Intervention de Jean-Claude Casanova

Réunion du 10 avril 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Jean-Claude Casanova :

Non, il n'est pas besoin de la parenté pour avoir de l'autorité en Corse… (Sourires.)

L'élection du Premier ministre est un sujet important, qui m'amène à la question centrale, sous-jacente dans plusieurs de vos interventions, de la relation du régime de la Ve République avec le mode de scrutin. Un problème n'est pas résolu, et vous trouverez à ce sujet, en examinant les travaux préparatoires de la Constitution, la considération assez comique d'un éminent conseiller d'État sur certains mauvais esprits qui envisageaient que, dans les nouvelles institutions, le Premier ministre pourrait être en désaccord avec le Président de la République. Or, il peut tout à fait exister un désaccord entre la représentation parlementaire, le Premier ministre et le Président de la République.

Le calendrier Jospin, quant à lui, n'est pas dans la Constitution, et si, demain, un Président de la République meurt en cours de mandat ou s'il dissout l'Assemblée, le problème du calendrier disparaîtra et l'on se retrouvera face à des perspectives de cohabitation qui n'ont du reste, par le passé, pas été catastrophiques – d'autant qu'elles ont permis, justement, d'élargir la base sur laquelle s'appuyaient les autorités politiques.

Si l'évolution constitutionnelle française s'oriente vers une plus forte présidentialisation, c'est-à-dire si le Président de la République renonce au droit de dissolution et se met dans une configuration quasi américaine, ce que le quinquennat, après tout, permettrait, la proportionnelle est d'autant plus souhaitable. Le Président choisira son Premier ministre, le Gouvernement ne sera pas forcément composé de parlementaires – lesquels devront de toute façon démissionner du Parlement – et se constitueront pour voter les lois les majorités nécessaires.

La tendance actuelle semble toutefois plutôt de « parlementariser » le régime. Dans cette perspective, on a malgré tout intérêt, de mon point de vue, à avoir une représentation parlementaire plus solide.

Ces considérations m'amènent à la fameuse majorité présidentielle ; eh bien, c'est comme l'imitation du système anglais : c'est un rêve. Le mode de scrutin actuel a été conçu par Guy Mollet et Roger Frey. Le premier, je l'ai dit, préférait le scrutin d'arrondissement compte tenu de la situation de la SFIO. Le raisonnement de Roger Frey, quant à lui, s'est révélé des plus efficaces, surtout à partir des élections de 1962 : selon lui, le Parti communiste empêchant la gauche de gouverner, il suffisait que la droite s'unisse pour qu'elle reste au pouvoir pour l'éternité. Ce système a fonctionné jusqu'à ce que François Mitterrand, prenant au mot Roger Frey, fasse alliance avec les communistes et gouverne. Il a inversé le raisonnement de Roger Frey pour l'élection présidentielle.

D'autre part, de Gaulle n'était pas si puissant que cela, sa majorité présidentielle n'était pas si forte. L'année 1968 marque incontestablement la mort politique du général de Gaulle. L'origine s'en trouve dans la faiblesse de sa victoire de 1967 : sa majorité à l'Assemblée n'est plus que d'une voix et il n'a pas de vraie majorité dans le pays. Déjà, en 1965, il avait été mis en ballottage. Si, en 1968, il avait disposé d'une représentation parlementaire plus large, il aurait été beaucoup plus solide. L'idée que, sous la Ve République, la majorité présidentielle donnerait de la force est donc fausse.

Pour conclure sur les institutions de la Ve République, personne ne reviendra sur l'élection du Président de la République au suffrage universel qui désigne le chef de l'exécutif. Du coup, l'élection du Premier ministre par le Parlement devient difficile, à moins de placer le Président de la République dans une situation à la portugaise où il ne serait plus vraiment le chef de l'exécutif. Si, au contraire, on souhaite qu'il le reste, il faut accentuer le côté présidentiel des institutions, ou bien il faut qu'il puisse disposer à l'Assemblée d'une majorité plus large.

Mon raisonnement se trouve renforcé par les deux nouveautés de la situation française : la faible position de François Hollande et la montée du Front national. Je suis d'autant plus partisan du scrutin proportionnel qu'avec le scrutin majoritaire le Front national devient de plus en plus dangereux, sans compter que les médias concourent à son extraordinaire succès – et, pour m'en tenir à la tragédie grecque qu'on nous donne à voir en ce moment, si Marine Le Pen « tue » son père, elle n'en sera que plus favorisée. Pour freiner les pulsions françaises, la proportionnelle est donc un amortisseur.

De plus, ce scrutin permet d'élargir les majorités. On peut penser ce qu'on veut de la politique de François Hollande, mais il ne dispose pas d'une majorité suffisante ni dans le pays ni au Parlement. Dans une situation un peu différente, avec la proportionnelle il pourrait s'appuyer sur une majorité plus large.

Parlons très crûment : la proportionnelle, demain, diviserait la droite mais pas la gauche. Elle n'entamerait pas la supériorité du Parti socialiste sur les autres formations de gauche, mais elle assurerait au parti communiste et aux écologistes une position plus stable et leur permettrait éventuellement de progresser en affichant leurs propres idées. En divisant la droite gouvernementale, elle garantirait des coalitions plus larges. Certes la proportionnelle assurerait la représentation du Front national, mais il y a dans le vote pour ce parti, comme ce fut le cas jadis dans le vote communiste, un vote de protestation : l'électeur ne signifie pas vouloir que les gens pour qui il vote gouvernent, mais manifeste sa protestation vis-à-vis du mode de gouvernement. Or la meilleure façon de réduire le vote de protestation, c'est d'élire les gens pour lesquels les protestataires votent. On voit bien que le Parti communiste se maintient en grande partie grâce à la qualité de ses élus et à la relation entre ceux-ci et leurs électeurs. Progressivement, le Front national, quand il aura des élus, se dissoudra par le système de la représentation, le vieillissement, l'expérience…

Malgré tout, augmenter la proportionnelle dans le système de représentation français contribuera à stabiliser et à assagir la vie politique française.

1 commentaire :

Le 05/05/2017 à 14:24, Laïc1 a dit :

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N'importe quoi, ça va l'engluer un peu plus dans l’extrême droitisme, c'est la pire idée que l'on puisse avancer pour sauver la France de la barbarie.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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