Intervention de Sébastien Laye

Réunion du 9 avril 2015 à 11h00
Mission d'information commune sur la banque publique d'investissement, bpifrance

Sébastien Laye, entrepreneur :

Je m'exprimerai à un double titre, comme membre de Génération libre, mais aussi comme entrepreneur. Notre think-tank a conduit sous trois formes, des travaux sur la BPI. D'abord, il a publié le rapport de juillet 2014 que le magazine Challenges a couvert ; la BPI a réagi à cette parution, ou plutôt au résumé qui en était donné dans cet organe de presse. Ensuite, nous avons mis en place un observatoire de la BPI qui, depuis dix mois, analyse cas par cas ses décisions d'investissement ; il s'est penché sur le soutien apporté à Viadeo ou sur les pertes de capital constatées sur certaines lignes dans le portefeuille d'investissement de la BPI. Enfin, Génération libre a conduit récemment une comparaison entre la BPI et la BERD.

Le rapport de juillet 2014 est le fruit d'un travail engagé en janvier de la même année. La première partie est consacrée à BPI Investissement. Dans la deuxième partie, nous saluons le recadrage opéré grâce à la création de la BPI, mais déplorons des failles dans la gouvernance et les structures, pouvant faire naître des conflits d'intérêts. Nous ne reviendrons pas sur chacun d'eux, mais nous efforcerons de montrer que, parce que les règles actuelles sont défaillantes, une latitude trop grande est laissée aux hauts fonctionnaires au détriment des hommes politiques, qu'ils appartiennent à l'exécutif ou qu'ils soient parlementaires. Des dérives ont ainsi pu être constatées et d'autres le seront encore sans nul doute à l'avenir. La troisième partie formule des propositions de recadrage des missions de la BPI.

Je souligne que la décision de créer le Fonds stratégique d'investissement (FSI) avait été prise sous la législature précédente. Il s'agissait de s'inspirer du modèle des fonds souverains qatari ou norvégien. Nous avons depuis longtemps jugé cette idée irréaliste. Notre pays ne dispose pas d'une manne pétrolière ou d'excédent budgétaire à réinvestir, bien au contraire. Peut-être l'existence du FSI se justifiait-elle en 2009, mais il faudrait sans doute réévaluer la situation aujourd'hui pour mieux encadrer ses activités. S'il peut être légitime de défendre des intérêts industriels stratégiques, il est permis de douter que des opérations de financement de Daily motion entrent dans cette catégorie, plutôt que des investissements dans Alstom. Mais, comme il n'existe pas de définition législative du secteur stratégique, une large latitude est laissée aux responsables de la BPI.

L'ex-FSI a donné naissance à BPI Investissement, dont les participations sont diluées dans l'actif global de la BPI. La fusion n'a entraîné tout au plus qu'une liquidation de quelques lignes comptables, tandis que des investissements nouveaux étaient réalisés dans Naturex ou CMA-CGM (Compagnie maritime d'affrètement – Compagnie générale maritime). Nous sommes donc en présence d'une sorte particulière de jardin à la française, d'une mégastructure qui coiffe l'empilement des entités existantes, sans que des choix aient été opérés ni que soit posée la question du retour sur investissement.

Nous saluons la volonté politique d'aider les petites et moyennes entreprises plutôt que les grandes. Mais la BPI a continué en pratique de s'impliquer dans des entreprises comme Vallourec ou Eramet. La loi de décembre 2012 lui donne en effet un mandat trop vague, laissant l'institution s'engouffrer dans tout le champ des investissements. Institution unique au monde, à défaut d'être sans précédent dans l'histoire de France, elle pratique à la fois la participation aux fonds propres, le prêt direct, la garantie de prêts, l'investissement dans des fonds et même le soutien à l'export, par une récupération des tâches de la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur (COFACE). Nulle part ailleurs vous ne trouverez d'entité couvrant un champ de compétences aussi large, qu'il s'agisse de fonds souverains ou de banques publiques.

Se pose alors la question des conflits d'intérêt, qui naissent d'eux-mêmes lorsqu'une même entité est à la fois actionnaire d'une entreprise, prêteuse à cette entreprise et encore partie à des fonds minoritaires dans le capital de cette entreprise. En cas de difficultés financières ou de faillite de l'entreprise financée, quel intérêt doit primer, entre celui de l'actionnaire, du créancier ou du fonds qui investit ? Il s'agit d'un problème de gouvernance.

La loi du 31 décembre 2012 donne une liste des missions qui ressemble à un inventaire à la Prévert : « La Banque publique d'investissement favorise l'innovation, l'amorçage, le développement, l'internationalisation, la mutation et la transmission des entreprises, en contribuant à leur financement en prêts et en fonds propres. Elle oriente son action vers les très petites entreprises, les petites et moyennes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire, en particulier celles du secteur industriel. Elle accompagne la politique industrielle nationale. Elle participe au développement des secteurs d'avenir, de la conversion numérique et de l'économie sociale et solidaire. Elle apporte son soutien à la mise en oeuvre de la transition écologique et énergétique. Elle favorise une mobilisation de l'ensemble du système bancaire sur les projets qu'elle soutient. » La BPI n'a en fait aucun mandat précis.

Le rapport s'étend ensuite sur le problème de la gouvernance, le manque d'encadrement par les autorités politiques et la trop grande latitude laissée aux équipes de Nicolas Dufourcq. Dans une troisième partie, nous recommandons enfin la création d'une commission qui pourrait réfléchir à une modification de la loi portant création de la BPI, et nous proposons notre propre liste de missions pour la BPI.

Selon nous, elle n'a pas sa place au capital des entreprises. Mieux vaut qu'elle finance l'innovation de long terme dans le domaine de la recherche, des biotechnologies, des nanotechnologies, de la recherche médicale et de la transition énergétique. Peut-être conviendrait-il de réfléchir à la manière dont ces investissements pourraient s'articuler avec les programmes d'investissement d'avenir (PIA) et avec le plan Juncker au niveau européen, même s'ils devraient être spécifiquement concentrés sur le financement de l'innovation de long terme, et non sur des grands projets d'infrastructures.

À la BERD, non seulement des comités de crédit rigoureux se prononcent sur les décisions de financement, mais des comités d'évaluation économique examinent d'abord en amont de toute intervention si le secteur privé n'offre pas lui-même ce type de financement. Car la BERD n'intervient que s'il n'est pas présent et qu'il n'est pas à même d'assurer ce financement de long terme. A contrario, la BPI intervient à l'heure actuelle, sa doctrine ayant évolué, lorsque le secteur privé est déjà présent, puisqu'elle réalise des co-investissements avec des fonds. Elle se repose même sur les équipes de ces fonds pour l'analyse des projets (due diligence). Elle n'a pas de véritable philosophie d'investissement, mais une simple doctrine d'intervention qui se résume à un document interne dépourvu de valeur juridique. Une révision de la loi pourrait fournir l'occasion de définir une philosophie d'investissement qui permette un meilleur encadrement.

À notre sens, la BPI pourrait, plutôt que d'accorder directement des prêts, jouer un rôle de multiplicateur de crédits dans l'économie française, comme le fait en Allemagne le KfW (Kreditanstalt für Wiederaufbau), qui consacre 90 % de son activité à refinancer les institutions de crédit local. La BPI aiderait par exemple les branches de la Banque populaire à financer le logement social ou des opérations se rattachant à la transition énergétique. Grâce à sa surface financière, l'État viendrait ainsi en aide aux acteurs du crédit, mais sans prendre directement de décisions de prêt ou d'octroi de crédits.

Ainsi, nous ne préconisons pas la disparition de la BPI, mais sa réorientation suivant des choix clairs qui lui confieraient un rôle de multiplicateur de crédits et de financement de l'innovation. Quant à reprendre la vieille antienne de la banque publique présente au capital des entreprises, cela nous ramène au temps du Crédit lyonnais et de ses errances.

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