Nous sommes très honorés que vous preniez le temps de nous recevoir. Je vous présenterai les motivations qui ont inspiré ce rapport, avant que Sébastien Laye vous présente le détail technique de nos analyses concernant l'activité de la BPI et nos recommandations.
Génération libre est un think-tank qui défend le libéralisme français classique. La BPI s'est logiquement imposée à nous comme un objet de réflexion. L'institution vise-t-elle à pallier prudemment les carences de marché ou produit-elle au contraire des effets de long terme dommageables sur l'économie française ?
Le président de la République a déclaré en janvier, devant les représentants de la BPI : « En deux ans, vous avez construit une banque presque unique en Europe, qui a assuré une bonne part du financement des entreprises de notre pays. Ce bilan est impressionnant, car la BPI a augmenté de 30 % le volume de ses prêts ». À nos yeux, c'est précisément cet interventionnisme qui pose problème, tout comme l'impression que nous avons qu'elle aurait pour objectif de financer le plus possible les entreprises.
Lorsque Nicolas Dufourcq, directeur général de la BPI, déclare dans des conférences qu'il est un banker for entrepreneurs et que sa mission est de faire du bon business, il nomme justement ce qu'il ne doit pas être ou ne doit pas faire. Car l'État doit aller là où des problèmes de financement se posent, pour prendre les risques qui ne peuvent être assumés par le secteur privé. Des investisseurs et des entrepreneurs ont réagi à la publication de notre rapport, sous le couvert de l'anonymat, la BPI pouvant exercer des pressions dans le milieu des affaires. Leurs réactions nous ont donné l'idée de créer l'observatoire BPIWatch. Ces investisseurs nous ont dit avoir été chassés de certains marchés du fait de l'intervention de la BPI, qui prêtent à des taux ou à des conditions plus avantageuses que les leurs.
En outre, si la BPI n'est pas première au tour de table des investisseurs, les acteurs privés prennent peur et ne se risquent plus à investir dans un projet, la BPI apportant pour ainsi dire une garantie parapublique. D'autres entrepreneurs ont témoigné de ce que, levant du capital auprès de fonds de private equity, ils vont vu la BPI forcer la porte de leurs projets d'investissement en prenant l'ascendant grâce aux conditions avantageuses qu'elle peut offrir. Ces exemples peuvent paraître anecdotiques et devraient être quantifiés ; ils n'en sont pas moins révélateurs, comme notre rapport s'efforce de le montrer.
La question de la BPI est au coeur du modèle français et renvoie à des débats vieux de plus de deux siècles : faut-il encourager les acteurs privés ou leur préférer des institutions publiques ? Ainsi, en 1770, sur le sujet épineux du commerce des grains, Turgot critiquait, dans l'une de ses lettres à l'abbé Terray, l'extravagance qu'il y aurait à créer une compagnie publique en charge des grains, qui ne servirait qu'à produire, par les moyens les plus compliqués, les plus dispendieux, les plus susceptibles d'abus de toute espèce, les plus exposés à manquer tout à coup, précisément ce que le commerce laissé à lui-même doit faire infailliblement à infiniment moins de frais et sans aucun danger.
Remplacez grain par capital-risque et vous aurez une description à peu près exacte de l'activité de la BPI. Il y a certes un problème de financement du capital risque en France. Selon une étude récente d'Ernst & Young, ce marché s'est contracté en France de 8 % en 2014, alors qu'il augmente dans d'autres pays. Mais, s'il faut trouver une solution à ce problème, c'est en amont, dans le domaine de la réglementation et de la taxation, plutôt qu'en aval.
L'on connaît pourtant la conception explicitement à l'origine de la BPI. Dans son livre La Bataille du made in France, son père fondateur Arnaud Montebourg explique qu'il entendait lutter contre le modèle libéral financier – entendez : le secteur privé. « Lentement, sûrement », écrit-il, « l'État redevient le grand frère associé des entrepreneurs ». C'est bien notre crainte !
La BPI est très présente dans le paysage du private equity français, en participant à un financement de fonds propres sur dix. Cette proportion pourrait monter à 30 % ou 50 % s'agissant des PME. Pendant ce temps, Nicolas Dufourcq s'aventure à dire qu'il y a trop de fonds de capital-risque en France ... Sébastien Laye vous exposera les problèmes concrets qui se sont posés depuis la naissance de la BPI. Selon nous, la BPI crée des effets de distorsion de marché et d'éviction du secteur privé, qu'une banque publique responsable et raisonnable devrait éviter.
À la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD des comités évaluent chaque projet pour apprécier s'ils détruisent ou pas d'activité privée et s'il est légitime d'investir. Même si tout n'est pas parfait à la BERD, force est de constater que de tels garde-fous n'existent pas à la BPI. J'ai été frappé de voir qu'elle fait sa publicité, sur le quai de l'Eurostar, par une affiche qui annonce : Entrepreneurs, venez à nous. La BPI va ainsi jusqu'à faire sa promotion alors qu'elle ne devrait intervenir qu'en dernier recours.