Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre société de plus en plus connectée est marquée par un besoin irrépressible d’instantanéité de l’information. Le succès grandissant des chaînes d’information en continu est certainement l’une des illustrations les plus probantes d’une société désormais tournée vers l’« hyper-communication ». Pour beaucoup d’entre nous, l’idée même d’être injoignable, ne serait-ce qu’un court moment dans la journée, n’est plus une option aujourd’hui envisageable. Quant à l’avènement des smartphones – 61 % des Français en possèdent –, il ne fait qu’amplifier un phénomène que nous pouvons désormais qualifier de massif.
Dans un tel contexte, l’accès à la téléphonie mobile ne peut donc que constituer un droit élémentaire pour chacun de nos concitoyens. Malheureusement, force est de constater que notre pays souffre encore aujourd’hui des inégalités criantes qui subsistent entre les territoires urbains et les territoires ruraux. Si les foyers citadins ont accès aux réseaux 4G, à l’ADSL et même à la fibre optique, de nombreux foyers ruraux peinent à obtenir une couverture numérique raisonnable. Alors que toutes nos métropoles ont en main les outils pour rester connectées à un monde qui ne cesse de se métamorphoser, nombre de nos campagnes doivent bien souvent se cantonner à un simple rôle d’observatrices passives de cette mondialisation.
La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui pointe justement du doigt les conséquences d’un tel fossé en rappelant que certains territoires n’ont toujours pas droit à un accès permanent à la téléphonie fixe. Si ce constat peut paraître surréaliste à l’heure du tout-numérique, il reste que certains territoires se retrouvent régulièrement coupés du monde qui les entoure, pendant des périodes plus ou moins longues.
Le rapporteur André Chassaigne, dont je tiens à saluer la qualité des travaux, rappelle très justement que le libre accès à un réseau téléphonique fixe contribue à créer et à consolider le lien social, un lien qui ne cesse de se déliter dans les régions les plus isolées de notre pays. Je puis en témoigner, en ma qualité de député de la ruralité : les commerces de proximité disparaissent les uns après les autres, de nombreuses classes scolaires sont obligées de fermer leurs portes et les services publics désertent, obligeant les habitants à parcourir de nombreux kilomètres pour trouver une poste ou un médecin. Les possibilités de communications et de rencontres se font de plus en plus rares, et le téléphone devient alors le seul outil permettant à certains Français de conserver ce fameux lien.
Le téléphone est aussi le premier outil que l’on utilise en cas d’urgence, celui qui nous rattache à autrui, notamment lorsque l’on a besoin d’une aide. Les Français en situation de dépendance ne le savent que trop bien et ne peuvent parfois compter que sur ce moyen pour entrer en contact avec les personnes dont elles ont besoin.
Enfin, le téléphone fixe reste étroitement lié au développement d’une activité économique, les entreprises étant souvent obligées d’interagir quotidiennement avec leurs clients et leurs fournisseurs. Dans certaines régions dont le tourisme est parfois la ressource la plus importante, le téléphone fixe constitue encore aujourd’hui le principal moyen d’entrer en contact.
Pour toutes ces raisons, il est absolument indispensable de garantir un entretien régulier et efficace du réseau de poteaux et de fils téléphoniques. Si Orange est censé être le garant du service universel des télécommunications, force est de constater que, dans les faits, de nombreux ouvrages souffrent d’un manque d’entretien, particulièrement dans les zones rurales et montagneuses.
Les différents épisodes climatiques que subit notre pays sont souvent mal appréhendés et ont des conséquences terribles sur le réseau téléphonique. Je pense notamment aux chutes de neige et aux violentes tempêtes que nous avons connues durant l’hiver 2013-2014 : des milliers de foyers, par exemple dans mon département de la Mayenne, avaient alors été privés d’électricité et de téléphone, accentuant ce terrible sentiment d’isolement. Ce fut d’ailleurs encore le cas au début de cette semaine, madame la secrétaire d’État, dans une commune de ma circonscription suite à un violent épisode orageux.
Quant à l’accès à internet, il dépend dans la majorité des cas de ce même réseau en cuivre. En effet, si la fibre optique tend à se déployer sur le territoire, elle ne couvre pour le moment que certaines zones, surtout les plus urbanisées.
Face à ce constat pour le moins chaotique, certains seraient tentés de dire qu’il n’est pas très pertinent de vouloir s’occuper du téléphone fixe quand on connaît l’ampleur de la téléphonie mobile sur le territoire français. Mais tenir un tel raisonnement serait une erreur, car il subsiste de nombreuses zones blanches dans lesquelles le réseau mobile ne fonctionne pas, laissant les habitants tributaires de leur téléphone fixe.
Or, depuis la loi de 1996 de réglementation des télécommunications, aucun acteur n’est réellement tenu d’entretenir le réseau ni de réparer systématiquement les dommages. En effet, cette loi a supprimé la servitude d’élagage à laquelle France Télécom était soumise. Ainsi, depuis près de vingt ans, la responsabilité d’entretien incombe uniquement aux propriétaires privés, lesquels n’assument malheureusement pas toujours cette tâche. Quant à l’opérateur, il n’a ni le pouvoir d’imposer aux propriétaires d’élaguer sur le domaine public, ni celui d’élaguer lui-même à leur place. Même si des sanctions sont prévues, il est rare que des communes parviennent à faire respecter une telle obligation. Si certains riverains font preuve de mauvaise volonté, il est souvent difficile de retrouver les propriétaires des terrains concernés par ces lignes, notamment dans les zones les plus enclavées de notre territoire.
Dès lors, nous ne pouvons qu’assister, souvent impuissants, à la détérioration de notre réseau téléphonique. L’usure provoquée par le frottement des branches sur les câbles constitue certainement l’une des causes les plus importantes de dérangement sur les lignes téléphoniques. En rétablissant la servitude d’élagage, cette proposition de loi apporte finalement une première réponse à la question de l’entretien de ces lignes, notamment dans les territoires isolés.
À ce sujet, je tiens à saluer le travail de concertation effectué par le rapporteur, qui a pris l’initiative de saisir le Conseil d’État. La version adoptée par la commission des affaires économiques nous semble beaucoup plus équilibrée, mais surtout beaucoup plus applicable concrètement.
Grâce à ce texte, les opérateurs téléphoniques pourront accéder plus facilement au domaine privé, que ce soit à titre préventif ou pour effectuer des réparations à la suite de dommages. Ainsi, les propriétaires n’auront plus à supporter seuls la responsabilité liée à l’entretien de ces lignes. L’instauration d’une telle servitude est intéressante, puisque l’opérateur pourra désormais intervenir dans les cas où le propriétaire est jugé défaillant.
Ce nouveau dispositif soulève malgré tout quelques questions. Tout d’abord, il ne faut pas que le propriétaire du terrain se dédouane de toute responsabilité sous prétexte que l’opérateur s’en chargera. En effet, le riverain doit rester pleinement responsable de ses biens en continuant à maintenir un niveau minimum d’entretien. Ce texte devrait d’ailleurs s’inspirer davantage du modèle choisi par ERDF, qui distingue plus clairement la notion de domaine privé et celle de domaine public, et qui permet une meilleure répartition des frais entre le propriétaire et l’exploitant.
L’un des points faibles de ce texte reste justement la question des coûts. Concrètement, qui financera ces travaux d’entretien ?
En commission, monsieur le rapporteur, vous avez évoqué la contribution du fonds de service universel ou du tarif d’accès à la boucle locale. Pourrions-nous avoir quelques éclaircissements sur ce point ? Si l’opérateur est contraint d’assumer intégralement les coûts d’entretien des lignes téléphoniques, je crains qu’il ne les répercute directement sur les tarifs de téléphone fixe et donc, malheureusement, sur les consommateurs. Récemment, Orange a annoncé une hausse de 6 % du prix de l’abonnement mensuel à une ligne fixe, dans une indifférence presque générale. L’opérateur a alors justifié cette hausse par la « stabilité des coûts d’entretien du réseau téléphonique ».
Par ailleurs, je m’interroge sur la création d’un pouvoir de substitution octroyé aux maires. Cette disposition risque d’être complexe à mettre en oeuvre, car le maire éprouve déjà beaucoup de difficultés à sanctionner les propriétaires défaillants.
Enfin, le groupe UDI aimerait avoir quelques précisions sur l’article 8 bis relatif aux sanctions, même si nous ne sommes pas opposés à l’idée de confier aux maires un pouvoir de saisine de l’ARCEP.
Vous l’aurez compris, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce texte reste perfectible. Nous espérons donc que le travail parlementaire permettra de préciser davantage des dispositifs un peu trop imprécis pour l’instant.
Malgré ces quelques réserves, le groupe UDI votera bien entendu en faveur de ce texte, car la représentation nationale ne saurait accepter qu’une disparité purement territoriale devienne de plus en plus dommageable et alimente la fracture numérique.