Intervention de François Chérèque

Réunion du 18 mars 2015 à 14h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

François Chérèque, inspecteur général des affaires sociales, président de l'Agence du service civique :

En effet. Cela étant, une fois que les intéressés ont connaissance des prestations auxquelles ils ont droit, encore faut-il qu'ils en fassent la demande, ce qui est un autre sujet.

D'autre part, un coffre-fort numérique permettra à ceux qui le souhaitent, en particulier aux personnes sans domicile fixe, de numériser tous leurs documents personnels : carte d'identité, carte de sécurité sociale, etc. Auparavant, lorsque les intéressés perdaient leurs documents, ils pouvaient perdre aussi leurs droits. Tel ne sera plus le cas. En outre, les documents seront ainsi prêts pour faire une simulation des droits.

Ces deux mesures, somme toute positives, compensent l'échec du dossier simplifié. On s'en sort par le haut, si je puis dire.

Nous avons constaté un retard important sur l'ensemble du volet « logement et hébergement », en particulier en matière de construction de logements sociaux. Nous avons fait un certain nombre de préconisations à ce sujet. S'agissant du volet « famille », nous insistons particulièrement sur l'accueil des enfants de moins de trois ans dans les structures collectives, notamment les crèches.

J'en viens à une appréciation plus détaillée de la mise en oeuvre du plan, en commençant par le volet « accès aux droits ». L'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES) a évalué à environ 6 milliards d'euros le montant des droits sociaux non utilisés. Cet argent n'est pas mis de côté au cas où les intéresserés réclameraient le versement des prestations : le budget de l'État est construit en intégrant une estimation du non-recours. Cela peut paraître choquant au premier abord, mais on ne peut guère faire autrement et il s'agit en réalité d'une mesure de bonne gestion.

Dans le cadre du plan, une démarche importante a été engagée pour améliorer l'accès aux droits. D'une part, il a été demandé aux caisses d'allocations familiales (CAF) d'organiser 100 000 rendez-vous des droits chaque année. En 2014, elles en ont tenu 140 000. En pratique, elles convoquent les personnes à l'occasion de difficultés particulières – décès d'un proche, divorce, rupture, perte d'emploi – afin de calculer leurs droits et de les ouvrir. Nous ne connaîtrons que l'année prochaine la quantité de nouveaux droits ouverts au cours de la première année grâce à cette mesure. Il est utile d'évaluer cette montée en charge, car elle peut entraîner des dépenses supplémentaires.

D'autre part, il a été décidé de simplifier le dispositif en fusionnant le RSA activité et la PPE. Cette mesure est bienvenue. Quelles sont les raisons des difficultés que nous constations dans l'accès au RSA activité ? Selon moi, il y en a principalement trois. D'abord, la complexité du dispositif. Le RSA activité s'adresse par définition à des personnes en situation de précarité, qui peuvent entrer dans le dispositif ou en sortir assez rapidement « par le haut » comme « par le bas ». Ainsi, les bénéficiaires sont souvent des personnes qui touchaient le RSA socle et qui trouvent du travail. Cet emploi peut être stable, mais il est plus souvent précaire. S'ils le perdent, les intéressés reviennent alors au RSA socle. Or les droits ne sont pas calculés une fois pour toutes, mais sur une base trimestrielle, ce qui est source d'indus que les personnes concernées doivent rembourser.

Deuxième raison, que je tiens à mentionner : les effets négatifs du débat sur l'assistanat. Dans le cadre de l'expérimentation conduite en Loire-Atlantique et en Seine-et-Marne, j'ai assisté à des débats de groupe et rencontré des personnes qui refusaient de demander le RSA activité. Il s'agissait notamment de chômeurs en fin de droits qui entraient dans le dispositif « par le haut » après avoir retrouvé un emploi précaire. Ils déclaraient notamment : « je ne suis pas pauvre », « je n'ai pas besoin d'être assisté » ou encore « je ne veux pas être au RSA ». À cet égard, il y a eu une confusion entre le RSA activité, prestation d'assistance destinée à des personnes qui travaillent, et le RSA socle, qui a hérité de l'image négative du revenu minimum d'insertion (RMI), véhiculée notamment par le débat politique sur l'assistanat. Ce phénomène n'est pas négligeable.

Troisième raison : le manque d'information, certaines personnes ne connaissant tout simplement pas l'existence de ce droit.

S'agissant de la PPE, il y avait notamment un problème d'éparpillement : un nombre non négligeable de personnes la touchaient alors qu'elles n'étaient pas du tout dans une situation de pauvreté. Tel était notamment le cas des jeunes qualifiés qui finissaient leurs études pendant l'été, commençaient à travailler en septembre ou octobre et percevaient un revenu inférieur à 2 000 euros avant la fin de l'année : ils avaient droit à la PPE l'année suivante, alors qu'ils étaient en réalité en voie d'insertion. Certains s'émeuvent qu'ils sortent du dispositif avec la réforme en cours, mais la PPE n'était pas faite pour eux.

Dans notre rapport, nous avons recommandé de procéder à la fusion de la PPE et du RSA activité – elle était déjà acquise, mais on a tardé à la faire – en tenant compte de la situation des personnes les plus fragiles par rapport à l'emploi, en particulier des familles pauvres. En effet, si l'on n'avait pris en considération que la situation individuelle au regard de l'emploi, les familles les plus pauvres, en particulier les femmes seules avec enfants, auraient risqué d'y perdre par rapport à l'ancienne prestation. En revanche, si l'on n'avait tenu compte que de la situation du foyer, il n'y aurait plus eu d'incitation à reprendre le travail, ce qui est pourtant l'un des objectifs de la fusion. L'équilibre qui a été trouvé me semble plutôt positif.

Quant à l'intégration des moins de vingt-cinq ans dans le dispositif, elle me semble un élément de justice sociale. On peut toujours avoir un débat sur l'opportunité de rendre le RSA socle accessible aux jeunes appartenant à cette tranche d'âge. En revanche, je m'étonne que ce débat existe à propos du RSA activité : j'entends parfois dire que leur accorder cette prestation serait les pousser vers l'oisiveté. Or il n'en est rien : s'ils la touchent, c'est justement parce qu'ils travaillent ! Il est logique qu'ils en bénéficient de la même façon que les autres. Sur ce point, le projet de loi va donc dans le bon sens.

La principale mesure du volet « emploi » est la garantie jeunes. Très originale, elle allie accompagnement, engagement du jeune et prestation sociale, ce qui est, selon moi, une bonne chose. La problématique rejoint celle du RSA : l'objectif est que les jeunes qui sont en situation d'extrême pauvreté, n'ont aucun revenu et sont en dehors de tout cadre familial et de tout circuit de formation, puissent entrer dans un dispositif d'accompagnement vers l'emploi. Ils signent une sorte de contrat avec la mission locale : en échange d'une indemnité du même montant que le RSA socle, ils s'engagent dans un parcours de formation et d'intégration. La montée en charge de la mesure a été lente, car elle impliquait un changement de pratiques professionnelles de la part des missions locales. En effet, les jeunes concernés ne viennent pas d'eux-mêmes dans les missions locales : pour pouvoir les accompagner, il faut les orienter vers ces missions, notamment avec l'aide des travailleurs sociaux. Je rencontre d'ailleurs la même difficulté pour le service civique : il faut « aller chercher » les jeunes qui en ont le plus besoin, et le leur présenter. La montée en charge est désormais satisfaisante : le Premier ministre souhaite passer de 10 000 à 50 000 garanties jeunes en 2015 et étendre le dispositif à plusieurs dizaines de territoires supplémentaires.

En ce qui concerne le volet « logement et hébergement », outre ce que j'ai indiqué précédemment, je souhaite soulever le problème de l'hébergement en hôtel des familles qui sont à la rue, notamment des femmes seules avec enfants. Nous avons demandé une action urgente en la matière. En effet, plusieurs rapports, en particulier ceux du SAMU social de Paris et de Médecins sans frontières, ont dénoncé des conditions d'hébergement qui rappellent les camps de réfugiés, notamment du point de vue sanitaire. Ils demandent de mettre fin à ces situations précaires et d'héberger ces personnes dans des logements stables. Lorsque les intéressés ne remplissent pas les conditions pour avoir accès à un logement social, il est possible de recourir aux associations qui pratiquent l'intermédiation : celles-ci prennent en location des appartements, y compris des logements sociaux, et les « sous-louent » aux personnes concernées, dont certaines, notons-le, ont un travail.

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