Intervention de Marie-Anne Cohendet

Réunion du 10 avril 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Marie-Anne Cohendet :

Dans les manuels de droit constitutionnel, on revient tout de même abondamment sur les modes de scrutin, et j'y accorde pour ma part de très longs développements en montrant bien qu'un mode de scrutin fonctionne de façon différente suivant l'organisation des institutions et suivant le système de variable déterminante, c'est-à-dire toute une série d'éléments qui tiennent notamment aux moeurs, à la tradition, à l'histoire… et du fait desquels on perçoit différemment les institutions.

On soutient toujours qu'en France le mode de scrutin en vigueur garantit la stabilité. Ce n'est pas le cas : sous la Ve République, la durée moyenne d'un gouvernement est inférieure à dix-huit mois, ce qui n'est pas très brillant. Aussi, je vous rejoins sur ce point, monsieur Casanova, il n'y a pas de corrélation mathématique entre instabilité gouvernementale et scrutin proportionnel. Ce lien, hâtivement établi en France, me semble, j'y insiste, objectivement faux, et je partage l'avis de Michel Winock : sous les IIIe et IVe Républiques, l'instabilité ministérielle s'expliquait par le fait qu'on ne portait pas au pouvoir le leader de la majorité. Or, en Allemagne et en Espagne, le chef du gouvernement est élu par les députés, procédure qui me paraît favoriser la stabilité et atténuer les effets de la proportionnelle, facteur auquel on peut ajouter la taille des circonscriptions et la fixation d'un seuil.

J'étais auparavant tout à fait favorable au scrutin majoritaire, et c'est en étudiant le droit comparé, avec toutes les précautions nécessaires, que je me suis rendu compte que notre appréhension de la proportionnelle était fausse et négligeait le fait qu'elle assure une meilleure représentation de toutes les opinions. J'aimerais d'ailleurs savoir si nous disposons de données relatives à une éventuelle corrélation entre mode de scrutin et taux d'abstention. En effet, l'un des principaux problèmes actuels est que les Français ne se sentent pas représentés et que les grands partis sont trop éloignés de leurs opinions.

Je suis favorable au système prôné par Blum ou à celui en vigueur en Allemagne. Reste le risque, déjà évoqué, d'alliances nouées après les élections, comme on l'a vu à l'issue des élections régionales en France il y a plusieurs années. C'est le point noir de la proportionnelle : on ne connaît les alliances qu'après les élections. Comment l'éviter ? Bastien François propose un scrutin proportionnel à deux tours ; je souhaite connaître votre sentiment sur ce point, comme sur la possibilité d'apparentements.

La grande puissance des extrêmes en France, évoquée elle aussi, ne s'explique-t-elle pas précisément par le scrutin majoritaire ? Les Français, considérant qu'ils ne sont pas représentés par les grands partis, rejettent la classe politique et votent pour des partis hors système. La proportionnelle n'atténuerait-elle pas ce phénomène ?

Dans tous les autres pays de l'Union européenne dans lesquels le Président de la République est élu par le peuple – soit la moitié de ces pays –, le scrutin législatif est proportionnel ou mixte. À mon sens, cela affaiblit quelque peu le chef de l'État. En France, nous étions d'ailleurs plusieurs à insister sur le fait que le scrutin majoritaire favorisait la cristallisation de la majorité autour du Président de la République, alors qu'elle devrait s'opérer autour du chef du Gouvernement.

Je ne suis pas totalement convaincue pour ma part de la nécessité de constitutionnaliser le mode de scrutin, même s'il est vrai que celui-ci, dans la plupart des pays, est inscrit dans la Constitution, au moins dans ses grands principes. En tout état de cause, il est facile de le modifier en France puisqu'il suffit de changer la loi ordinaire. Reste qu'il paraît opportun de réfléchir très sérieusement à l'adoption d'un scrutin à l'allemande.

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