Ce débat est nécessaire, légitime, pas seulement parce que nous soumettons le programme de stabilité et le programme national de réformes de la France, comme le font tous les autres membres de la zone euro. Et pas seulement parce que dans trois jours, le 9 mai, tous les pays d’Europe célébreront le soixante-cinquième anniversaire de la déclaration Schumann qui, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, lança le projet européen. Pas seulement non plus parce que ce matin même, en conseil des ministres, le Premier ministre a présenté une communication sur le projet européen.
Ce débat est nécessaire parce que les peuples doutent, force est de le constater. L’Europe, quelles que soient ses lacunes, est une extraordinaire conquête à l’échelle de l’histoire, mais les citoyens peuvent être aujourd’hui tentés de s’en détourner. Il ne fait pas laisser les peuples s’en détourner, ni laisser les populistes, les extrémistes et les nationalistes défaire l’Europe avec de fausses solutions telles que la sortie de l’Euro, la sortie de la PAC, la sortie de Schengen, qui mèneraient à un vrai déclin, à un affaiblissement collectif et à la ruine de l’économie de nos pays.
Mais c’est un fait : la crise, le chômage, les politiques d’austérité brutales dans certains pays, parfois aussi la bureaucratie et la complexité des politiques européennes, leur dispersion sur de trop nombreuses questions secondaires, la difficulté ou l’incapacité à répondre avec efficacité sur l’essentiel – c’est-à-dire la croissance et l’emploi, comme l’a rappelé Michel Sapin – tous ces facteurs ont tendu à éloigner les peuples de l’Europe.
La nouvelle Commission européenne, présidée par Jean-Claude Juncker, en a d’ailleurs parfaitement pris conscience en se définissant elle-même comme la commission de la dernière chance. C’est pourquoi la première priorité, comme vient de le rappeler le ministre des finances, est pour nous, depuis 2012, de réorienter l’Europe vers la croissance, l’investissement, l’emploi, et de développer une Europe des projets, une Europe qui protège, une Europe simplifiée.
Beaucoup a été fait au cours des dernières années : l’intégrité de la zone euro a été assurée ; l’union bancaire a été mise sur pied ; la Banque centrale européenne a développé une nouvelle doctrine monétaire plus favorable à l’investissement et à un cours de l’euro moins élevé – c’est ce que nous avions souhaité ; le Conseil européen a endossé à la fin de l’année dernière, sur proposition du président de la Commission, Jean-Claude Juncker, un plan d’investissement de 315 milliards d’euros.
Sous l’impulsion de la France, l’investissement et l’emploi sont donc désormais au coeur du projet européen, nous devons continuer à agir dans cette direction. D’abord, en consolidant le nouvel équilibre de la politique économique en Europe entre les trois piliers de cette stratégie.
Le premier de ces piliers est l’investissement. Le plan de 315 milliards d’euros proposé par le président Juncker va maintenant pouvoir entrer en vigueur. Nous voulons pour cela que le règlement qui créera le fonds européen pour les investissements stratégiques puisse être adopté le plus rapidement possible, dès le mois de juin, par le Parlement européen. Évidemment, nous avons demandé sans attendre à la Banque européenne d’investissement, comme cela avait été indiqué lors du Conseil européen du mois de décembre dernier, de commencer à soutenir des projets sur ses fonds propres. C’est ainsi qu’en lien avec la BPI France, deux initiatives – les prêts innovation et le prêt amorçage investissement – vont pouvoir mobiliser 440 millions d’euros de prêts à l’innovation en France, à la disposition de PME et d’ETI innovantes, dès ce mois de mai.
Dans le même temps, le Commissariat général à l’investissement, la Caisse des dépôts et consignations et BPI France mènent un travail d’identification de nombreux projets dans les domaines décisifs pour le potentiel de croissance future et l’innovation en France – et qui sont également d’intérêt européen – en particulier dans le domaine du numérique, de l’efficacité énergétique, des technologies de la transition énergétique, qui pourront être soutenus par le futur plan Juncker. Vous le savez, le Président de la République a annoncé que la Caisse des dépôts et BPI France mobiliseraient 8 milliards d’euros au service de ces projets pour amplifier l’effet de levier du futur plan Juncker. Des dizaines de projets français sont donc actuellement identifiés, rassemblés et préparés pour pouvoir bénéficier de ces financements d’ici à la fin de l’année.
Le deuxième pilier est celui de la consolidation budgétaire, que Michel Sapin a évoquée en insistant sur le fait que nous tiendrons nos engagements de ramener le déficit sous la barre des 3 % en 2017, mais que nous le ferons à un rythme qui ne mette en rien en danger la reprise et le retour de la croissance, donc de l’emploi.
Le troisième pilier, ce sont les réformes structurelles. Elles sont essentielles, en France comme dans tous les pays de l’Union européenne, pour rendre l’économie plus compétitive et plus agile. Si nous les menons maintenant en France, c’est aussi parce qu’elles n’ont pas été engagées auparavant, contrairement à d’autres pays comme l’Allemagne qui les ont mises en oeuvre il y a déjà dix ans. Sur ce terrain, les institutions européennes comme nos principaux partenaires reconnaissent la détermination dont fait preuve le Gouvernement. L’agenda des réformes du Gouvernement a d’ailleurs été actualisé aujourd’hui même.
La deuxième grande priorité est de développer l’Europe des projets, en particulier de soutenir les secteurs qui seront porteurs de croissance à l’avenir, que j’ai déjà mentionnés à propos du fonds Juncker : le numérique et la transition énergétique. Aujourd’hui même, la Commission européenne a présenté sa stratégie pour le numérique.
Nos industries créatives, qui représentent d’ores et déjà 4 % de notre PIB, doivent permettre à l’Europe d’être une puissance culturelle qui rayonne partout dans le monde. Le passage à l’ère du numérique ne doit pas affaiblir la capacité de développement des industries culturelles européennes. L’Europe ne peut pas simplement être un marché numérique pour des entreprises multinationales américaines, elle est un lieu de création et le numérique doit amplifier la capacité à financer cette création. C’est pourquoi il est fondamental de préserver les droits d’auteur, la territorialisation, de mettre en place une fiscalité adaptée et de réguler les plates-formes numériques. C’est ce que nous défendrons dans les négociations qui vont maintenant s’ouvrir et qui déboucheront sur des propositions de législation dès cet automne.
Je pense aussi au projet d’union de l’énergie et à la lutte contre le changement climatique. C’est un enjeu décisif pour orienter la croissance européenne d’une façon durable. L’Europe doit continuer à jouer un rôle moteur, comme elle l’a fait en matière de lutte contre le changement climatique en adoptant, dès le mois d’octobre 2014, son cadre énergie-climat pour la réduction des gaz à effet de serre, la promotion des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique à l’horizon 2030, mais aussi en étant parmi les premiers à transmettre – au début de cette année – sa contribution à la réduction des gaz à effet de serre en vue de la COP 21 qui se déroulera à Paris.
L’un des grands chantiers d’urgence en matière d’énergie et de transition énergétique sera la relance du marché du carbone européen, avec pour objectif d’augmenter rapidement le prix de la tonne de carbone, signal qui encouragera les investissements dans l’économie décarbonée. Les négociations en cours ont fixé comme échéance l’année 2019 au plus tard pour la mise en place de ce nouveau marché ETS.
La troisième priorité sur laquelle je voudrais insister est la jeunesse. Aujourd’hui, environ 5 millions de jeunes européens sont au chômage. C’est une situation que nous ne pouvons accepter, tant sur le plan social, moral que politique, parce qu’elle met en danger l’adhésion au projet européen. C’est pourquoi le Président de la République a proposé l’initiative européenne pour la jeunesse, qui s’est traduite par l’instauration de la garantie jeunes, en France et dans les régions où leur taux de chômage est supérieur à 25 %, pour leur permettre de trouver une formation, un emploi, et d’y être accompagné.
Mais nous voulons aussi continuer à développer des programmes qui existaient auparavant. En particulier, le programme Erasmus, une des plus belles réussites de l’Union européenne, qui reste encore trop élitiste. C’est la raison pour laquelle, comme l’a proposé le Premier ministre ce matin, nous porterons l’idée d’un service civique européen. Cela ouvre la possibilité, pour les jeunes qui font un service civique dans divers pays de l’Union européenne, de passer une partie du temps de ce service civique dans d’autres pays de l’Union. Nous souhaitons également développer un Erasmus professionnel qui permettrait la création d’un statut de l’apprenti européen, ainsi que le lancement d’une carte d’étudiant européen.
Enfin, nous voulons mettre en place, sur le plan économique, un nouveau pilotage de la zone euro. Ce sera l’enjeu du rapport des quatre présidences – président de la Commission, président du Conseil européen, président de l’Eurogroupe et président de la Banque centrale européenne – qui présenteront des propositions le 10 juin prochain. Elles seront débattues lors du Conseil européen du mois de juin par les chefs d’État et de gouvernement.
L’objectif de la France, comme l’a indiqué Michel Sapin, est de renforcer la coordination des politiques économiques, qui ne doit pas se limiter à la coordination des politiques budgétaires ; d’examiner la situation à l’échelle de la zone euro consolidée, et non pas de chaque pays pris séparément ; d’améliorer et de simplifier le semestre européen, de renforcer sa légitimité démocratique en y associant davantage les parlements nationaux et le Parlement européen et de relancer le processus de convergence économique, fiscale et sociale ainsi que la solidarité, pour permettre l’approfondissement et l’intégration plus forte de la zone euro au service de la croissance et de l’emploi.
Sur ce sujet, soyez assurés de la parfaite coordination de nos positions avec l’Allemagne et de la solidité de la relation franco-allemande : c’est la condition sans laquelle aucune avancée n’est possible en Europe.
Enfin, comme l’a souligné le ministre des finances et des comptes publics, nous voulons évidemment lier cette nouvelle orientation économique en faveur de la croissance, de l’investissement et de l’emploi avec les objectifs de promotion d’une Europe sociale, en commençant par la protection des droits sociaux en Europe et la lutte contre toutes les formes de dumping fiscal et social.
En matière sociale, nous devons continuer à renforcer les règles relatives au détachement des travailleurs et à étendre la responsabilité du donneur d’ordre à tous les secteurs d’activité – c’est d’ailleurs le sens d’une proposition de loi déposée par le groupe SRC et adoptée par l’Assemblée nationale en anticipant la révision de la directive sur le détachement des travailleurs. Nous devons aussi continuer à travailler à la création d’un salaire minimum dans l’Union européenne et, pour commencer, à l’adoption de salaires minimums dans tous les pays de la zone euro, comme vient de le faire l’Allemagne, en tenant bien sûr compte des niveaux de vie.
En matière fiscale, cela a été dit, il est impératif de lutter contre toutes les formes d’optimisation afin de veiller au respect d’un principe simple : les entreprises doivent être taxées là où elles réalisent leurs profits. Nous attendons donc avec intérêt les propositions que la Commission européenne devrait faire prochainement.
Voilà, monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mesdames et messieurs les députés, les priorités poursuivies par le projet économique et social européen de la France.
D’autres dimensions sont également importantes, même si elles n’entrent pas dans le cadre de ce débat – je pense notamment à la lutte contre le terrorisme, à la promotion d’une véritable Europe de la défense, qui sera à l’ordre du jour du Conseil européen de juin, et à la réponse aux migrations. Tout cela est évidemment cohérent avec l’ambition de construire une Europe qui protège, qui développe ses projets et qui promeut ses valeurs.
Pour répondre à ces défis, qui sont autant d’urgences, l’Europe doit fonctionner d’une façon plus simple en se concentrant sur ces quelques grandes priorités. C’est le sens du dialogue que nous avons avec la Commission européenne, et c’est ce que nous devons aux citoyens pour répondre à leurs attentes.