Monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, le débat qui nous est proposé et l’interrogation qui le sous-tend sont lancinants, y compris chez nos concitoyens, qui constatent que l’Europe telle qu’elle existe n’est faite ni par eux, ni pour eux.
Je vais essayer ici de définir les contours de l’Europe que nous souhaitons.
En effet, non seulement l’Europe ne fait plus rêver, mais elle est de plus en plus perçue comme impuissante et incapable de répondre aux urgences économiques et sociales des citoyens européens. Les dirigeants européens, les libéraux ou sociolibéraux qui exercent le pouvoir à Bruxelles, sont les principaux responsables de cette faillite démocratique et morale. Renouer la confiance entre les citoyens et l’Europe passe selon moi par la démocratisation de son mode de fonctionnement et de décision. Il est urgent, en effet, de donner la parole aux peuples européens, aux peuples souverains, pour qu’ils décident eux-mêmes des orientations du projet européen. Cette position ne présuppose nulle déresponsabilisation des politiques, bien au contraire.
Un projet européen digne de ce nom est un projet volontariste et un projet d’espoir pour les peuples. Celui-ci suppose une reconstruction européenne libérée de la tutelle des marchés financiers, des dogmes du néolibéralisme et de l’orthodoxie budgétaire. Cette rupture est un préalable à la fondation de l’Europe démocratique et sociale attendue par nos concitoyens. Or un tel programme se situe aux antipodes des politiques menées par les gouvernements européens. Ceux-ci s’entêtent en effet, depuis des années, dans l’offensive contre les dépenses publiques et les droits sociaux : démantèlement des services publics au nom de la libre concurrence, blocage des salaires au nom de la compétition sociale, réduction du nombre de fonctionnaires, réforme des retraites, de l’assurance-maladie, remise en cause des politiques et prestations sociales, privatisations, et j’en passe.
La ratification du fameux traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance – TSCG – qui avait été négocié et signé par le couple Sarkozy-Merkel fut en France le geste annonciateur du dévoiement de notre politique dans les méandres du néolibéralisme. En effet, en septembre 2012, le TSCG nous a été présenté comme la dernière chance de sauver l’Europe et l’euro. Ce fut un énième argument d’autorité – et d’austérité – lancé par les institutions et gouvernements européens, soutenus en cela par les responsables de la crise eux-mêmes, les banquiers, les marchés financiers, les spéculateurs boursiers, qui se frottaient les mains.
Plutôt que de tirer les conséquences de cette crise par la taxation des flux de capitaux et un contrôle strict du système financier, les États ont préféré transférer l’essentiel de son coût sur leurs propres peuples. L’interdiction dogmatique du déficit structurel et du déséquilibre budgétaire revenait à condamner l’investissement public, moteur de croissance, de création de richesses et d’emplois. Cette voie a été ignorée, voire proscrite, et écartée en faveur d’une relance économique par l’austérité. C’est un non-sens à nos yeux. La reconstruction européenne passe aujourd’hui, plus que jamais, par une déconstruction des règles et doctrines de la zone euro et par une réorientation des priorités en faveur de l’investissement public, social et écologique. Le rôle de la Banque centrale européenne doit être reconsidéré et mis au service de cet objectif. Tel est le sens de notre projet européen.
Notre Europe, enfin, doit aussi être une Europe sociale, car l’Europe sociale est aujourd’hui fictive. Si le droit de l’Union garantit la libre circulation des travailleurs comme élément constitutif du marché commun, il n’harmonise pas, ni ne coordonne, les législations nationales sur le droit des travailleurs mobiles. La directive détachement n’oblige pas les États membres à fixer des salaires minimaux. Le droit européen favorise ainsi le développement d’un dumping social fondé sur l’exportation dans certains pays de travailleurs jugés d’autant plus compétitifs que les cotisations sociales du pays d’origine sont faibles. Comment s’étonner, dès lors, que l’application d’une telle directive ait abouti à toutes sortes de dérives, dont pâtissent aujourd’hui nos salariés, ainsi que nos entreprises, particulièrement les PME et les PMI ?
En outre, les politiques sociales européennes n’ont donné lieu, pour l’essentiel, qu’à des dispositions très générales et peu contraignantes, car les politiques sociales sont considérées comme des poids et des handicaps économiques. Il faut désormais remettre au centre des préoccupations cette dimension sociale, qui est la condition de l’unité des sociétés européennes. La crise économique rend les politiques sociales plus nécessaires que jamais, du fait de l’ampleur du chômage, de la précarité de l’emploi et de la pauvreté. Elle devrait être l’occasion, pour l’Union, de se doter d’un socle commun de droits sociaux minimaux universels, indépendants du travail, car celui-ci n’est pas ou plus garanti.
Voilà pourquoi il nous paraît urgent de doter l’Europe d’un vrai traité social, porteur de valeurs et de normes protectrices, et dont les objectifs tendraient à la réalisation d’une Europe sociale plus fidèle aux attentes des peuples. Nous, députés du Front de gauche, continuons à croire et à nous battre pour cette Europe-là, que nous voulons de toutes nos forces.