S'agissant du Sénat comme des autres institutions, il convient de raisonner en termes d'équilibre entre légitimité, responsabilité et pouvoirs. Il importe que notre groupe de travail se mette d'accord sur un socle minimal de réforme pour chaque institution.
Le fonctionnement actuel du Sénat soulève plusieurs problèmes. Du point de vue de la légitimité, tout d'abord, le Sénat présente deux aspects antinomiques avec les principes fondamentaux de la démocratie. Premier aspect, il émane surtout du suffrage des petites communes, ce qui porte atteinte au principe « un homme, une voix ». Il n'est pas tolérable que la voix d'un habitant d'une commune de la France profonde pèse dix fois plus lourd que celle d'un habitant d'une grande ville. Deuxième aspect, c'est une chambre qui ne connaît pratiquement pas l'alternance.
Deux types de pouvoirs sénatoriaux posent également problème. D'une part, il n'est pas admissible qu'une chambre si peu représentative du peuple puisse bloquer les révisions constitutionnelles. Pour autant, il ne faut pas non plus réviser la Constitution de façon hâtive. On pourrait donc effectivement lever le veto du Sénat sur ces révisions tout en prévoyant un quorum en cas de référendum, voire une majorité qualifiée sur certains sujets. D'autre part, le président du Sénat contribue à nommer un tiers des membres du Conseil constitutionnel et de bon nombre de corps. Il en résulte que, au cours des cinquante-sept années d'existence du Conseil, la majorité de ses membres a constamment été nommée par la droite, sauf pendant sept ans. Enfin, la responsabilité d'une institution doit correspondre, de façon équilibrée, à la légitimité et aux pouvoirs qui lui sont conférés. Or, actuellement, le Sénat dispose de pouvoirs très importants au regard de son absence totale de responsabilité.
On peut envisager plusieurs solutions à ces problèmes. En ce qui concerne la légitimité, nous nous accordons tous pour que le Sénat représente en tout ou partie les collectivités locales. Reste à savoir selon quelles modalités. Nous sommes nombreux à juger intéressant que cette chambre représente en outre non seulement les professions, mais aussi d'autres groupes sociaux, tels que les associations.
S'agissant de la responsabilité, si l'on affaiblit les pouvoirs du Sénat, par exemple en le fusionnant avec le CESE, peu importera que cette chambre ne soit pas responsable et que sa légitimité ne soit pas aussi grande que celle de l'Assemblée nationale.
S'agissant enfin des pouvoirs, on attend notamment du Sénat qu'il exerce une fonction d'information. Comme nous nous accordons tous pour dénoncer l'insuffisance des études d'impact, il serait intéressant de connaître le point de vue des syndicats sur une loi en amont de sa préparation plutôt que de devoir attendre son adoption pour les voir défiler dans les rues. Les syndicats auraient tout à gagner, sans pour autant prendre part à l'exercice du pouvoir législatif puisque l'Assemblée nationale garderait le dernier mot, à expertiser les projets législatifs et à proposer des amendements du début à la fin de leur élaboration, selon un système de navette. Peut-être les syndicats pourraient-ils retrouver une certaine légitimité en jouant un rôle non seulement d'opposition, mais aussi de construction de la loi.
Je reconnais que l'existence du Conseil constitutionnel atténue le besoin d'une chambre exerçant un pouvoir neutre. Mais le pouvoir modérateur du Conseil repose sur une argumentation juridique, tandis que celui du Sénat devrait être d'ordre politique et reposer sur de nombreuses informations qui, d'habitude, ne sont pas prises en compte, telles que celles fournies par le CESE dans ses excellents rapports. Il s'agirait donc de confier à cette chambre – que l'on n'appellerait pas forcément Sénat – une fonction de consultation de l'ensemble des parties prenantes et d'amélioration de la fabrication de la loi par la participation de forces différentes. Telle était l'idée de Montesquieu qui, dans De l'esprit des lois, établit une séparation non seulement entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, mais aussi au sein du pouvoir législatif, entre forces conservatrices et modernes. Une telle position irrite Rousseau, non sans raison. Mais peut-être pourrait-on concilier les points de vue des deux philosophes en conservant une force de modération et en laissant le dernier mot à la représentation directe du peuple.
J'étais jusqu'ici très favorable au tirage au sort qui aurait permis au Sénat d'être composé de façon tripartite d'élus locaux, de représentants des associations et groupements professionnels et de personnes tirées au sort. J'entends néanmoins avec sérieux les objections à cette idée. Peut-être pourrions-nous donc contraindre cette chambre à consulter régulièrement un jury citoyen suivant des procédures participatives aujourd'hui bien rodées.