Intervention de François Chérèque

Réunion du 18 mars 2015 à 14h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

François Chérèque, inspecteur général des affaires sociales, président de l'Agence du service civique :

Je n'ai pas de précisions à vous apporter sur ce point, que je n'ai pas examiné dans le cadre du rapport. En tout cas, votre propos rejoint le mien : les hébergements de court séjour, notamment les nuitées d'hôtel, ne permettent pas de faire un accompagnement social efficace.

Les préfectures sont en train de réaliser un diagnostic à 360 degrés en matière d'hébergement d'urgence et de logement. Il s'agit d'évaluer concrètement la situation, département par département. Les résultats seront connus dans les mois qui viennent. Je ne suis pas hostile à ce que l'on recoure à l'hébergement en hôtel, y compris de manière massive, dans des régions très urbanisées telles que l'Île-de-France ou Rhône-Alpes. En revanche, dans d'autres territoires, c'est bien souvent une solution de facilité, par ailleurs coûteuse, alors qu'il existe des logements sociaux vides et qu'il est possible de faire appel à l'intermédiation.

S'agissant du volet « santé », les plafonds d'attribution de la CMU-C et de l'ACS, ont été relevés de 7,5 % au début de la mise en oeuvre du plan. La mesure a été efficiente : environ 600 000 personnes en ont bénéficié sur 750 000 éligibles, ce qui est appréciable. En outre, le panier de soins a évolué pour les personnes éligibles à la CMU-C.

Dans notre premier rapport, nous avions fait un certain nombre de remarques concernant la prise en charge de malades mentaux. Au cours des rencontres que nous avions organisées, beaucoup d'intervenants étaient revenus sur le lien entre maladie mentale et difficultés sociales, ainsi que sur les problèmes d'articulation entre la politique sanitaire mise en oeuvre par les agences régionales de santé (ARS) et l'action sociale qui relève des conseils généraux. Sur le terrain, les préfets et les ARS se critiquent mutuellement. Il me semble intéressant d'avoir intégré cette problématique dans le projet de loi relatif à la santé. Nous verrons ce qu'il en ressortira sur le plan opérationnel.

Dans notre deuxième rapport, nous avons exprimé notre soutien à la généralisation du tiers payant prévue par le projet de loi. Dans le débat, on entend que cette mesure ne devrait profiter qu'aux plus pauvres. Mais, à ce moment-là, où placer le curseur ? Car il y a toujours un problème de seuil : lorsque l'on fixe un plafond de revenus pour l'attribution d'une prestation telle que l'ACS, le risque est d'exclure les populations dont les revenus oscillent autour de ce plafond. À certaines périodes, elles auront droit à la prestation, mais à d'autres, non. Globalement, elles n'en bénéficieront pas. La généralisation du tiers payant est donc une mesure de simplification bienvenue, même s'il est probable que la population la plus aisée n'en a pas vraiment besoin. Pour de fausses raisons de justice sociale, on en viendrait à fixer des seuils qui excluraient de fait les plus pauvres.

Autre élément du débat : certains craignent que la généralisation du tiers payant ne conduise à une augmentation des dépenses de soins. Or les explications des responsables du Fonds CMU-C sont très claires à cet égard. Lorsque des personnes qui n'avaient pas droit initialement à la CMU-C entrent dans le dispositif, on observe, dans un premier temps, une augmentation des dépenses de santé, qui correspond à un décalage temporel dans l'accès aux soins : ces personnes, qui ne se soignaient pas auparavant en raison de difficultés financières, le font désormais parce qu'elles ont une couverture sociale. Si l'on estime que ces dépenses supplémentaires ne sont pas légitimes, c'est que l'on a une vision financière qui n'est guère compatible avec les objectifs de santé publique ! Dans un second temps, toujours selon les responsables du Fonds CMU-C, on assiste à une stabilisation : une fois que ces personnes se soignent régulièrement, elles ne consomment pas davantage de soins que les autres, bien qu'elles bénéficient de la gratuité totale. Je tenais à rappeler ce point important.

Quelles sont les raisons du faible taux de recours à l'ACS ? D'abord, cette prestation a été mise en place récemment – il y a un peu moins de dix ans – et n'est pas encore très connue. En outre, il y a, là aussi, un problème de seuil : les personnes qui sortent du dispositif de la CMU-C ne demandent pas toujours à bénéficier de l'ACS, dont l'attribution est moins automatique que celle de la CMU-C. Enfin, jusqu'à récemment, les bénéficiaires de l'ACS, même les personnes en situation de pauvreté stable, devaient en demander le renouvellement chaque année.

Dans notre premier rapport, nous avions demandé que les bénéficiaires de l'ASPA – qui a remplacé le minimum vieillesse – aient automatiquement accès à l'ACS. On peut en effet penser que ces personnes continueront à toucher l'ASPA jusqu'à la fin de leurs jours. Dès lors, pourquoi leur demander de présenter une nouvelle demande chaque année ? Nous avons obtenu non pas l'accès direct à l'ACS, mais son renouvellement automatique : lorsque les allocataires de l'ASPA demandent l'ACS, ils le font désormais une fois pour toutes. Or c'était là une des raisons du non-recours : plus les personnes avançaient en âge, moins elles avaient le réflexe de faire leur demande. D'autant qu'il n'est pas aisé de rassembler les documents nécessaires à la constitution du dossier : il faut s'adresser à plusieurs organismes, c'est-à-dire à ses propres caisses de retraite de base et de retraite complémentaire si l'on a travaillé, ainsi qu'à la caisse de son ex-conjoint si l'on touche une pension de réversion – la plupart des bénéficiaires de l'ASPA sont des femmes. De surcroît, ces personnes ont souvent eu une vie assez pénible et elles ne disposent pas toujours des connaissances administratives nécessaires pour accomplir ces démarches.

D'autre part, nous avons proposé que les allocataires du RSA socle aient un accès automatique à la CMU-C. Actuellement, ils doivent en faire la demande, ce qui est source de complexité. Et la difficulté est réelle : le taux de recours des bénéficiaires du RSA socle à la CMU-C s'établit seulement à un peu plus de 60 %. La mesure que nous proposons aurait le mérite de simplifier le dispositif tout en améliorant l'accès aux droits. Pour le moment, elle est en discussion. Elle aurait certes un coût, mais je ne suis pas certain qu'il soit considérable.

Dans d'autres rapports, j'avais proposé que l'on évalue le coût du non-accès aux droits. Par exemple, certaines personnes qui ne bénéficient pas de la CMU-C renoncent à faire soigner les caries de leurs enfants. Or cela coûte beaucoup plus cher le jour où il devient indispensable de faire enlever une dent. Si l'on chiffrait ces phénomènes, on se rendrait probablement compte que l'accès automatique aux droits représente certes un coût supplémentaire une année donnée, mais que tel n'est pas nécessairement le cas sur plusieurs années.

Concernant le volet « famille et enfance », nous avons choisi de suivre, comme l'année dernière, l'évolution des taux de pauvreté, qui sont des indicateurs importants. Dans le rapport de cette année, j'ai souhaité mettre l'accent plus particulièrement sur la situation des enfants pauvres.

D'après les chiffres dont nous disposons, le taux de pauvreté des plus de soixante-cinq ans a diminué de 0,9 point en un an pour atteindre 8,4 % – il n'est donc pas supérieur à 10 % comme j'ai pu l'entendre hier à la radio. Ce taux baisse de manière sensible et continue depuis trente ans. Cela tient, pour une part, au bon fonctionnement de notre système social : les politiques sociales mises en place pour sortir les personnes âgées de la pauvreté ont été efficaces, en particulier l'augmentation de l'ASPA de 25 % sur cinq ans. Surtout, les générations qui arrivent aujourd'hui à la retraite ont des carrières de plus en plus complètes, y compris les femmes.

En revanche, le taux de pauvreté des moins de dix-huit ans a augmenté de manière constante depuis dix ans pour atteindre aujourd'hui 19,6 %. Dès lors, la question qui se pose est la suivante : peut-on avoir une politique sociale qui réponde à l'enjeu actuel, à savoir la pauvreté des enfants ? J'ai constaté qu'il était beaucoup question de la pauvreté des personnes âgées dans les médias, ce qui est positif, mais qu'on parlait très peu de celle des enfants, y compris dans les rapports des associations caritatives. Il y a une difficulté à aborder ce problème. L'expression « pauvreté des enfants » est d'ailleurs impropre, car les enfants, cela va de soi, ne vivent pas seuls et ne perçoivent pas de revenus : il s'agit d'enfants qui vivent au sein de familles pauvres, notamment de familles monoparentales, qui sont souvent, vous l'avez dit, madame la présidente, des femmes seules avec enfants. En un an, la part des familles monoparentales en situation de pauvreté est passée de 34,6 à 36 %. Cela tient à la crise économique : les emplois précaires sont les premiers à être supprimés ; et, lorsqu'un couple se sépare, les enfants restent généralement avec leur mère, laquelle occupe souvent un emploi plus précaire que le père.

Le plan contient plusieurs mesures positives à cet égard. D'une part, la garantie contre les impayés de pension alimentaire, expérimentée dans vingt départements, semble bien fonctionner : lorsque le parent qui doit verser la pension ne le fait pas – il s'agit, dans la très grande majorité des cas, du père –, la CAF verse au parent qui devait en bénéficier un montant de 95 euros par mois et par enfant, à charge pour elle de se faire rembourser ensuite par le mauvais payeur. Nous avons recommandé la généralisation de la mesure. D'autre part, la revalorisation des minima sociaux, de près de 50 % sur la durée du plan, aura un effet important.

Néanmoins, il nous semble nécessaire de dépasser la politique actuelle. Plusieurs études récentes ont montré que les mères seules avec enfants étaient d'autant plus touchées par la pauvreté que leur niveau de qualification était faible. Nous proposons donc de compléter la revalorisation des prestations par une action d'accompagnement renforcé de ces personnes vers la formation et vers l'emploi. Le plan de lutte contre le chômage de longue durée présenté par M. Rebsamen s'inspire des réflexions sur ce point.

Nous recommandons, en outre, de faciliter l'accès aux structures d'accueil collectif. Cette mesure figure déjà dans le plan, mais il s'agit d'accélérer sa mise en oeuvre. Il y a notamment eu un débat sur les cantines, qui sont de plus en plus nombreuses à n'accueillir que les enfants dont les deux parents travaillent.

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