Intervention de Jean-Michel Clément

Séance en hémicycle du 7 mai 2015 à 9h30
Droit de préemption des salariés — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément :

Dans ces cas-là, un délai est alors demandé au tribunal pour y parvenir dans de meilleures conditions.

Concernant le contexte législatif, la proposition de loi reprend un amendement parlementaire déposé lors des débats sur le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire. Celui-ci avait été repoussé par le Gouvernement au nom du risque important de contentieux, du risque d’inconstitutionnalité du dispositif et de la forte complexité des mécanismes de transmission des entreprises. A toutefois été retenue l’instauration d’un délai de deux mois permettant aux salariés de présenter une offre de rachat d’un fonds de commerce dans les entreprises de moins de 50 salariés, aujourd’hui codifié à l’article L. 141-23 du code de commerce, et un même délai de deux mois pour une offre de rachat des parts sociales, actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital dans les sociétés de moins de 50 salariés, qui figure à l’article L. 23-10-1 de ce même code. Un droit d’information a ainsi été créé dont les modalités ont été précisées par le décret du 28 octobre 2014.

Des difficultés pratiques sont rapidement apparues, et j’en avais moi-même été alerté par un certain nombre de professionnels. Madame la secrétaire d’État, vous avez commandé un rapport d’évaluation à Fanny Dombre Coste sur la mise en oeuvre de ce droit d’information préalable des salariés en cas de cession de leur entreprise. Il ressort de cette étude que des améliorations répondant aux attentes de toutes les parties intéressées doivent être apportées afin de rendre le dispositif d’information plus efficace et plus sécurisé sur le plan juridique.

Il est évident que ces améliorations profiteront aux hypothèses d’acquisition et qu’il est prématuré d’aller vers un droit de préemption qui ne serait pas sécurisé.

La question de la sécurité juridique se pose également en termes constitutionnels et, sur ce plan, la comparaison avec l’existence d’autres droits de préemption ne permet pas non plus d’affirmer que le dispositif est sécurisé.

En effet, dans sa décision du 27 mars 2014, le Conseil constitutionnel, saisi de dispositions mettant en cause l’exercice du droit de propriété et la liberté d’entreprendre, eu égard aux contraintes qu’elles faisaient peser sur le choix de gestion des entreprises, a pu juger « qu’en permettant un refus de cession en cas d’offre de reprise sérieuse dans le seul cas où il est motivé par la "mise en péril de la poursuite de l’ensemble de l’activité de l’entreprise" cessionnaire, les dispositions contestées ont pour effet de priver l’entreprise de sa capacité d’anticiper des difficultés économiques et de procéder à des arbitrages économiques à un autre niveau que celui de l’ensemble de l’activité de l’entreprise ».

Rapporté à la situation de cession qui nous occupe, il n’est pas certain que le droit de préemption exercé par seulement quelques-uns des salariés soit le gage de la pérennité de l’entreprise aux yeux du cédant et des salariés qui ne s’associeront pas à la reprise. La lecture des principes constitutionnels fait apparaître, selon moi, une différence fondamentale entre une cession voulue et une cession forcée, surtout si celle-ci est réalisée dans un délai court de deux mois. Il n’est pas certain que la sécurité de l’emploi soit mieux assurée dans ces conditions, y compris dans l’intérêt général de l’économie.

De surcroît, la question de la préemption des parts de sociétés agricoles, déjà posée lors de l’examen de la loi d’avenir pour l’agriculture, a été écartée pour des motifs de constitutionnalité en raison de l’atteinte à la liberté contractuelle, plus particulièrement à l’affectio societatis, dans le cadre d’un contrat de société, lorsque la préemption envisagée par la SAFER ne portait pas sur la totalité des parts sociales ou actions d’une société détenant des actifs immobiliers agricoles. Autrement dit, si la préemption ne porte que sur la majorité du capital, il y a un risque d’inconstitutionnalité pour les motifs invoqués.

C’est pourquoi, si l’idée même de l’exercice d’un droit de préemption en cas de cession d’entreprise ne doit pas être écartée de notre droit positif, je ne pense pas qu’en l’état le texte qui nous est proposé soit suffisamment sécurisé.

Il nécessite à tout le moins d’être retravaillé à l’aune des propositions du rapport de Fanny Dombre Coste et du retour d’expérience sur la mise en oeuvre du droit d’information préalable tel que prévu par la loi relative à l’économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014.

Ce droit nouveau a du sens pour les salariés et les entreprises. Il doit être conforté et préservé, mais la traduction juridique qui découle de ces deux articles mérite d’être adaptée et améliorée. Dès lors, ce dispositif devra se concrétiser dans une priorité de rachat renforcée donnée aux salariés. Telle est la suite logique attendue : le droit d’information, pour avoir du sens, doit permettre aux salariés d’être prioritaires dans la cession qui se profile.

Quant à l’octroi de droits nouveaux pour les salariés, en particulier lors de la cession de leur entreprise, nous devons nous demander comment préserver les intérêts de cette dernière et encadrer ce droit qui doit être circonscrit aux circonstances particulières de la cession. Je pense par exemple à la détermination du prix ou aux clauses de garantie d’actif et de passif.

Toutes ces considérations se rattachent, à mon avis, au texte relatif à la modernisation du dialogue social dans l’entreprise qui viendra prochainement devant notre assemblée.

Pour toutes ces raisons, qui ne sont pas des raisons de fond mais d’opportunité dans le temps, mon groupe ne votera pas cette proposition de loi.

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