Intervention de Alain-Gérard Slama

Réunion du 10 avril 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Alain-Gérard Slama :

Je souhaite, cher Jean-Claude, vous interroger en grande partie sur l'argument historique que vous invoquez. Sans aucun doute y a-t-il un lien entre le mode de scrutin et le fonctionnement d'un régime ; sans aucun doute y a-t-il instrumentalisation d'un mode de scrutin. Toutefois, sous la Ve République, cette instrumentalisation n'a pas été intentionnelle ; elle est apparue alors qu'au départ de Gaulle ne savait pas trop s'il préférait la proportionnelle ou le scrutin majoritaire et que Michel Debré hésitait à imiter le modèle britannique de scrutin majoritaire à un tour. Le mode de scrutin est le résultat de la conjonction entre la décision d'élire le Président de la République au suffrage universel direct et l'élection à l'Assemblée d'une majorité rattachée à la personne du Président, certaines forces se reconnaissant dans la politique annoncée par lui et s'y ralliant. Or c'est cela qui ne fonctionne plus aujourd'hui.

Autrement dit, le système a été obéré par le quinquennat, qui suscite une identification de plus en plus grande entre le pouvoir du Président de la République et le parti politique qui le soutient. Il n'est ainsi plus le président de tous les Français, mais un chef de parti. Je sais bien que ce « président de tous les Français » est une fiction, mais la volonté générale l'est tout autant. Chaque pays a son modèle et celui de la France implique qu'une volonté générale est censée se manifester, s'exprimer, à travers le vote majoritaire – qui n'est précisément pas celui d'un seul parti. C'est du moins ce qui ressortait de la bipolarisation de la vie politique française.

Le mode de scrutin est-il vraiment, aujourd'hui, le principal problème ? N'est-ce pas plutôt cette coïncidence de plus en plus grande entre l'élection du Président et celle d'une majorité partisane d'autant plus récusée, en tant que telle, que le parti en question est de moins en moins visible et de moins en moins sensible ? Le problème, par conséquent, n'est-il pas avant tout celui du statut du Président de la République, de l'acceptation de la fiction selon laquelle il est le président de tous les Français ? Après tout, Giscard d'Estaing avait l'ambition de dépasser le clivage droite-gauche et parlait de réunir deux Français sur trois. Même Chirac, avec son obsession de la paix civile, qui a été l'un des thèmes conducteurs de sa non-action politique – je n'ai pas dit : inaction –, a également tenté de dépasser ce clivage, on le lui a assez reproché.

Enfin, je ne suis pas très convaincu par l'argument en faveur du principe de coalition. Dans le modèle français, une coalition apparaît en effet comme une trahison. Je rejoins la question posée par Michael Foessel et cela a été le problème principal de la IIIe République : des majorités gouvernementales qui ne reflétaient pas la majorité électorale. Une coalition ne risque-t-elle pas précisément d'être cette éternelle incertitude, cette éternelle inconnue qui fait qu'au pays de Descartes on a tendance à dire : élections-trahison ?

Plutôt que de s'intéresser à la réforme du mode de scrutin et d'introduire un peu de proportionnelle – soupape sans doute souhaitable, dans des limites que vous-même fixez d'ailleurs assez bas –, ne faudrait-il pas réfléchir à l'idée d'un septennat non immédiatement renouvelable – ce qui serait plus intelligent dans la mesure où l'opinion peut se tourner vers des hommes à même à ses yeux de trancher des problèmes insolubles ? Ne faudrait-il pas en outre réfléchir à ce scandale de nos institutions – inachevées – à cause duquel le Président peut dissoudre sans que sa responsabilité soit de facto et à aucun moment engagée – sauf, certes, par lui-même, mais il est rare qu'il l'ait voulu ?

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