une grande stabilité politique. Est-ce si sûr ? Si vous étudiez l'histoire constitutionnelle, connaissez-vous beaucoup de pays européens où le Président de la République part en hélicoptère voir un général à Baden-Baden ? Connaissez-vous beaucoup de pays européens dans lesquels une loi est votée par le Parlement, validée par le Conseil constitutionnel, promulguée par le Président de la République, publiée au Journal officiel et remplacée, quinze jours après, par une autre loi ? Je ne connais aucun autre pays européen affecté d'une telle instabilité législative. Le manifestant est d'ailleurs en France un acteur constitutionnel presque aussi important que le député : il fait incontestablement reculer les gouvernements.

Ce pays qui croit avoir un exécutif très fort n'est pas capable, par exemple, de modifier les droits d'inscription dans les universités, alors même qu'un cavalier budgétaire des années 1950 donne au Gouvernement le pouvoir de fixer ces droits lui-même – au mépris, soit dit au passage, de toutes les lois qui proclament l'autonomie des universités !

Si la France a un exécutif relativement faible par rapport aux autres pays européens, c'est parce que les majorités politiques y sont relativement faibles, et si ces majorités politiques sont relativement faibles, c'est parce qu'elles ne sont pas assez larges. Le Président de la République et le Gouvernement sont en effet aujourd'hui en grande difficulté parce que la politique qu'ils défendent n'est soutenue que par 20 à 25 % de la population ; or le contrat proportionnel permet d'élargir une majorité au sein du Parlement, au point d'être représentative de la majorité du pays.

La IIIe République le percevait bien, qui avait inventé un mot qui me convient parfaitement, celui de « concentration », pour désigner des gouvernements assis sur le centre gauche et le centre droit – ainsi le gouvernement Poincaré de 1928, qui a mené des réformes sociales et tenté de restaurer la stabilité économique et qui comprenait à la fois Herriot et Millerand. Les réformes Poincaré, sans la concentration, n'auraient pas été possibles, pas plus que les réformes allant dans le même sens engagées en 1938. La fièvre électorale passée, la concentration permettait de gouverner avec une majorité représentant 60 % de la population. L'un des drames historiques de la France est en effet que son extrême gauche comme son extrême droite sont trop fortes et qu'on ne peut que très difficilement gouverner avec elles. Sans doute ces gens sont-ils désintéressés, patriotes, sans doute ont-ils le sens de la justice sociale mais ils proposent des politiques inapplicables. La IVe République avait en ce sens raison : on ne pouvait gouverner ni avec les gaullistes, ni avec les communistes. Je précise au passage que si le général de Gaulle avait joué le jeu des apparentements, il aurait gagné les élections de 1951. La loi sur les apparentements n'est pas responsable de l'échec des gaullistes : c'est le refus du général de Gaulle de passer des accords qui en est la cause.

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