Intervention de Isabelle Bruneau

Réunion du 1er avril 2015 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Bruneau, co-rapporteure :

Cette communication constitue une étape intermédiaire pour un rapport que nous rendrons au mois de juin sur l'évasion fiscale et le droit de la concurrence. La lutte contre l'évasion fiscale « agressive », c'est à dire l'utilisation abusive de mécanismes légaux afin d'échapper à l'impôt, est aujourd'hui une nécessité mondiale, partagée par les grands États et les principales organisations internationales, mais son efficacité implique une coordination internationale étroite.

Si les chiffres sur l'ampleur du phénomène doivent être pris avec circonspection, il n'est pas déraisonnable d'estimer que ce phénomène représente environ 2 à 3 % des PIB nationaux, soit pour la France entre 60 et 40 milliards d'euros.

Pour l'Union européenne cette question est révélatrice d'un malaise : l'ampleur prise par ce phénomène sape certains des fondements de la construction européenne, comme la liberté de circulation des capitaux, mais profite à des États, dont elle explique une part importante de la prospérité.

Depuis quelques années, l'Union européenne essaye de mieux coordonner les fiscalités nationales, mais des projets essentiels tels que l'harmonisation de l'assiette de l'impôt sur les sociétés sont bloqués du fait de la règle de l'unanimité, très difficile à obtenir dans ces matières, et nous avons acquis au cours de leurs déplacements la certitude de la persistance de ce blocage.

Contrairement à la fraude fiscale, qui est illégale, l'évasion fiscale s'inscrit dans les limites fixées par la loi, mais pas dans l'esprit de cette dernière car elle s'appuie sur une interprétation très extensive de ce qui est légal pour réduire au minimum la contribution fiscale d'une entreprise. En déplaçant artificiellement leurs bénéfices vers des juridictions à faible imposition fiscale, certaines entreprises empêchent de prélever l'impôt là où elles exercent leurs activités économiques.

Or, les exigences de la solidarité européenne interdisent que certains États européens, appartenant ou non à l'Union européenne, se comportent en « prédateur » ou en « receleur » d'une fraude fiscale qui nuit gravement aux intérêts de leurs partenaires. Il est plus que temps d'y mettre un terme et nous nous félicitons de la démarche engagée par la Commission européenne qui va dans la bonne direction et constitue une absolue nécessité, pour défendre l'idée même de la construction européenne.

Nous regretterons néanmoins que vis-à-vis de pays comme la Suisse, l'Europe ait attendu pour agir que les États-Unis prennent des mesures énergiques. Elle avait les moyens de les précéder.

À défaut d'actions sur la source de l'évasion fiscale, faute de pouvoir réunir l'unanimité des États sur des réformes fiscales, l'Union européenne a pris une tangente : l'utilisation du droit de la concurrence pour contrer certains schémas d'optimisation fiscale, qui nuisent aux relations commerciales mondiales, car ils faussent la concurrence entre les entreprises. Cela justifie l'intervention de l'Union européenne qui dispose, en matière de concurrence et de contrôle, des aides d'États de pouvoirs propres.

La Commission européenne a agi de deux manières : dans le cadre de ses pouvoirs propres de contrôle des aides d'États elle a engagé, depuis juin 2014, des enquêtes à l'encontre de sociétés pour vérifier que ces dernières ne jouissent pas d'un régime fiscal destiné à favoriser leur implantation, plus favorable que les entreprises nationales. Cette démarche est prometteuse car les États pourraient récupérer ainsi plusieurs milliards d'euros ; le 18 mars dernier, elle a répondu, par l'action, à une lettre conjointe en date du 28 novembre 2014 des ministres des finances de l'Allemagne, de l'Italie et de la France qui lui demandaient de relayer au niveau européen les chantiers engagés dans le cadre de l'OCDE et dont la conclusion doit intervenir en 2015. Elle a fait, en effet des propositions pour mieux lutter contre la concurrence fiscale nuisible, l'érosion des bases fiscales et le transfert des bénéfices, en proposant effectivement des mesures allant dans le sens d'une plus grande transparence.

Cette action vient compléter un certain nombre de chantiers actuellement ouverts au niveau international pour apporter des solutions aux pratiques d'optimisation fiscale des entreprises multinationales. L'amélioration de la transparence, les rénovations des règles de répartition des bénéfices, la neutralisation des situations abusives et des effets dommageables de régimes fiscaux préférentiels en sont les grands axes.

Nous nous sommes rendus dans plusieurs États membres de l'Union européenne, mais nous n'avons pas souvent été reçus par nos collègues parlementaires. Certains semblent mal à l'aise et vont parfois jusqu'à considérer, seule défense possible, que l'existence d'une fiscalité privilégiée est un moyen de compenser les désavantages géographiques dont souffrent leurs pays, légitimant ainsi un comportement à nos yeux inacceptable, contraire à la solidarité européenne et au principe de concurrence non faussée.

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