Intervention de Nicolas Sansu

Réunion du 22 avril 2015 à 10h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicolas Sansu, rapporteur :

Si la commission des Finances veut gagner du temps, je lui suggère d'adopter la proposition de résolution européenne que je présente : elle n'aura plus besoin d'entendre les membres du Gouvernement qui doivent s'exprimer devant elle tout à l'heure car les problèmes traités par le programme de stabilité et le programme national de réforme seront réglés autrement. Vous conviendrez que l'argument vaut son pesant d'or !

Plus sérieusement, cette proposition de résolution européenne a été adoptée par la commission des Affaires européennes avec le plus petit des scores – le même aurait tout de même fait le bonheur du Paris Saint-Germain ces derniers jours. Quel que soit son sort au sein de notre Commission – je souhaite évidemment qu'il soit au moins aussi favorable que la semaine dernière, mais je n'en suis pas sûr –, elle sera examinée au cours de la première séance publique du jeudi 7 mai puisque le groupe GDR a demandé son inscription dans une séance dont il a fixé l'ordre du jour.

Plutôt que vous lire l'exposé des motifs de la proposition de résolution, je souhaite vous expliquer, le moins mal possible, ce qui a motivé le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, et d'abord les députés du Front de gauche, pour inscrire ce texte dans leur « niche » parlementaire.

Pour nous, la dette est un formidable moyen de pression et de domination qui sert les intérêts d'une politique précise : celle qui consiste à favoriser les politiques publiques récessives, austéritaires parfois, en s'inscrivant en tout cas dans la tradition du libéralisme triomphant de ces dernières décennies. À ce sujet, je ne résiste pas à l'envie de vous citer la fameuse note rédigée en 2010 par le FMI : « Les pressions des marchés pourraient réussir là où les autres approches ont échoué. Lorsqu'elles font face à des conditions insoutenables, les autorités nationales saisissent souvent l'occasion pour mettre en oeuvre des réformes considérées comme difficiles, comme le montrent les exemples de la Grèce et de l'Espagne. »

Ce que ne disait pas encore le FMI, c'est que les réformes « considérées comme difficiles » provoquent des dégâts humains, sociaux et économiques considérables. Je ne reviens pas sur les plans d'ajustement imposés aux peuples espagnol, grec et portugais ni sur la remise en cause de droits humains comme le droit à la santé – le nombre de personnes mal soignées a augmenté en Grèce ainsi que le nombre de suicides – ou le droit au logement bafoué pour de nombreuses familles espagnoles. Notre pays lui-même, à un degré moindre, a également subi des ajustements qui ont touché notre peuple : ainsi la « réforme Fillon » des retraites de 2010. Alors que le président Sarkozy avait annoncé qu'il ne toucherait pas aux retraites, cette réforme a été mise en oeuvre pour maintenir la crédibilité financière de la France, comme François Fillon le disait lui-même. Je pense aussi au revirement de François Hollande et à son choix exclusif, en novembre 2012, confirmé en 2014, d'un allégement massif des prélèvements sur les entreprises, ce qui s'est répercuté de facto sur la consistance du service public et sur le soutien à la demande.

Cette dette, et c'est encore plus vrai avec ce chiffre magique de 2 000 milliards d'euros, est donc une justification très forte des politiques publiques néolibérales qui ont triomphé depuis trente ans. Je consacrerai un important passage de mon rapport à ce sujet. Cette approche est d'autant plus contestable que l'on pourrait parler de dette illégitime, du moins pour une partie de son montant.

D'abord en raison de ce que l'on nomme l'effet « boule de neige ». Les taux d'intérêt bien supérieurs à la croissance dans les années 1980-1990 ont contribué à gonfler la dette au bénéfice de ses détenteurs. Un rapport de la commission des Finances du Sénat soulignait, en 1998, que s'ils avaient été « financés par des emprunts dont la rémunération est égale au taux de croissance courant, les déficits primaires structurels enregistrés depuis 1980 n'auraient contribué qu'à hauteur de 17,1 points de PIB à l'augmentation du ratio d'endettement, contre 29,3 actuellement. L'écart atteint alors 12,2 points de PIB, les déficits primaires structurels ayant été quasi continuellement financés à des taux d'intérêt supérieurs au taux de croissance. »

Ensuite, en raison d'une baisse des prélèvements sur les classes les plus aisées comme l'ont montré, en 2010, un fameux rapport du rapporteur général de notre Commission, notre actuel président, puis le rapport sur la situation des finances publiques de MM. Paul Champsaur et Jean-Philippe Cotis.

Au total, nous aurions pu et dû éviter trente points de dette ! Le contexte de concurrence fiscale permise par l'Europe et l'évasion fiscale n'ont fait qu'aggraver les choses.

Cette évolution n'a été possible que parce que l'on a démantelé le circuit du Trésor sans mettre en oeuvre un équivalent européen. En 2008, quand survient la crise économique et financière, le pays et la zone euro sont déjà fortement endettés du fait d'un choix clair en faveur des plus aisés. Le transfert des dettes privées vers la dette publique, le sauvetage des banques et le soutien à l'activité par l'accroissement des déficits vont faire exploser encore davantage les dettes souveraines des États de la zone euro. Ce n'est pas une première dans l'histoire ; ce n'est pas non plus propre à la seule zone euro. Vous comprendrez dès lors que les remèdes proposés ne sont, à notre sens, opérants ni pour résoudre la crise ni pour trouver un chemin alternatif.

En commission des Affaires européennes, j'ai été interrogé sur la situation de la France, qui emprunte aujourd'hui à des taux très bas – le ministre a évoqué un taux de 0,43 %. Il faut bien voir que la mise sur le marché de liquidités de façon massive par la BCE recèle un danger car cela risque de créer une bulle financière pouvant exploser à tout moment. Aujourd'hui, les États ne seraient sans doute pas en mesure de réagir comme ils l'ont fait en 2007 ou 2008. Cette bulle semble bien voir le jour comme le montre, depuis trois mois, l'envolée du CAC 40 sous l'effet des rachats d'actions en masse.

Il y a donc urgence à proposer un autre chemin. Il s'articule autour des six points de la résolution.

Premier point : une grande conférence sur la dette devrait rassembler les gouvernements mais aussi les citoyens. La présidente du Parlement grec a lancé il y a un mois le Comité pour la vérité sur la dette qui s'appuie sur des experts ainsi que sur des associations grecques et internationales, comme cela s'est déjà produit en Équateur. Dans le cas grec, se pose la question d'une solution qui ne passe pas par les exigences de la « troïka » : il existe un réel besoin de moratoire, le temps de définir la part de dette qu'il faudrait restructurer, voire annuler.

Le deuxième point a trait à la transparence. J'ai enfin eu un contact avec l'Agence France Trésor. Si le circuit d'émission de la dette et la connaissance des titres émis ne posent pas de problème, en revanche, l'opacité règne une fois que l'on passe par la chambre de compensation, que ce soit Euroclear ou SWIFT. Il serait tout de même bien de savoir si ce sont les princes qataris ou le parti communiste chinois qui détiennent la dette de la France.

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