Pour la première fois depuis de très longues années, nous sommes entrés dans une véritable convergence avec le jugement porté par les institutions européennes. Certes, des divergences subsistent, et nous devons continuer à débattre des conditions nécessaires au retour de la croissance. Car, que constate-t-on aujourd’hui ? Que la croissance renaît, mais timidement, et que tout doit être fait pour la confirmer, l’amplifier, la solidifier, en France comme en Europe. Ce matin, l’INSEE a rendu publique son enquête dans laquelle les chefs d’entreprises industrielles anticipent une croissance de leurs investissements plus forte que prévue, à 7 %, pour 2015. La reprise est là, mais nous devons la conforter. Cela nous confère un devoir de vigilance, car la politique de sérieux budgétaire que nous menons ne doit pas risquer de remettre en cause la reprise économique.
Voilà pourquoi, après avoir analysé les conséquences qu’aurait une application littérale des recommandations de la Commission, avec l’effort dit « structurel » demandé pour 2016 et 2017, et après avoir constaté que leur mise en oeuvre aurait fait chuter la croissance et nous aurait empêchés de faire reculer le chômage, nous avons considéré qu’une autre voie était possible pour atteindre les mêmes objectifs de déficits – et même des objectifs un peu meilleurs que ceux que nous fixait la Commission – sans pour autant mettre en danger le niveau de croissance. C’est cette stratégie budgétaire que nous avons discutée avec la Commission, et je suis persuadé que le débat public, qui est totalement légitime, permettra à chacun d’avancer et de constater que la France est en situation de respecter les objectifs de réduction du déficit qu’elle s’est fixés et que le Conseil lui a recommandés.
En 2014, nous avons fait mieux que prévu, comme le président Carrez a eu l’obligeance de le souligner, avec 4 % de déficit, malgré une croissance encore très faible. En 2015, et au-delà, nous construisons notre stratégie sur des prévisions prudentes. Et ce n’est pas par habileté, car ce qui compte, au fond, c’est que, pour la première fois depuis quinze ans, la France sera, en 2017, au rendez-vous d’un déficit inférieur à 3 %. Cela implique évidemment des efforts, c’est indéniable, mais chacun doit avoir conscience que ces efforts, nous les menons d’abord pour nous-mêmes, pour la France, au nom des responsabilités qui sont les nôtres vis-à-vis de nous-mêmes, comme vis-à-vis de nos partenaires.
C’est l’esprit du projet européen dont il s’agit : l’Europe est un espace de coopération, où chacun doit prendre ses responsabilités pour permettre aux autres de le faire aussi. L’Europe, ce ne sont pas des pays qui s’opposent, ce ne sont pas des pays qui cherchent chez leurs voisins une excuse ou une explication pour leurs propres échecs. Il n’y a pas d’avenir pour la France sans ses partenaires européens et encore moins contre eux. Il n’y a pas de croissance possible en Europe dans le conflit ou dans la désunion entre ses États membres. C’est dans cet esprit de solidarité et d’intégration que nous travaillons aujourd’hui sur des projets concrets, positifs et susceptibles de faire bouger les lignes en Europe.
Je prendrai trois exemples. Le premier enjeu, c’est le renforcement du « pilotage », comme on dit dans notre jargon, de la zone euro. Nous partageons une même monnaie : nous partageons donc un destin commun, dont il faut pouvoir décider ensemble. Avant d’examiner l’application à chaque pays, l’un après l’autre, des règles budgétaires ou des réformes structurelles, ce qui est nécessaire, il faut commencer par définir la stratégie de la zone euro tout entière, dans son ensemble. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une analyse régulière et globale de la stratégie économique de la zone euro ; c’est d’une réflexion qui prenne en compte tous les leviers publics dont nous disposons, à savoir les politiques de change, les politiques budgétaires et les politiques fiscales. D’ailleurs, nous en avons parlé, aujourd’hui encore, avec le président de l’Eurogroupe, M. Jeroen Dijsselbloem, qui est venu à Paris spécialement pour échanger sur l’avenir de l’Union économique et monétaire.
Le deuxième enjeu, c’est de lutter contre les concurrences déloyales qui peuvent se développer entre États. Car, là encore, il est des choses qui ne sont plus acceptables pour les peuples européens : la crise a montré que l’Europe était capable de solidarité dans l’épreuve commune. Après tant d’efforts communs pour sauver l’euro, peut-on encore tolérer qu’une concurrence sans limite s’instaure entre partenaires, par exemple sur le terrain fiscal ou le terrain social, au profit, le plus souvent, de multinationales, et au détriment des peuples ? La réponse est évidemment non !
Profiter de nos différences, tirer avantage de libertés garanties par les traités pour s’exonérer d’un effort auquel nos entreprises et nos concitoyens, pour leur part, consentent, cela n’est plus acceptable. Avec mes collègues allemand et italien, nous avons écrit à la Commission pour lui demander d’avancer ensemble sur la transparence et la lutte contre l’optimisation fiscale agressive. Et, de fait, des propositions sont aujourd’hui sur la table. C’est le cas en matière de transparence, avec l’échange automatique d’information sur le ruling, les rescrits fiscaux transfrontaliers. Une directive a été préparée en ce sens et j’espère qu’elle sera adoptée rapidement. C’est le cas aussi en matière de lutte contre l’optimisation fiscale agressive. Nous considérons en effet qu’un profit doit être imposé au moins une fois, peu importe où en Europe, mais au moins une fois, et de façon effective. Soyons clairs : on peut accepter que le taux d’impôt sur les sociétés soit différent d’un pays à l’autre, mais une imposition à 1 %, 2 %, ou même 5 %, n’est pas, dans mon esprit, ni dans le vôtre, sans doute, une imposition effective.
Dans les années 1990, l’Europe a adopté des directives pour éliminer les doubles impositions. Nous avons donc des critères pour définir quel État a le droit d’imposer. Mais il arrive que cet État membre ne souhaite pas imposer un revenu ou une transaction. C’est son choix, mais dans ce cas-là, le droit européen interdit à l’autre État membre de récupérer ce droit d’imposer. C’est évidemment une situation à laquelle il faut mettre fin.
Dernier exemple, enfin, celui du secteur financier, du financement de l’économie.
Nous avons fait depuis 2012 une avancée majeure avec l’union bancaire qui vient d’entrer en vigueur. C’est un pas considérable qui n’a peut-être pas été suffisamment expliqué, en tout cas qui n’est suffisamment perçu par les uns et les autres. Avec l’union bancaire, nous avons en effet coupé le lien qui existait naturellement et obligatoirement entre le risque bancaire et les États, et nous avons créé les conditions pour que le risque bancaire soit assumé par les banques elles-mêmes, renvoyant définitivement au passé l’époque où les pertes et les menaces de faillites bancaires se traduisaient presque mécaniquement par un appel à l’intervention de capitaux publics. Cette époque-là est révolue.
Mais à l’avenir, le financement de l’économie se fera aussi largement sur les marchés de capitaux, et de moins en moins exclusivement par l’intermédiaire des banques. C’est une évolution majeure, tout particulièrement pour la zone euro : pour que la politique monétaire de la BCE soit efficace, il faut que le système bancaire fonctionne bien, c’est la cause de la création de l’union bancaire, mais il faut aussi que les marchés de capitaux fonctionnent bien.
Nous devons en tirer les conséquences, pour que ce financement des entreprises par les marchés se fasse dans les meilleures conditions de sécurité et de transparence : il serait hors de question de répéter les errements de la finance américaine d’avant 2008. Il faudra donc des règles européennes renforcées et harmoniser la surveillance de ces règles. C’est une nécessité si nous voulons éviter une course au moins-disant entre places financières en fonction de leur application de la réglementation européenne.
À terme, il y a des domaines où il faudra harmoniser le droit lui-même. Il y aurait par exemple des choses à faire en matière de droit des faillites ou d’information financière pour les épargnants : comment un fonds allemand qui place l’épargne des ménages allemands pourrait-il investir dans des PME espagnoles qui en ont besoin s’il n’a pas d’assurances sur leur santé, s’il ne sait pas de quelle manière il sera traité ? Et il y a des domaines dans lesquels il faudra un superviseur unifié, comme cela a été le cas pour les banques.
Voilà, mesdames et messieurs les députés, quelques exemples de chantiers stratégiques qui nous occupent actuellement et sur lesquels nous escomptons des avancées concrètes à court terme. Et si le Gouvernement a souhaité les développer devant vous, ce n’est pas pour rejeter des perspectives de plus long terme, bien au contraire : pour chacune de nos priorités, ces avancées de court terme nous rapprochent de nos objectifs de long terme qui sont plus d’intégration, d’harmonisation et plus de solidarité en Europe.
Car s’il y a bien une leçon à retenir des années récentes, c’est qu’en réalité, et contrairement aux idées reçues, les lignes peuvent bouger beaucoup plus vite qu’on ne le pense en Europe. Qui aurait pu imaginer, il y a trois ans, que certains de nos partenaires, comme l’Allemagne, se doteraient d’un salaire minimum ? Qui aurait pu imaginer, il y a trois ans, que nous mettrions fin au secret bancaire sur le continent et que nous ferions face aussi vite à des afflux de demandes de régularisation ?