Intervention de Luc Carvounas

Réunion du 10 avril 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Luc Carvounas :

Je remercie Mme Muhlmann pour son exposé, qui est sans doute aucun, de tous ceux que nous avons entendus, celui avec lequel je suis le moins d'accord – mais c'est le jeu, et je suis probablement de parti pris…

C'est de temps, au-delà du seul temps politique, qu'il est ici question. Je me rappelle avoir assisté, dans d'autres circonstances – il s'agissait d'une tenue blanche ouverte –à une belle planche sur la distinction entre temps profane et temps maçonnique.

Un élu est avant tout un citoyen, qui, dès son plus jeune âge, en entrant au collège, a appris à maîtriser son emploi du temps, et qui a dû ensuite gérer son temps pour faire oeuvre collective : c'est un militant, qui fait la part du travail salarié, de ses obligations familiales, de son engagement personnel, associatif, et qui, un jour, peut-être, devient, grâce au suffrage universel, un « citoyen politique ». Le politique n'est pas une sorte d'hybride posé au milieu d'une assemblée et venu d'on ne sait où ! Son parcours résulte d'une gestion du temps, fondée sur le bénévolat.

S'agissant de la séquence et du rapport au temps long, j'ai personnellement peu d'espoir. Dans l'histoire passée de la Ve République, c'est le temps long qui prévalait, notamment lors de l'élection présidentielle : on retrouvait toujours les mêmes protagonistes, dont François Mitterrand ou Jacques Chirac. Mais en 2012, aucun des trois principaux candidats de 2007 n'a été élu. En d'autres termes, le temps du quinquennat, ce temps auquel nous ne cessons de revenir, a marqué une rupture.

Nous devons en tenir compte, face à des concitoyens qui, malheureusement, lisent peu – sans quoi autant de journaux ne mettraient pas la clé sous la porte –, se contentent des réseaux sociaux, se contactent, même d'un bureau à l'autre, par téléphone, par mail, par tweets ou par SMS. D'une manière générale, le rapport au temps a été totalement bouleversé, notre société et le temps politique doivent être revus en fonction, si j'ose dire, de cet air du temps.

Cette réorganisation peut parfaitement passer par la limitation des mandats dans le temps, mais celle-ci ne saurait être mise en oeuvre isolément. Pour ma part, j'avais, comme beaucoup d'élus, un travail salarié dont j'ai démissionné pour entrer au Parlement. Aujourd'hui, aucun dispositif ne me garantit le retour à l'emploi si je quitte mes fonctions de parlementaire. La démarche doit donc être globale ; nous l'avons entreprise s'agissant du statut de l'élu ; et si nous voulons limiter le cumul des mandats dans le temps, nous devrons préciser selon quelles modalités.

En ce qui concerne le temps médiatique, j'ai coutume de dire plaisamment qu'au Sénat il ne nous contraint guère : il suffit de comparer la salle des Conférences, complètement vide, à celle des Quatre Colonnes ! Sans doute cela nous donne-t-il, à nous autres sénateurs, la chance de travailler et de débattre d'une manière plus sereine que les députés.

En revanche, certains de vos confrères, madame, disent eux-mêmes ne plus disposer, sous la pression exercée par leur hiérarchie, du temps nécessaire à l'investigation. De fait, les médias restent souvent superficiels. Un exemple, très simple, de ce zapping que pratiquent nos concitoyens, mais aussi les médias : ce moment fort qui nous a rassemblés en janvier, lors duquel les élus, y compris au plus haut niveau, ont touché le coeur des Français, où est-il, aujourd'hui ? Zappé ! Voilà pourquoi j'ai beaucoup de doutes quant à la possibilité de faire revivre la culture du temps long. Sans doute est-ce à toutes les parties prenantes d'en reprendre le fil, dont les politiques – je viens de tenter de le faire.

Enfin, je serai trivial : un fonctionnaire, c'est fait pour fonctionner, et non pour remplacer celles et ceux à qui leurs concitoyens ont accordé leur confiance par le suffrage universel. Chacun son rôle. Revenons à l'origine : aux forces vives chargées de nous représenter, aux médias, aux politiques, aux concitoyens, aux associations. Certains dispositifs doivent assurément être repensés, mais pas au point de tout balayer – vous avez d'ailleurs vous-même parlé d'utopie. Sur ce point, il convient que nous restions extrêmement vigilants.

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