Intervention de Bernard Thibault

Réunion du 17 avril 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Bernard Thibault :

Face au courant dominant qui se dessine au sein de cette commission en faveur d'une certaine évolution du Sénat, je me sens dans l'obligation de renforcer le poids de mes réserves. Je ne suis en effet pas convaincu par la perspective d'une seconde chambre composée de manière mixte, pour partie de représentants des territoires et pour une autre, selon des proportions et des modalités dont Michel Winock a souligné qu'elles n'étaient guère évidentes à mettre en oeuvre, de représentants des groupes économiques, sociaux ou professionnels. Cette coexistence, au sein d'une même assemblée, entre deux types de représentation nous conduit en terrain inconnu. Surgiront des problèmes de légitimité d'autant plus aigus qu'il s'agira d'un organe doté du pouvoir législatif. Si, à l'inverse, on opte pour une assemblée aux pouvoirs amoindris, soyons direct : je ne vois guère l'intérêt d'une telle proposition.

Vous comprendrez que je m'arrête en particulier sur la question de la représentation socioprofessionnelle. Avec la solution que vous préconisez, on franchit un pas supplémentaire vers une forme de constitutionnalisation des acquis de la négociation sociale. Or je n'y suis pas favorable, car, tout en étant le premier à reconnaître la force et la légitimité d'une négociation entre représentants des employeurs et représentants des salariés, je ne pense pas que le résultat de cette négociation doive s'imposer à l'ensemble de la société. Il me semble que c'est aux élus que revient le soin de veiller à l'intérêt national, d'en être les garants. Certes, ils ont le devoir de s'inspirer pour cela des accords intervenus entre les forces vives du pays le cas échéant, mais en aucun cas ces accords ne les contraignent juridiquement, à moins de vouloir donner aux corps économiques et sociaux un pouvoir législatif, ce dont, à ma connaissance, il n'existe aucun exemple ailleurs dans le monde.

Je me méfie par ailleurs du conflit de légitimité que pourrait générer la coexistence d'une chambre, l'Assemblée nationale, dans laquelle domine, à travers les députés et les partis politiques, la représentation politique des citoyens, avec une seconde chambre « mosaïque », représentant la société à travers ses syndicats, ses associations et autres organisations.

Au-delà du conflit de légitimité, nous aurions là deux conceptions de la représentation qui s'opposent, avec cette question : dans notre République, la représentation politique doit-elle continuer à prévaloir sur toute autre forme de représentation, organisée selon des critères culturels, philosophiques, voire religieux ? En tant que syndicaliste, je pense que oui, sinon, c'est l'aventure.

Quant à tirer au sort des individus, comme cela se pratique, par exemple, dans les cours d'assises, il me semble qu'il est préférable de favoriser des mécanismes de représentation qui s'inscrivent dans un cadre collectif : je suis extrêmement réservé en effet – et le mot est faible – sur la légitimité qu'auraient des individus tirés au sort à prendre des décisions au nom de tous.

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