Intervention de Géraldine Muhlmann

Réunion du 10 avril 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Géraldine Muhlmann :

Un exemple. Ce que je vais vous dire va vous paraître fou, mais tant pis. Il faut réduire drastiquement le nombre de mandats exécutifs et législatifs dans notre pays. La France est en élection permanente. Il y a beaucoup trop d'élus, beaucoup trop d'échelons. C'est délirant. Cela entraîne des compromis permanents entre élus, des accords donnant-donnant, dont les citoyens sont parfaitement conscients. Ce qui fait capoter quantité de réformes, empoisonne la vie politique française et détruit la confiance d'un trop grand nombre de personnes. Ce n'est pas le jacobinisme qui m'anime, mais l'on ne peut pas considérer que l'enjeu politique crucial est le point d'insertion de l'État dans l'ensemble européen tout en acceptant, en deçà de l'échelon étatique, une telle dissolution des responsabilités, autant d'étages et de gaspillage financier. Je ne parle pas d'un toilettage : personnellement, je n'aurais pas peur de réduire des deux tiers le nombre d'élus. Mais je ne voudrais pas vous effrayer !

Il faut également entreprendre par ce biais de déprofessionnaliser sérieusement la politique. Cela peut paraître impossible, mais c'est impératif. S'il y avait moins de mandats, les partis cesseraient d'être des partis d'élus : les perdants iraient travailler quelque temps ailleurs, tout en restant militants, avant de revenir à la politique le cas échéant. Je ne suis pas opposée, en effet, au cumul des mandats dans le temps : dès lors que l'on fait preuve de flexibilité, pourquoi ne pourrait-on aller et venir, se faire élire plusieurs fois si les électeurs en décident ainsi, à différents moments de sa vie ?

Ensuite, l'exécutif à deux têtes ne fonctionne plus. Il existe trop de couches superposées, trop de lieux : le cabinet du Président de la République, celui du Premier ministre, celui du ministre concerné ; cela fait beaucoup de monde. Le Président et le Premier ministre ne se protègent plus l'un l'autre ; en fait, le Président est exposé en permanence et s'il tente de se mettre en retrait, cela lui nuit toujours, que le Premier ministre soit dans une bonne ou dans une mauvaise passe. La distinction constitutionnelle entre le Président de la République qui préside et le Premier ministre qui gouverne n'a plus de sens : tout l'exécutif gouverne, c'est ainsi que le perçoivent les Français. Que peut signifier l'idée que le Président de la République ne gouverne pas, compte tenu des questions qui lui sont posées, des attentes qu'il suscite ? Cela n'a plus lieu d'être et ce point devrait être clarifié.

Faudrait-il plutôt un régime purement parlementaire ? Ce n'est pas certain. Les partis apparaissent comme les lieux les plus coupés du reste du monde et un exécutif qui ne procède pas du législatif représente aux yeux des Français un moyen essentiel de contrer leur logique. Sans compter que notre pays est attaché à l'élection du chef de l'État au suffrage universel, ce que l'on peut comprendre. Peut-être nourrit-on même l'espoir que, par ce biais, un vrai non-professionnel de la politique pourra un jour entrer dans ce monde très fermé. Et ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose.

Je suis, vous l'aurez compris, plus intéressée par un modèle de face-à-face à l'américaine entre exécutif et législatif. D'un côté, un chef d'État flanqué d'une équipe de ministres réduite, un cabinet de ministres, en somme. Quant à la durée du mandat, il me semble que cinq ans, c'est suffisant. Dans ce cas non plus, je ne suis pas opposée à la possibilité d'une réélection, et même de plusieurs : après tout, pourquoi en décider à la place du peuple ? Naturellement, le chef de l'État doit rendre des comptes très souvent, devant la presse : il faut des conférences de presse régulières et il importe de simplifier ce processus. La transparence doit être permanente. En face de lui, il doit trouver un pouvoir parlementaire puissant, solide, jouissant de droits très précisément définis. La coexistence de deux chambres n'est pas à exclure – à condition peut-être que la représentation proportionnelle soit très marquée dans l'une des deux, sinon intégrale, pour rééquilibrer la situation.

Il faut également rompre avec l'hypocrisie – sans rapport, elle non plus, avec le temps – qui veut qu'un ministre non réélu lors d'un scrutin local perde son poste de ministre. Quel rapport ? Si son but est de rester ministre, il n'a pas à se présenter, et s'il se présente, c'est pour quitter le Gouvernement en cas de victoire. Certaines évidences pour la classe politique sont ainsi incompréhensibles pour les citoyens.

J'en terminerai, au risque de vous paraître totalement utopiste, par les rapports qu'entretient le Gouvernement avec les grandes administrations centrales. Voilà encore un lieu opaque, pesant – un lieu de pensée aussi, où nombre de projets s'élaborent. Là aussi, les choses doivent être plus claires : le Gouvernement doit avoir un plus grand pouvoir de contraindre, de nommer, d'alléger ; peut-être faut-il développer davantage le spoil system, de manière assumée, mais en donnant aussi, en contrepartie, plus de place au débat public. Les fonctionnaires des administrations centrales pourraient ainsi contester publiquement leur ministre, exposer leurs idées, s'exprimer dans les médias, engager des débats publics. Bref, moins de pouvoir contre plus de parole – et pourquoi ne pas aller jusqu'à lever le devoir de réserve ? Ce « donnant-donnant » pourrait dynamiser un peu la démocratie, « challenger » les élus et les fonctionnaires et ferait beaucoup de bien aux émissions de télévision, qui renouvelleraient enfin leur panel d'experts. Après tout, les membres de l'administration sont de formidables experts que l'on n'entend jamais. Ce serait aussi une belle manière de faire enfin comprendre le temps long aux citoyens.

Les administrations pourraient également faire remonter plus d'histoires, enquêter davantage : elles viendraient alors sur le terrain du journalisme, entreraient peut-être en concurrence avec lui. Elles pourraient transmettre des éléments susceptibles de nourrir l'émotion politique.

Des lieux comme le Défenseur des droits, notamment dans sa fonction de médiateur, ou la Commission nationale du débat public, me paraissent sous-exploités par le pouvoir et le personnel politiques ainsi que par les journalistes, qui y trouveraient de précieuses informations.

Enfin, le fonctionnement de nombreux lieux institutionnels, même cruciaux, peut être difficile à comprendre. Ainsi, le Conseil constitutionnel – contre-pouvoir majeur, ce dont nombre de Français sont conscients – dispose-t-il vraiment des moyens d'enquêter et de détecter des fraudes de plusieurs millions d'euros lorsqu'il est appelé à valider les comptes de campagne pour l'élection présidentielle ? Si la réponse est négative, et que c'est à la faveur d'une affaire judiciaire que l'on s'en aperçoit a posteriori, comment sa crédibilité n'en pâtirait-elle pas ? On pourrait aussi évoquer le Conseil supérieur de l'audiovisuel.

Toutes ces questions, essentielles à la crédibilité des institutions en général, n'ont pas grand-chose à voir avec le temps. En les soulignant, je ne me fais guère d'illusions quant à la possibilité d'engager des réformes dans ce domaine. Au risque de vous effrayer un peu, je dirais que la situation est vraiment inquiétante, davantage que ne le serait une simple désynchronisation du politique. En réalité, les problèmes de temps masquent souvent des lourdeurs bien plus graves, un espace trop chargé, une bureaucratie assez démentielle et des jeux internes aux partis, des compromis entre élus que nombre de Français ne comprennent plus. Bien sûr, si l'on remédiait à ces défauts, le politique gagnerait du temps, son rapport aux médias serait sans doute modifié, mais ce ne serait qu'une conséquence seconde eu égard à un gain majeur en crédibilité et en efficacité.

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