La démarcation, dans l'absolu, ne se situe pas entre les partisans du scrutin majoritaire et ceux de la représentation proportionnelle. Vous avez très justement fait observer, monsieur Casanova, vous référant à Montesquieu, qu'il s'agissait d'un problème de régime. Au fond, la raison d'être du scrutin majoritaire, aujourd'hui et depuis les débuts de la Ve République, et c'est ce qui explique sa pesanteur, est qu'il s'accorde avec l'interprétation présidentialiste des institutions. Or, si l'on touche à l'un, on modifie l'autre. Si l'on introduit une dose de proportionnelle dans ce régime, on ira dans le sens d'un affaiblissement ou d'un affadissement de l'institution présidentielle ou de l'interprétation présidentialiste des institutions.
Il n'y pas lieu, de ce point de vue, de se faire ni guelfe ni gibelin. Les partisans de la proportionnelle doivent garder à l'esprit ce qui s'est passé en 1986 qui n'est pas nécessairement un mauvais précédent et les partisans du scrutin majoritaire doivent s'interroger sur leur relation à l'institution présidentielle. Au fond, nous n'en n'avons pas fini avec cette dernière : même ceux qui apparaissent comme hostiles à une lecture présidentialiste de nos institutions souhaitent, par pesanteur intellectuelle notamment, conserver un président fort parce qu'on ne se débarrasse pas facilement d'une mythologie politique induisant la nécessité, en France, d'une présidence forte.
On voit assez bien où nous mènerait une représentation proportionnelle pure et dure, on voit aussi ce que donne le scrutin majoritaire en vigueur. Mais que donnerait, compte tenu de notre culture politique et du régime de 1958, un système mixte à l'allemande ? Je conçois bien quel serait le mécanisme électoral, mais j'ai du mal à me représenter ce que donnerait ce jeu de billard sur le fonctionnement de l'ensemble du régime.