Intervention de Arnaud Leroy

Réunion du 1er avril 2015 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArnaud Leroy, rapporteur :

L'Agence européenne pour l'environnement (AEE), créée en 1994, est indépendante des institutions communautaires, particulièrement de la Commission européenne. Elle a pour mission de fournir des informations fiables et objectives à propos de la situation de l'environnement et de la portée des politiques menées en la matière.

Basée à Copenhague, elle travaille essentiellement à partir des données collectées et analysées par le réseau européen d'information et d'observation pour l'environnement, EIONET, qui implique quelque 350 organismes et 1 000 experts.

Elle produit en particulier un rapport quinquennal, intitulé État et perspective de l'environnement européen, ou SOER, dont la dernière livraison a été publiée il y a un mois.

Cette somme est constituée de 87 fiches, rédigées uniquement en anglais, ce que l'on peut déplorer : 25 fiches thématiques ; 9 fiches de benchmarking international ; 39 fiches nationales pour chacun de ses États membres ou coopérants ; 3 fiches macro-régionales concernant ; 11 fiches sur les « mégatendances » environnementales mondiales.

Un document de synthèse, d'ores et déjà disponible en anglais et en français, sera publié dans toutes les langues officielles de l'Union européenne. Je le tiens ici à votre disposition et vais maintenant vous en présenter les grandes lignes.

L'exercice auquel se livre l'AEE est délicat : elle doit pointer, sans concession, les limites voire les erreurs des politiques environnementales et climatiques européennes, mais sans pour autant se montrer trop négative, ce qui verserait de l'eau au moulin des lobbies détracteurs de ces politiques, toujours prompts à prétendre qu'elles coûtent cher au regard de leurs résultats. En préalable, je tiens pour ma part à souligner qu'une politique publique affichant des demi-succès est à mettre à l'actif de l'Union européenne, surtout quand les objectifs assignés sont ambitieux.

Ces quarante dernières années, l'Europe a mis en oeuvre des politiques qui ont impacté positivement le fonctionnement des écosystèmes, mais aussi le cadre de vie des citoyens et la santé publique. Dans de nombreuses régions européennes, l'environnement local est en aussi bon état aujourd'hui qu'il l'était au début de l'industrialisation.

Les politiques environnementales créent également des potentialités économiques. Par exemple, le marché de l'industrie environnementale a connu une extension de plus de 50 % entre 2000 et 2011 ; depuis la crise financière de 2008, c'est l'un des rares secteurs économiques à avoir prospéré.

Malgré ces améliorations, les défis auxquels l'Europe est confrontée sont considérables.

Le capital naturel européen a été dégradé par les activités socio-économiques comme l'agriculture, la pêche, les transports, l'industrie, le tourisme et l'étalement urbain. En outre, les pressions mondiales sur l'environnement augmentent à un rythme sans précédent, tirées par la croissance économique et démographique, ainsi que par l'évolution des modes de consommation.

D'un autre côté, grâce à la compréhension croissante des défis environnementaux et de leur interdépendance avec les systèmes économiques et sociaux, il est maintenant reconnu que le capital de connaissances à disposition et les améliorations de gouvernance ne suffisent pas pour répondre aux enjeux.

Le SOER 2015 évalue l'état, les tendances et les perspectives de l'environnement européen dans le contexte mondial à l'horizon long de 2050, dans l'esprit du 7e Programme d'action pour l'environnement.

En outre, il analyse les possibilités de recalibrage des connaissances et des politiques, en vue d'améliorer les performances environnementales de l'Union européenne. Il a précisément été publié de façon un peu précipitée, afin de pouvoir être porté au dossier du commissaire Vella très peu de temps après son entrée en fonctions. Ainsi, le nouveau collège de la Commission européenne pourra en tenir compte dans ses réflexions initiales.

Le rapport se cale sur les trois objectifs clés identifiés dans le 7e PAE : protéger, conserver et améliorer le capital naturel ; stimuler un développement économique et social efficace dans l'utilisation des ressources, vert, compétitif et faiblement carboné ; sauvegarder les citoyens contre les pressions et les risques pour la santé et le bien-être.

Sur chacun de la vingtaine de sous-objectifs qui découlent de ces trois axes, l'AEE s'est efforcée de mettre en évidence les tendances passées et prévisibles, mais aussi de tracer des perspectives réalistes de transformation, en fonction des besoins humains et écologiques.

Il en ressort que le capital naturel de l'Europe n'est pas encore protégé, conservé et amélioré à la mesure des ambitions fixées dans le 7e PAE. La réduction de la pollution a certes considérablement amélioré la qualité de l'air et de l'eau mais les pertes de fonctions des sols, les dégradations des terres et les changements climatiques demeurent des préoccupations majeures.

En dépit de l'extension du réseau Natura 2000, quelque 60 % des espèces protégées et 77 % des types d'habitats sont dans un état défavorable de conservation. L'agriculture reste une source de pollution massive, par ruissellement des engrais dans les eaux de surface comme dans les nappes phréatiques. Au total, même si certains de ses objectifs particuliers sont respectés, l'Europe n'est pas en voie d'atteindre son objectif global d'enrayer la perte de biodiversité d'ici à 2020. La question est d'autant plus grave que les impacts du changement climatique devraient s'intensifier et les facteurs à l'origine de la perte de biodiversité devraient persister.

En ce qui concerne l'efficacité de l'utilisation des ressources et la société faiblement carbonée, les tendances à court terme sont plus encourageantes. En dépit d'une croissance de 45 % de la production économique, les émissions de gaz à effet de serre en Europe ont diminué de 19 % depuis 1990. D'autres pressions environnementales sont dorénavant décorrélées de la croissance économique. L'utilisation de combustibles fossiles a diminué. Le total des ressources utilisées dans l'Union européenne a diminué de 19 % depuis 2007. Presque tous les États membres génèrent moins de déchets et font valoir de meilleurs taux de recyclage. En plus des effets des politiques menées, la récession économique consécutive à la crise financière de 2008 a également contribué à réduire certaines pressions.

Toutefois, dès lors que le niveau d'ambition de la politique environnementale en vigueur n'est pas forcément à la hauteur pour atteindre les objectifs fixés à long terme par l'Europe, il n'est pas certain que ce phénomène soit durable. Par exemple, les réductions d'émissions de gaz à effet de serre programmées seraient insuffisantes pour mettre l'Union européenne sur la voie de son objectif à l'horizon 2050, à savoir une chute de ces émissions de 80 à 95 %.

S'agissant des risques en matière de santé environnementale, des progrès remarquables ont été enregistrés, au cours des dernières décennies, dans la qualité de l'eau potable et des eaux de baignade, ainsi que dans la limitation de l'usage de certains polluants toxiques.

Cependant, les pollutions atmosphérique et sonore continuent d'avoir des effets graves sur la santé, en particulier dans les zones urbaines. En 2011, dans l'Union européenne, environ 430 000 décès prématurés ont été attribués aux particules fines. L'exposition au bruit ambiant contribue à 10 000 décès prématurés au moins, à cause des maladies coronariennes et des accidents vasculaires cérébraux. Quant à l'utilisation croissante de produits chimiques, elle provoque des maladies et des troubles endocriniens.

Les perspectives sont incertaines voire inquiétantes. L'amélioration de la qualité de l'air prévue, par exemple, devrait être insuffisante, et les impacts sur la santé résultant du changement climatique devraient aggraver.

Si l'Europe a réussi à réduire certaines pressions environnementales, ces améliorations ne se traduisent encore ni par une meilleure résilience des écosystèmes, ni par une baisse des risques pour la santé et le bien-être. En outre, les perspectives à long terme sont souvent moins positives que les tendances récentes ne pourraient le suggérer. Des facteurs systémiques multiples contribuent à ces disparités.

Premièrement, du fait des dynamiques propres aux systèmes environnementaux, il peut exister un décalage important avant qu'une diminution des pressions ne se traduise par une amélioration de l'état de l'environnement. De plus, mêmes amoindries, de nombreuses pressions restent considérables en niveau absolu.

Deuxièmement, des phénomènes de multi-causalité, d'interdépendances et de blocages dans les systèmes environnementaux et socio-économiques sapent les efforts d'atténuation des pressions sur l'environnement. Par exemple, l'amélioration de l'efficacité des processus de production tend à réduire les coûts des biens et services, et par conséquent à doper la consommation.

Troisièmement, les défis les plus sérieux pour la gouvernance environnementale européenne proviennent du fait que les facteurs, les tendances et les impacts environnementaux sont de plus en plus mondialisés.

Pour répondre aux défis environnementaux systémiques persistants, une mutation fondamentale des systèmes de production et de consommation, à l'origine des pressions actuelles sur l'environnement et le climat, est indispensable. Mais cela implique de profonds changements dans la pensée, les technologies, les politiques, les pratiques et les comportements.

Il convient, pour commencer, de revoir les approches politiques et de construire un cadre législatif optimal, à travers les orientations suivantes : l'enrichissement de la base de connaissance ; la promotion des innovations technologiques économes en ressources ; l'application, l'intégration et la mise en cohérence des politiques environnementales et climatiques ; l'amélioration de la capacité de résilience aux changements climatiques et environnementaux prévus ; la mise en oeuvre d'actions prudentielles et préventives, fondées sur des alertes scientifiques précoces ; l'optimisation des ressources naturelles.

De nouvelles approches de gouvernance, impliquant les citoyens, les organisations non gouvernementales, les entreprises et les villes, offriraient des leviers complémentaires.

La stratégie Europe 2020, le 7e PAE, le cadre financier pluriannuel et le programme-cadre pour la recherche et l'innovation Horizon 2020 ont été conçus sur un tempo commun : la période 2014-2020. Cela nous offre une occasion unique de tirer parti des synergies entre politiques sectorielles, options d'investissement et conduite des activités de recherche, en appui de la transition vers une économie verte.

La crise financière n'a pas réduit l'intérêt des citoyens européens pour les questions environnementales. Ils restent convaincus que davantage doit être accompli pour protéger l'environnement et que le progrès devrait être mesuré selon des critères non seulement économiques mais aussi sociaux et environnementaux.

Dans son 7e PAE, l'Union européenne ambitionne de faire en sorte que les jeunes enfants d'aujourd'hui vivent près de la moitié de leur vie dans une société faiblement carbonée, fondée sur l'économie circulaire et la résilience des écosystèmes. La réalisation de cet engagement appelle à agir en urgence et plus courageusement.

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