Intervention de général Denis Mercier

Réunion du 15 avril 2015 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'air :

En effet, il s'agit de rembourser l'armée de l'air non pas en crédits, mais en avions. Le terme « restituer » serait sans doute plus juste.

Dans ces conditions, la rénovation des Mirage 2000D, qui est prévue dans la LPM, est cruciale pour continuer à garantir le respect des contrats opérationnels, alors que les spécialistes Rafale seront très sollicités par ailleurs. Je le répète : ma cible, pour tenir dans la durée, est bien de 55 Mirage 2000D modernisés.

Concernant les drones Reaper, nous compléterons le premier système avec l'arrivée du troisième appareil, en principe le mois prochain, et nous attendons avant la fin de l'année la commande du deuxième système de trois avions, qui devrait nous être livré en 2016. En outre, le processus d'acquisition des avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR) est enclenché. Les drones et les ALSR sont des moyens persistants d'observation qui vont consolider notre capacité de recueil du renseignement, ce qui est indispensable, notamment dans la bande saharo-sahélienne.

Concernant les MRTT – Multi Role Tanker Transport –, après la commande tant souhaitée du premier avion l'an dernier, nous attendons la commande de huit appareils en 2015 et l'avancée dans la LPM de la commande des trois derniers. Enfin, nous recevrons deux AWACS modernisés cette année.

Dans le domaine de la formation et de l'entraînement, nous mettons en oeuvre le projet de formation modernisée et d'entraînement différencié des équipages de combat (FOMEDEC), dit également « Cognac 2016 ». Il s'agit non seulement de remplacer nos appareils d'entraînement, mais aussi de mettre en place un entraînement différencié, qui nous permettra de former cinquante pilotes supplémentaires, lesquels nous aideront à tenir nos contrats opérationnels dans la durée. L'entraînement sera de meilleure qualité tout en étant moins coûteux. Ainsi, nous économiserons 110 millions d'euros sur le MCO que nous pourrons réinjecter dans l'activité opérationnelle. Nous attendons le passage au stade de réalisation en 2015, ce qui est essentiel pour relever notre niveau d'activité.

Le plan « CAP 16 » de la SIMMAD vise précisément à remonter le niveau d'activité à budget constant. Rappelons que l'activité est inférieure de 20 % au niveau requis. Le ministre de la Défense nous a accordé une augmentation des crédits d'entretien programmé des matériels (EPM) de 4 % en volume sur la durée de la LPM. En contrepartie, nous nous sommes engagés à faire les efforts nécessaires pour remonter notre activité au niveau souhaité. Cela passe par plusieurs actions, notamment le projet FOMEDEC que je viens d'évoquer et la renégociation des contrats de maintenance par la SIMMAD, au plus près de l'activité, en partenariat avec les industriels. Aujourd'hui, les feux sont au vert : la SIMMAD a déjà identifié près de 450 millions d'euros de gain potentiel sur ces contrats – certains d'entre eux ont déjà fait l'objet d'une nouvelle signature – et nous allons réinjecter cet argent dans notre activité. Notre objectif est d'atteindre un milliard d'euros en fin de LPM en intégrant les résultats du projet « supply chain ». Aujourd'hui, nous sommes confiants dans notre aptitude à remonter notre activité au niveau souhaité dans le cadre de l'enveloppe budgétaire. Moyennant l'effort financier qui a été consenti, nous sommes capables de penser le MCO différemment et de nous organiser en conséquence. Je suis satisfait du travail accompli en la matière, mais nous devons poursuivre nos efforts.

Moderniser, c'est aussi repenser la préparation de l'avenir. À partir du Centre d'expériences aériennes militaires, nous allons créer cette année à Mont-de-Marsan le Centre d'expertise aérienne militaire ou Air Warfare Center (AWC). Il s'agit d'une réforme majeure : elle consiste à rassembler sous un même commandement, qui sera responsable de la satisfaction des forces, tous les acteurs de l'innovation, qu'ils agissent dans le domaine des équipements, de la doctrine ou de la formation. Ce regroupement des expertises en un seul endroit vise à mieux préparer nos forces, à adapter nos capacités aux opérations et à préparer l'avenir. Dans les faits, l'AWC jouera – c'est important de mon point de vue – le rôle d'une véritable courroie de transmission entre les unités de combat, les états-majors et le commandement. L'AWC a vocation à entraîner toute l'armée de l'air dans une dynamique d'innovation nourrie par le retour d'expérience de nos opérations.

La dynamique de partenariat, troisième axe de notre transformation, est lancée. Un Centre d'excellence drone (CED) a été créé à Salon-de-Provence en 2014. Chargé de développer les concepts d'emploi et de définir des programmes de formation, il permet d'agréger les compétences de nombreux acteurs du monde civil et militaire. L'AWC que je viens d'évoquer sera aussi ouvert à l'industrie – nous avons déjà de bons exemples en la matière – et à l'enseignement supérieur. Ces multiples partenariats sont tous placés sous le signe de l'innovation, à l'instar du projet de « smart base » – qui s'inspire du concept de « smart city » ou « ville intelligente » – que nous développons actuellement à Évreux.

Toutes nos capacités offrent également des possibilités de partenariat sur différents aspects tels que la préparation de l'avenir, le soutien, la formation, etc. Je signale notamment les coopérations européennes sur lesquelles nous travaillons : l'élargissement du Commandement du transport aérien européen – European Air Transport Command (EATC) – à l'Espagne puis à l'Italie ; le développement des normes militaires européennes – European Military Airworthiness Requirements (EMAR) ; la création, cet été en Italie, d'un centre européen de formation à la récupération des équipages de combat éjectés ; les questions relatives au Ciel unique européen, etc. Je mentionne également l'intégration de notre défense aérienne au sein du système de défense aérienne et antimissile intégrée de l'OTAN – NATO Integrated Air and Missile Defence System (NATINAMDS) –, évolution majeure qui interviendra dès que le Premier ministre aura signé le dernier document pertinent. Le quatrième axe, la valorisation des aviateurs, est au coeur de nos préoccupations. C'est elle qui guide la politique des ressources humaines (RH) de l'armée de l'air, qui est bien sûr dérivée de celle du ministère de la Défense.

Notre politique RH concerne tous les aviateurs : militaires employés dans l'armée de l'air ou en dehors d'elle, civils employés par l'armée de l'air, volontaires et réservistes. Notre principale capacité, je ne cesse de le rappeler, ce sont nos hommes et nos femmes. Cette politique garantit la cohérence globale entre le format de l'armée de l'air et ses contrats opérationnels. Elle intègre les spécificités qui forgent l'identité de l'aviateur, à commencer par l'organisation en bases aériennes. Elle prend en compte l'intégration des soutiens aux opérations aériennes, ce qui justifie l'emploi de 25 % d'aviateurs hors de l'armée de l'air. Ainsi, nous avons placé beaucoup d'aviateurs au sein de la direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information (DIRISI) et de la direction du renseignement militaire (DRM), car notre armée est très dépendante des systèmes d'information et de communication et a des besoins spécifiques en matière de renseignement.

Notre politique RH s'appuie aussi sur la haute technicité du personnel pour l'utilisation de systèmes complexes et interconnectés. Elle adopte une architecture fonctionnelle dictée par les opérations. L'armée de l'air, je le rappelle, est composée d'un corps dual de cadres et d'experts, d'une ossature de sous-officiers spécialistes – nous sommes essentiellement une armée de sous-officiers – et d'une population de militaires du rang, qui constitue un vrai corps d'exécution. Je n'oublie pas, bien sûr, les civils qui sont intégrés aux structures, ni les réservistes, qui agissent en soutien des contrats opérationnels.

Centrée sur l'aviateur et répondant aux impératifs des opérations, notre politique RH se décline en quatre grands principes, tout en étant guidée par un leitmotiv : une gestion personnalisée des compétences et des carrières des aviateurs, ce qui est très différent de ce que nous faisions auparavant.

Premier principe : l'individualisation des compétences. Celle-ci répond d'abord aux exigences de technicité et de normes d'emploi qui sont requises notamment dans le domaine du nucléaire, du commandement et de la conduite, du MCO ou de la navigabilité. Nous avons besoin, dans ces matières, de spécialistes de haut niveau.

Le suivi personnalisé des compétences valorise les spécificités et l'employabilité des aviateurs. Ainsi, nous sommes en train de mettre sur pied, avec le ministère de l'Éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, un projet intitulé « diplomation », dont l'ambition est d'offrir à chaque aviateur, quel que soit son métier, la possibilité d'obtenir un diplôme supérieur à celui qu'il détenait lorsqu'il est entré dans l'armée de l'air. Il s'agit de valoriser les compétences qu'il a acquises au cours de sa formation dans l'armée, y compris pendant sa période d'apprentissage en unité, et de lui permettre d'acquérir les compétences qui lui manquent. C'est un projet important, qui répond à une demande forte de notre personnel.

Deuxième principe : une progression professionnelle beaucoup plus dynamique et ouverte sur l'extérieur. Car nous devons attirer et générer des talents. Tel est le sens, par exemple, du projet qui unifiera, dès cet été, toutes les formations d'officiers à l'École de l'air de Salon-de-Provence. Nous disposions encore de deux écoles : celle du recrutement externe et celle du recrutement interne, pour les officiers de carrière. Nous allons fusionner ces deux écoles en une seule et, à l'avenir, nous n'identifierons plus les officiers selon qu'ils ont été recrutés de manière directe ou semi-directe au sein des sous-officiers. Nous proposerons aux anciens sous-officiers d'accéder aux meilleurs cours, par exemple aux cours d'ingénieur, s'ils en ont les compétences. Nous menons donc bien une politique de dynamisation et de valorisation de l'excellence de chacun.

Le troisième principe consiste à définir un format RH évolutif dans lequel chaque aviateur doit pouvoir inscrire son projet professionnel. Nous mettons en place le modèle dit « en Y », en offrant des possibilités complémentaires de poursuite de carrière au sein de l'armée de l'air et hors de celle-ci. Ce modèle s'appuiera sur une ouverture et des partenariats étendus avec la société civile, ainsi que sur une reconnaissance accrue des compétences, acquis et diplômes détenus par les aviateurs.

Quatrième principe : l'entretien et la préservation du capital humain. Si nous voulons aller vers la personnalisation des parcours de compétence, il est très important de comprendre que la gestion des carrières de nos aviateurs est non pas un problème de direction des ressources humaines, mais une affaire de commandement : chacun doit s'impliquer dans la valorisation des aviateurs qu'il commande. Nous sommes en train de former le commandement à gérer les carrières de nos aviateurs.

D'autre part, face aux fortes sollicitations opérationnelles, nous devons veiller à l'amélioration des conditions de travail et de vie de nos aviateurs, ainsi qu'à la dynamisation de la concertation, notamment dans le cadre de l'arrivée des associations professionnelles nationales de militaires (APNM) qui vont être instituées. Nous devons donner de la visibilité à nos aviateurs sur notre politique RH. À cette fin, nous allons leur distribuer dès cet été un document décrivant cette politique, adapté à chacun, afin qu'ils puissent inscrire leur action dans ce cadre et, surtout, qu'ils soient les acteurs de leur propre vie professionnelle – tel est notre leitmotiv.

Cependant, pour conserver cet élan, il convient d'être transparent sur les difficultés que nous connaissons aujourd'hui, notamment dans la mise en oeuvre de cette politique RH en 2015 et pour la fin de la LPM.

J'évoquerai pour commencer les objectifs de « non-déflation ». L'armée de l'air n'a pas vocation à engager en quantité des soldats destinés à servir comme sentinelles : tel n'est pas son métier. En revanche, elle doit renforcer ses capacités dans un certain nombre de spécialités critiques. Ainsi, nous devons recruter du personnel supplémentaire pour la protection de nos bases aériennes, car nous sommes allés trop loin dans la déflation dans ce domaine. Nous devons aussi compléter les effectifs dédiés au commandement et à la conduite des opérations, capacité extrêmement exigeante en termes de présence, tant pour la PPS que pour les opérations en cours. Il en va de même pour les unités chargées du maintien de nos systèmes d'information et de communication. Ces systèmes dépendant de plus en plus de réseaux, nous devons aussi faire un effort dans le domaine cyber. Nous avons d'ailleurs développé un plan cyber pour l'armée de l'air. En outre, nous avons un besoin spécifique en formateurs, car les succès à l'export vont nous demander un effort important en la matière : il faut que nous soyons capables de dégager des effectifs pour la formation des armées de l'air étrangères. Enfin, la décision de ne pas fermer une base aérienne au début de la LPM et le glissement du projet « Cognac 2016 » conduiront à maintenir en poste le personnel correspondant. Telles sont les « non-déflations » d'effectifs que nous avons demandées.

La remontée en puissance du recrutement constitue le second enjeu pour 2015. Rappelons que l'armée de l'air emploie aujourd'hui 48 000 personnes contre 66 000 il y a six ans. Après d'importantes suppressions de postes en 2014, nous commençons à atténuer les diminutions d'effectifs. Dans les trois armées, la déflation s'est faite non pas en augmentant le flux de sorties, mais en diminuant le flux d'entrées. Dès lors, pour stabiliser les effectifs, il va falloir augmenter de nouveau le flux d'entrées. Dans l'armée de l'air, nous allons devoir le doubler, ce qui représente un véritable défi. Le recrutement est aujourd'hui une de nos priorités, car nous devons continuer à engager un personnel de qualité. D'où la campagne de recrutement que nous avons lancée et que nous allons poursuivre.

Enfin, ainsi que je l'avais souligné lors de ma précédente audition par votre commission, le nombre d'officiers demeure pour nous un point de vigilance : nous avons aujourd'hui une vision plus précise en la matière, et les dépyramidages qui nous ont été demandés doivent être ajustés aux réalités des armées. Compte tenu de ses spécificités, l'armée de l'air a besoin d'un taux d'encadrement un peu différent de celui des autres armées. Sur les 5 500 officiers de l'armée de l'air, 1 500 ont ce statut non pas parce qu'ils exercent des fonctions d'encadrement, mais parce qu'ils sont personnel navigant. En outre, le commandement et la conduite des opérations et le MCO sont deux autres domaines structurants qui font appel à de nombreux officiers.

La crédibilité de notre politique RH dépendra de la manière dont nous répondrons à ces enjeux. Ma préoccupation est la suivante : dès que les chiffres auront été arrêtés et annoncés en ce qui concerne la « non-déflation » des effectifs, nous devrons stabiliser notre modèle RH à l'horizon 2019, afin de donner de la visibilité à notre personnel.

En conclusion, il y a six mois, je vous avais décrit 2015 comme une année charnière. Cette réalité se confirme. Nous sommes au milieu du gué, mais nous sommes résolument déterminés à relever ensemble le double défi de notre modernisation, qui se poursuit, et de la réforme des structures, qui ne doit pas faiblir.

L'actualisation de la LPM doit justement nous permettre de consolider un certain nombre de projets que nous avons engagés depuis plus de deux ans. Nous entrons dans la troisième année de notre plan stratégique « Unis pour faire face ». Celui-ci a démontré sa cohérence : ses résultats commencent à être visibles, et je constate une adhésion manifeste de nos aviateurs, en même temps que de fortes attentes. Nous devons donc assurer la continuité de ce plan selon les quatre axes que j'ai mentionnés.

Je le répète : dès que les décisions relatives aux effectifs auront été prises, il nous faudra entériner le modèle RH à l'horizon 2019, et ne surtout plus y toucher, afin de construire la politique que nous avons définie. C'est essentiel pour maintenir l'adhésion de notre personnel.

Mesdames, messieurs les députés, vous le savez, vous pouvez compter sur l'entière détermination et sur l'engagement sans faille de nos aviateurs, qui sont en opérations jour et nuit dans tous les cieux du monde et sur le territoire national. Cette ténacité est inscrite dans leur ADN depuis quatre-vingts ans. Avec eux, avec vous, nous pourrons continuer à construire une armée de l'air opérationnelle, qui continue à se moderniser, qui noue de plus en plus de partenariats et s'ouvre sur l'extérieur et qui, surtout, est portée par son personnel et ses aviateurs. Tel est notre credo.

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