Le bicamérisme présente quand même l'avantage pour la démocratie de différencier les modalités de représentation des citoyens et de pluraliser les temporalités politiques. Ne pourrait-on pas concevoir un Sénat rénové dans une architecture institutionnelle qui intégrerait le Parlement européen ? Certains parlent de tricamérisme pour caractériser cette architecture. La représentativité du Sénat s'appuyant sur les élus locaux, ne pourrait-on envisager qu'il joue un rôle de courroie de transmission du travail législatif effectué à l'échelle européenne ?
Il serait logique de donner au Sénat davantage de pouvoirs et des compétences législatives spécifiques pour lui permettre de faire valoir les intérêts et les attentes de territoires insuffisamment représentés. Comment passer de la représentation actuelle, relativement faible, des collectivités à une représentation où le Sénat assurerait leur défense de façon effective ? Une telle évolution affecterait-elle la nature unitaire de l'État ?
Il est difficile d'articuler la représentativité politique et la représentativité sociale au sein d'une même chambre. Plus on y combine de critères de représentativité de la nation, plus on tombe dans une assemblée de la diversité avec les risques de communautarisme que cela comporte. Cela porterait en outre atteinte à la lisibilité de la représentation de la nation aux yeux de l'opinion publique et poserait des problèmes de prise de décision et de suivi du travail législatif. Je rejoins d'ailleurs ici les interrogations de Michel Winock : où s'arrêterait cette représentation sociale ? Quel degré de précision adopter pour traduire en termes de représentation politique les intérêts des groupes sociaux et professionnels ? Cette représentation d'une diversité d'intérêts n'est-elle pas incompatible avec l'idée même d'intérêt général ? Serait-il vraiment possible, comme cela a été proposé, de concilier représentation politique et représentation des experts au sein d'une même assemblée ? Celles-ci ne reposent-elles pas sur des logiques de prise de décision et des régimes de vérité très différents ? Faire de la prospective et penser le temps long suppose de s'inscrire dans des schémas de scénarisation du futur qui ne relèvent pas du vote, mais bien d'un consensus scientifique d'experts.
Enfin, en quoi les médias contribuent-ils à alimenter la défiance de l'opinion publique vis-à-vis du Sénat ? Ne faudrait-il pas également prendre en compte l'évolution de la sociologie des élus locaux pour comprendre l'image que l'on peut avoir du Sénat ?