Intervention de Philippe Baumel

Réunion du 15 avril 2015 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Baumel, rapporteur :

Le bilan que présentent aujourd'hui les pays d'Afrique francophone invite à un regard critique sur la politique africaine de notre pays. Sur la longue durée, il y a des avancées, mais aussi des stagnations ou des régressions de la part de certains pays. On sait aussi que sur la décennie en cours, une dizaine de pays dans le monde devraient réussir à sortir de la catégorie des PMA, dont certains pays africains, mais qu'aucun pays francophone ne devrait en faire partie.

Cela nous a amenés à revenir en premier lieu sur notre politique d'aide au développement. Comme la Cour des comptes, comme la revue du CAD de l'OCDE, on ne peut que regretter de nouveau les incohérences de notre aide qui ont des effets dommageables sur le terrain. Deux exemples sont plus particulièrement développés dans le rapport, ceux de l'aide aux secteurs santé et à l'éducation.

En matière de santé, notre stratégie a été actualisée en 2012. Elle prévoit comme axes prioritaires principaux le renforcement des systèmes de santé les plus fragiles, notamment en Afrique francophone, et la santé des femmes et des enfants. Néanmoins, le CICID de juillet 2013 a surtout mis l'accent sur la lutte contre trois pathologies : le sida, le paludisme et la tuberculose. Les données de l'OMS montrent cependant que la moitié des décès des enfants de moins de cinq ans est due à la prématurité et à des maladies infectieuses ; au Mali, au Niger, au Burkina Faso, au Burundi et dans d'autres pays d'Afrique francophone, plus du tiers des décès d'enfants sont provoqués par deux causes seulement, la pneumonie et la diarrhée. Mais nous avons choisi de figurer parmi les tout premiers contributeurs au Fonds mondial sida. Il ne s'agit pas de critiquer son action, évidemment très utile, mais de souligner l'incohérence de notre politique car le financement que nous lui consacrons, 360 M€ auxquels s'ajoutent 110 M€ à Unitaid, nous conduit à rogner sur d'autres budgets, notamment ceux destinés à l'Alliance GAVI, qui travaille sur la vaccination, et à l'initiative Muskoka, en faveur de la santé maternelle et infantile, pour lesquels on n'a pas été en mesure l'an dernier d'honorer nos engagements, pour ne pas réduire ceux promis au Fonds mondial.

Notre politique en matière de soutien à l'éducation appelle aussi quelques commentaires : notre stratégie sectorielle vise essentiellement l'éducation de base, notamment dans les seize pays pauvres prioritaires de notre APD, en articulant ce but avec promotion du Français et la parité entre filles et garçons. Mais nous ne consacrons en fait que le dixième de ce que l'on déclare dépenser au titre de l'éducation. Dans plusieurs pays francophones, notre aide à l'éducation de base plafonne à des niveaux très inférieurs à ce que d'autres pays, comme l'Allemagne ou les Etats-Unis apportent de leur côté, ce qui revient à dire qu'ils contribuent plus au soutien de la francophonie, via leur soutien aux systèmes éducatifs de base, que nous-mêmes ! Dans le même temps, nous arrêtons nos contributions au Partenariat mondial pour l'éducation, que nous avons contribué à créer, dont le but est précisément le développement de la scolarisation primaire universelle, dont les résultats sont remarquables.

Nous nous sommes penchés sur le cas du Mali, emblématique. Malgré une aide au développement très importante de la communauté internationale et de la France, qui avait notamment fléché des objectifs sociaux en lien avec les OMD, le Mali s'est effondré au premier assaut, en 2012, mettant en évidence des fragilités internes aux racines très profondes qui n'avaient jamais été traitées : les revendications nordistes sont anciennes et récurrentes, les infrastructures inexistantes, les politiques de décentralisation ont tardé à se mettre en place et de manière insatisfaisante. Une crise politique et institutionnelle profonde traverse le Mali, où l'État, depuis longtemps ne contrôle pas tout son territoire et ne répond pas aux attentes de sa population. Tout se passe aujourd'hui comme si la communauté internationale n'en avait pas pris la mesure et reprenait les mêmes recettes inefficaces. La conférence de Bruxelles de mai 2013 a promis des financements d'un montant de 3,5 milliards d'euros pour la reconstruction du pays. L'an dernier, au cours de nos auditions, on mettait en avant le fait que l'administration malienne avait la capacité d'absorber cette manne, qu'il y avait une volonté de lutter contre la corruption, que l'on constatait des avancées sur le terrain, mais Médecins sans frontières attire désormais l'attention sur le fait qu'au Nord, les gens manquent de tout, en matière de santé, d'éducation, d'eau potable, et que l'aide humanitaire est indispensable. Au plan politique, les populations ne semblent pas prêtes à accepter l'accord d'Alger qui a été conclu difficilement le 1er mars. Sur le plan sécuritaire, le terrorisme continue de sévir et les forces de la MINUSMA sont régulièrement prises pour cibles.

La communauté internationale, et la France, privilégient l'apaisement de court terme sur le traitement de fond des problématiques de stabilité et de développement, qui, seul, pourrait avoir une chance de les résoudre avec succès, même s'il s'agit de s'atteler à une tâche autrement plus complexe.

Il est paradoxal que notre pays, reconnu pour la connaissance qu'il a du continent, grâce à des africanistes dans de multiples disciplines, des centres de recherche de très grande renommée, comme le CIRAD, l'IRD, ou encore le réseau des IFRE, ne réussisse pas à mettre en oeuvre des politiques qui permettraient d'anticiper sur les crises à venir, d'agir en prévention, et de définir des politiques de développement qui prendraient en compte le temps long, à savoir des échéances de quinze ou vingt ans. La France reste sur le court terme, faute d'intérêt politique à agir avant que les crises n'éclatent, en répliquant des schémas simples, qui reproduisent ce qui marche chez nous, sans vraiment se soucier de leur adaptabilité. Mieux utiliser les travaux scientifiques permettrait de proposer des politiques plus adaptées aux réalités locales, et consécutivement, plus acceptables et plus efficaces.

De cette absence d'anticipation découle directement une politique africaine qui réagit plus qu'elle n'agit, faute de voir venir les crises. Cela a été le cas en Côte d'Ivoire, cela s'est répété au Mali ou en Centrafrique. Il était notamment indispensable d'intervenir au Mali pour éviter que le pays ne tombe aux mains des terroristes. Mais cette politique est coûteuse. La France budgète plus de 180 millions par an pour sa contribution aux opérations de maintien de la paix de l'ONU en Afrique francophone et le surcoût global de nos OPEX est supérieur à un milliard par an... Cela n'est ni soutenable ni efficace. C'est une politique qui aborde la problématique de la résolution des crises en Afrique francophone essentiellement sous l'angle de la sécurisation formelle à court terme sans se soucier suffisamment des causes profondes qui sont à la racine des tensions. En termes d'image, notre pays commence aussi à être mal perçu dans beaucoup de pays d'Afrique francophone, notamment auprès des populations jeunes qui feront l'Afrique de demain, et avec lesquels nous n'avons pas assez de contacts.

C'est la raison pour laquelle nous formulons un certain nombre de préconisations pour essayer de refonder une politique africaine qui aurait pour axe central le développement du continent : il n'y aura pas de stabilité possible et durable de l'Afrique francophone sans développement et notre aide sera utile si elle s'inscrit dans une perspective de long terme.

Cela suppose de se projeter sur l'horizon de 2030-2050, de prendre en compte des questions aussi essentielles que la croissance démographique qui aura des effets dévastateurs. Chacun en convient, mais aucune politique d'aide au développement ne s'en occupe.

Cela signifie aussi recentrer les moyens bilatéraux aujourd'hui très limités de notre politique d'aide au développement sur un nombre réduit de pays, c'est-à-dire les plus fragiles, ceux dont le basculement dans une crise, sécuritaire, humanitaire ou sanitaire, risque d'avoir des impacts régionaux dramatiques, comme on l'a vu avec l'épidémie Ebola. C'est en renforçant les éléments les plus faibles que l'on contribuera à la stabilisation de l'ensemble.

Refonder notre politique africaine, suppose de savoir mener une politique d'influence, qui mette la défense et la promotion de nos intérêts en Afrique au premier plan. Il ne s'agit pas de se désintéresser de l'Afrique parce que c'est une région troublée, il s'agit au contraire de tirer profit de notre histoire commune, de la relation unique qui nous lie, de la francophonie, pour renouer un dialogue, savoir tenir un discours de vérité à nos partenaires, en le renforçant sur nos valeurs et en sachant voir où est l'Afrique de demain : il est paradoxal de constater que l'image de la France est aujourd'hui contestée sur le continent, que dans le même temps, nombre de gouvernements se plaignent d'être délaissés par notre pays et que nous ne nous rapprochions pas des mouvements de jeunesse citoyenne qui émergent çà et là, qui font très vite tâche d'huile.

La refondation de cette politique africaine sur l'axe du développement garant de la stabilité à long terme suppose que l'on se recentre sur l'essentiel. Les pays africains sont fragiles parce que les institutions étatiques sont extrêmement faibles et n'ont pas la capacité de définir des stratégies de développement, de mettre en oeuvre des politiques publiques de planification et d'aménagement équilibré des territoires. Il nous paraît essentiel de concentrer notre aide sur les problématiques de gouvernance, de travailler au renforcement des systèmes judiciaires, des administrations fiscales, des appareils sécuritaires. Il faut aussi se recentrer sur les priorités de nos politiques sectorielles en matière de santé et d'éducation et revenir au renforcement des systèmes de santé et à l'éducation de base.

Les politiques sectorielles que propose la communauté internationale, par exemple contre la corruption, pour la création d'institutions, ou la décentralisation, sont nécessairement de peu d'effets, on le voit avec le recul dès lors qu'à la base et dans beaucoup de pays, l'État manque de légitimité. En ce sens, il nous paraît essentiel que notre politique d'aide au développement essaie d'accompagner nos partenaires dans une démarche nécessairement de long terme, au terme de laquelle l'Etat apparaîtrait aux yeux des populations comme le garant de l'intérêt général et non plus comme un butin que le vainqueur des élections partage avec sa clientèle.

S'agissant des moyens de cette politique africaine recentrée, nous préconisons la création d'un ministère de plein exercice aux côtés du ministère des affaires étrangères qui serait chargé du pilotage de la politique d'aide au développement. Les problématiques de stabilité et de développement de l'Afrique francophone sont appelées à prendre de plus en plus de place dans notre agenda et il paraît indispensable d'être en mesure d'anticiper sur le moyen et long terme pour prévenir les crises qui ne manqueront pas de se produire si rien n'est fait suffisamment tôt. Il importe de rehausser le niveau d'attention, d'entretenir un dialogue constant avec les pays, leurs sociétés civiles, d'avoir les politiques d'aide au développement qui y contribueront. Un ministère dédié renforcerait la cohérence globale de notre action et, consécutivement, la voix de notre pays au niveau international dans le débat sur les problématiques de l'aide.

Ce ministère devrait aussi retrouver des marges de manoeuvre financières. Le montant que nous versons à certains instruments internationaux, notamment le Fonds mondial sida, est en contradiction avec nos priorités sectorielles qu'il nous empêche de respecter et il faut donc revenir à des montants plus conformes à nos possibilités. Nous proposons de ne pas reconduire l'augmentation de 20 % qui a été décidée en 2010, voire même de revenir au montant initial. En outre, les financements innovants, - taxe sur les billets d'avion et taxe sur les transactions financières - alimentent le Fonds de solidarité pour le développement, géré par l'AFD, et servent à financer un certain nombre d'instruments internationaux. Certains doivent être préservés comme l'Alliance GAVI, mais, à l'heure où le gouvernement incite Unitaid à diversifier ses ressources, il serait opportun de réorienter la part qui lui est versée sur nos moyens bilatéraux.

Les financements au FED sont cohérents avec nos priorités géographiques et sectorielles, 90 % de ces crédits allant à l'Afrique subsaharienne. Les seize Pays pauvres prioritaires de l'APD française ont reçu plus de 40 % de ce total. Mais la Commission finance des programmes d'organisations internationales et délègue aussi des fonds aux Etats membres, ce dont l'AFD, notamment, bénéficie. Nous recommandons que la Commission soit incitée à recourir davantage aux Etats membres plutôt qu'à des organisations internationales et que les opérateurs français se positionnent pour voir nos priorités mieux prises en compte dans nos secteurs d'expertise.

Nous rendons hommage aux initiatives des grands groupes français sur le terrain. Cela étant, à l'heure où l'ensemble des moyens publics est mobilisé au profit des entreprises dans le cadre de la diplomatie économique devenue prioritaire, peut-être pourrait-on réfléchir à la manière dont les entreprises pourraient contribuer à notre politique d'aide au développement, par exemple en soutien de l'action de nos postes diplomatiques, ce qui permettrait de renforcer leurs moyens.

Il nous paraît indispensable de réviser une politique dont le bilan en termes de stabilité et de développement de nos partenaires d'Afrique francophone pourrait être meilleur. Le continent est face à des défis considérables et il faut en prendre la mesure, proposer de travailler ensemble sur des axes nouveaux, sans répéter des solutions qui n'ont pas donné autant de résultats que l'on aurait pu escompter.

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