La défense européenne a été traitée dans le cadre de la deuxième séance plénière de la Conférence, dont le sujet était plus précisément « les relations entre l'Union européenne et l'OTAN », mais aussi dans trois des ateliers thématiques finaux, autour des thèmes de la guerre hybride, de l'avenir des groupements tactiques européens et des menaces au Sud de la Méditerranée.
Les difficultés rencontrées par l'Union européenne et l'OTAN pour adopter une stratégie solide et opérante en Ukraine contrastent avec la réactivité de la Russie, qui manoeuvre avec efficacité en soutien aux séparatistes.
L'OTAN vient certes d'annoncer un renforcement de sa présence et de sa capacité d'intervention en Europe orientale, avec six nouveaux centres de commandement et de contrôle, un quartier général situé en Pologne et une force de réaction rapide portée à 30 000 hommes, dont les 5 000 premiers éléments pourraient être déployés en deux jours.
De leur côté, les États membres les plus sensibles à la menace russe ont décidé de revoir à la hausse leurs dépenses militaires en vue de respecter la recommandation de l'OTAN – à savoir des dépenses militaires équivalentes à au moins 2 % du PIB – d'ici à 2020. La Lituanie vient même de rétablir un service militaire obligatoire de neuf mois.
Mais l'enjeu va au-delà : il s'agit de savoir mieux répondre à la complexité de la guerre hybride, dans laquelle la Russie est passée maîtresse : elle floute la limite entre état de paix et état de guerre afin de déstabiliser un pays et de susciter sa partition, en mettant en action une panoplie de leviers de natures variées – fourniture d'armes aux sécessionnistes, infiltration de militaires, propagande, cyberguerre, déni de la réalité et simulacre de négociations.
L'émergence de nouveaux acteurs non étatiques, mais animés par des ambitions politiques régionales et mêmes mondiales, marque une nouvelle étape dans les relations entre l'Europe et ses voisins de la rive Sud de la Méditerranée et du Proche-Orient.
Une conjonction de phénomènes est à incriminer : dans la plupart des États de la région, l'incurie de l'administration etou la concentration des pouvoirs politiques et économiques entre les mains de l'oligarchie empêchent l'émergence d'une société et d'un marché du travail inclusifs ; le dynamisme des discours religieux intégristes trouve donc de l'écho parmi une jeunesse en déshérence, qui représente parfois plus de la moitié de la population.
Alors que certains pays, au premier rang desquels le Maroc, ont su entendre les messages du « Printemps arabe », d'autres s'enfoncent au contraire dans le chaos et les groupes les plus radicaux y prospèrent.
L'essor de Daech est la manifestation la plus inquiétante de ce phénomène. En effet, mû par des ambitions planétaires, ce groupe a déjà pris le pouvoir sur une partie significative du territoire syrien et irakien, et il reçoit l'allégeance d'organisations terroristes dans tout l'espace sunnite. Sa sphère d'action centrale déborde donc sur notre espace de voisinage et il attire dans ses rangs des milliers de combattants étrangers, ce qui en fait une menace de premier plan pour l'Union européenne.
Face à la détérioration de la situation aux portes de l'Union européenne et à l'émergence de ces nouveaux défis de sécurité, les faiblesses de son dispositif de défense apparaissent au grand jour. L'Europe a certes identifié dès 2003 l'idée d'« approche globale » pour affronter des combinaisons de moyens d'action utilisés par un adversaire.
Toutefois, comme les débats de Riga l'ont illustré, les Européens peinent à s'entendre sur les fondements d'une doctrine et par conséquent à bâtir une défense commune : il existe une ligne de fracture entre ceux qui, derrière le Royaume-Uni, veulent cantonner l'Union européenne au soft power, considérant que la défense ne fait pas partie de l'ADN communautaire, et ceux qui souhaiteraient l'ériger en véritable interlocuteur de l'OTAN, susceptible de peser sur les théâtres d'intervention prioritaires au regard des intérêts européens. L'OTAN doit-elle être un partenaire de l'Union européenne ou bien son paratonnerre ?
Au final, dans un domaine requérant l'unanimité au Conseil, les dispositifs opérationnels existants, comme les Groupements tactiques de l'Union européenne, ne sont pas activés et restent suspendus dans l'atmosphère.
La tonalité de l'atelier consacré à ces derniers a été révélatrice : essentiellement animé par un parlementaire et un général en retraite néerlandais, il a mis en évidence la méconnaissance généralisée à propos des potentialités offertes par cet outil. Au final, cette réunion n'a donc permis de faire émerger aucune perspective.
Le Président Juncker vient de prendre position pour la constitution d'une « armée commune européenne ». Une option intermédiaire, que je défends, consisterait à recourir à la Coopération structurée permanente, une sorte de coopération renforcée dans le domaine de la PSDC, prévue par le traité de Lisbonne, qui permettrait d'assumer des missions exigeantes avec souplesse et réactivité, en engerbant les GTUE.
Mais le Conseil européen de décembre 2013 puis le conseil informel des ministres de la défense de Riga, en février, ont douché les espérances. Il est certes prévu qu'une nouvelle session du Conseil européen, en juin, soit consacrée au développement de la PSDC, mais l'angle d'attaque reste flou. Il s'agira probablement de lancer la révision de la stratégie européenne de sécurité, inchangée depuis 2003, afin de mettre à jour la description des menaces et des enjeux ; pour ce qui concerne les fondements d'une défense européenne, il faudra encore attendre.
Alors que tant de questions restent ouvertes, nous vous proposons de constituer un groupe de travail sur la défense européenne, peut-être en commun avec la commission de la Défense. La réflexion pourrait être amorcée dans le cadre d'une table ronde, avant la fin de la session parlementaire ordinaire.