Intervention de Marie-Christine Dalloz

Séance en hémicycle du 7 mai 2015 à 9h30
Droit de préemption des salariés — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Christine Dalloz :

Sous couvert de vouloir sauver des emplois, objectif qui est bon et que nous pourrions partager, il risque au contraire de précipiter la disparition de ceux qui pourraient être sauvés, c’est-à-dire de provoquer des drames que ni vous ni nous ne souhaitons.

Premier risque identifié : celui de fragiliser encore un peu plus les processus de cession. Comme le droit d’information, ce nouveau droit impliquerait des délais supplémentaires, des risques en matière de confidentialité et la menace d’une nouvelle sanction de nullité constituant une insécurité supplémentaire pour les parties à la cession. En clair, le dispositif paralyserait systématiquement le mécanisme de cession pendant deux mois, alors que les salariés peuvent ne pas être intéressés ou ne pas disposer, même après ce délai, du financement nécessaire.

Deuxième risque identifié : celui de faire fuir les investisseurs et potentiels repreneurs. L’investissement stagne dramatiquement depuis trois ans, et ce ne sont certes pas les récentes annonces du Premier ministre qui vont changer la situation. Adopter cette proposition de loi, ce serait envoyer un nouveau signal très négatif à toutes les entreprises françaises. En donnant aux salariés l’accès aux documents stratégiques de l’entreprise, le texte lie pieds et poings le potentiel futur repreneur. Sans parler du fait qu’il retarde le processus de cession de deux mois, une éternité pour des petites entreprises qui ont besoin de gagner sans cesse des parts de marché pour survivre. Car c’est bien cela, leur réalité quotidienne, nous le constatons tous sur le terrain !

Bref, ce texte complexifie l’environnement normatif des PME. Il s’inscrit dans la lignée d’une série de décisions prises depuis 2012 qui, pardonnez-moi le terme, plombent les petites entreprises : création du droit d’information préalable en cas de cession, dont cette proposition se veut le prolongement, mais aussi création du compte pénibilité, revirements massifs et baisses des aides sur l’apprentissage, ou encore CICE – crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – mal ciblé…

Ironiquement, cette proposition de loi intervient alors que le Gouvernement prend lui-même conscience de ses erreurs et multiplie les missions pour atténuer l’effet destructeur des différentes mesures que je viens de citer. Je pense à la mission en cours sur la simplification du compte pénibilité – comment ne pas y voir l’aveu d’un défaut d’anticipation ! – dont nous attendons les conclusions avec impatience, ou aux annonces faites à la suite de la remise du rapport Dombre Coste sur le droit d’information. Nous ne disposons pas de retours concernant ces dispositions, donc l’impact sur les cessions n’a pas été mesuré. Ce serait pourtant utile, avant d’adopter un dispositif encore plus contraignant !

La cacophonie gouvernementale est telle que bienheureux celui qui pourra dire quelles suites concrètes seront données à ce rapport. J’en retiens toutefois que la mission d’évaluation envisage de revenir sur les sanctions relatives au droit d’information, notamment la sanction de nullité de la cession en cas de méconnaissance de ce droit. Or, et c’est bien là le paradoxe, la proposition de loi que nous examinons crée une nouvelle obligation dont la méconnaissance ouvre droit, encore une fois, à une action en nullité de la cession. C’est quand même extraordinaire !

Ces considérations rendent d’autant plus incompréhensible le vote de nos collègues en commission des lois. Malgré les bonnes intentions de Mme la rapporteure, je tiens à le souligner car je ne doute pas de ses convictions, ce texte risque réellement de contrevenir à ses objectifs. N’aggravons pas une situation déjà difficile pour les salariés de ces entreprises. Faisons plutôt confiance aux cédants, qui ont comme principale ambition la survie de leur entreprise. Eux sauront mieux que quiconque, et certainement mieux que le législateur, se tourner soit vers leurs salariés, soit vers un acquéreur extérieur, pour le bien et la pérennité de leur entreprise. Plutôt que de régenter la vie des entreprises, laissons-leur le peu de liberté qui leur reste encore.

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