Nous pourrons ainsi avoir un échange étendu. Je note, M. le président, que pour la troisième année consécutive vous jugez la sûreté nucléaire du pays « globalement assez satisfaisante ». Vous aviez indiqué voici deux ans que si vous aviez eu cette mention sur votre carnet de note, vous n'en auriez pas été fier. Cela veut donc dire que pour la troisième année, vous n'êtes pas fier de l'état de la sûreté des installations nucléaires du pays. C'est un point préoccupant qu'il paraît nécessaire de souligner. Nous ne pouvons donc pas prétendre être absolument sûrs de la sûreté nucléaire du pays, l'ASN elle-même ne l'affirmant pas.
Un second point qu'il était important de rappeler, d'autant qu'il est insuffisamment pris en compte par les pouvoirs publics, y compris au Parlement, c'est que la prolongation des réacteurs nucléaires au-delà de quarante ans n'est nullement acquise. Sachant où en est la situation des nouveaux réacteurs nucléaires, que vous avez rappelée il y a un instant, nous sommes en effet devant un sujet majeur. Si jamais les réacteurs ne peuvent être prolongés ou qu'une partie importante de ceux-ci ne peut être prolongée, un véritable problème de production d'électricité peut se poser au pays. Je pense que cette question doit être mieux appréhendée aujourd'hui par les pouvoirs publics. La loi de transition énergétique peut y contribuer, mais je pense que l'urgence de la question qui se pose à nous n'est pas assez prise en compte.
Parmi les quelques sujets que je souhaitais aborder, le premier concerne la situation d'Areva. Vous l'avez évoqué, Areva est une grande entreprise française confrontée à des problèmes financiers et industriels importants, qui gère des installations parmi les plus dangereuses au monde, telles le centre de La Hague. Dans ces conditions, la question qui peut évidemment se poser est de savoir si les problématiques de sûreté ne risquent pas de devenir la variable d'ajustement des politiques financières d'Areva. J'ai bien compris que vous allez rencontrer la direction d'Areva pour discuter de ce sujet et j'en suis heureux parce que, lorsqu'on évoque des suppressions de personnels, on se dit que, éventuellement, cela peut entraîner des surcharges pour ceux qui restent et des difficultés pour assurer leurs missions. Quand on sait les investissements qui sont nécessaires, suite aux évaluations complémentaires de sûreté post-Fukushima, et le calendrier prévu pour ces chantiers, l'objectif sera-t-il tenu ? Vous évoquez le sujet des déchets à reconditionner qui n'a pas été traité depuis vingt ans pour une raison de coût. Évidemment, en période financière difficile, on risque de se retrouver dans une situation où l'entreprise va arguer de l'insuffisance de ses moyens. Par ailleurs les installations de La Hague vieillissent. Et puis, pour la première fois, vous évoquez dans votre rapport la question de la saturation des piscines de stockage des déchets de combustibles usés. Qui dit saturation dit également nécessité d'investissements supplémentaires pour stocker. Là encore, il s'agit de coûts faramineux. Il s'agit donc d'un sujet préoccupant, compte tenu de la situation financière de cette entreprise.
Deuxième sujet, celui de l'EPR. Je vous remercie de ce que vous avez dit de façon très claire sur la cuve de l'EPR de Flamanville. Mais cela m'amène forcément à une question : au cas où vous constateriez que vous n'avez pas cette conviction forte de pouvoir autoriser l'utilisation de cette cuve, sera-t-il possible de la changer ? Quelles en seraient les conséquences en termes de coût et de calendrier ? Certains articles indiquent que ce serait impossible, car il faudrait tout détruire autour. J'aimerais avoir votre sentiment sur ces difficultés, y compris pour d'autres réacteurs EPR, puisque les cuves des deux réacteurs de Taishan ont été forgées dans les mêmes conditions. Une alerte a été transmise à son équivalent chinois par l'ASN. On peut donc imaginer que ces deux réacteurs chinois doivent subir les mêmes conséquences. Qu'en est-il pour les cuves d'Hinkley Point, qui auraient déjà été forgées dans les mêmes conditions ? Il est vrai que la situation est différente, puisqu'elles ne sont pas installées et les contrats pas encore signés. Pour une facture déjà chiffrée à 35 milliards, s'il faut refaire d'autres cuves cela pose question. Ne faudrait-il pas déjà vérifier qu'un EPR pourra un jour fonctionner avant de signer d'autres contrats ?
Le troisième sujet que je voulais évoquer est celui plus général des cuves des réacteurs français. L'IRSN a rendu publique, il y a quelques semaines, une étude montrant que lorsqu'on examine les conséquences d'un accident nucléaire majeur – et vous avez dit à plusieurs reprises qu'on ne peut pas l'exclure en France – on ne saurait garantir le maintien du corium issu de cet accident dans la cuve que pour un réacteur de moins de 600 MW. Or tous les réacteurs français font au moins 900 MW. Cela signifierait donc que l'on ne saurait garantir le maintien du corium dans la cuve des réacteurs nucléaires français. Confirmez-vous cette analyse de l'IRSN ? Ma deuxième question relative aux cuves découle de ce qui se passe de l'autre côté de la frontière, en Belgique, où des réacteurs sont arrêtés en raison de problèmes liés aux microfissures qui commencent à devenir des macro-fissures de plusieurs centimètres, qui ont conduit Electrabel à faire des tests sur le vieillissement des cuves, suite au bombardement neutronique. Ils ont fait des tests sur les cuves affectées, dont l'évolution n'est pas conforme à celle prévue. Ils les ont faits aussi sur des cuves, analogues aux cuves françaises. Et ils ont constaté que le vieillissement de ces cuves ne correspondait pas et était plus rapide que ce qui était attendu. L'ASN a-t-elle eu connaissance de ces éléments et a-t-elle commencé à les examiner ? Quelles conséquences en tirez-vous pour les cuves de nos propres réacteurs en France, par rapport au passage de l'échéance des quarante ans ?
À propos de la centrale de Fessenheim, je voulais vous poser deux questions, parce qu'on entend beaucoup de choses à son sujet, et notamment que cette centrale serait déjà aux normes post-Fukushima, pour dire qu'il ne faudrait pas la fermer. Or, j'ai aussi noté les propos de M. Thomas Houdré, directeur chargé des centrales nucléaires à l'ASN, qui indique que, en termes de complexité et d'envergure des travaux, l'essentiel est devant nous. Est-ce que vous confirmez ces éléments sur le post-Fukushima, de façon à ce que la représentation nationale soit bien éclairée sur le fait que les investissements nécessaires n'ont pas été réalisés pour permettre de considérer que Fessenheim est au standard post-Fukushima.
Toujours sur Fessenheim, je voudrais revenir sur l'incident intervenu le 28 février 2015 et qui a fait l'objet d'une lettre de suite particulièrement directe de la part de l'ASN à destination d'EDF. Je rappelle qu'un « défaut d'étanchéité », comme l'a qualifié EDF, a conduit à ce que de l'eau non contaminée, mais d'un volume supérieur à 100 mètres cube, se déverse dans la salle des machines. Dans cette lettre de suite, vous indiquez notamment que l'ASN demande que soient indiquées les raisons pour lesquelles des informations contraires ont été communiquées aux inspecteurs de l'ASN. Ce qui veut dire – si je lis bien le français – qu'EDF a menti. Évidemment, c'est particulièrement grave. Qu'il y ait des défauts et des difficultés, toutes les industries en rencontrent. Mais dire explicitement – je ne pense pas que vous l'ayez indiqué par hasard – qu'EDF aurait menti à l'ASN… Quelles conséquences en tirez-vous, quant à la capacité à faire confiance à l'exploitant des installations nucléaires ?
Sur la question de la coopération internationale et des accidents nucléaires que vous avez évoquée à la fin de votre intervention, vous avez dit que vous avez avancé avec vos collègues étrangers, au travers de WENRA, et vous indiquez, à la page 27 de votre rapport, que c'est une priorité de l'ASN que d'harmoniser avec nos voisins les dispositifs en matière de réponse à un éventuel accident. La question que je voudrais vous poser porte sur la nécessité d'une remise en cause des périmètres des plans particuliers d'intervention (PPI). Faut-il les fixer à 20 kilomètres, comme semble le suggérer le travail que vous avez fait avec WENRA ? Faut-il les étendre à 80 kilomètres, comme l'a proposé l'ANCCLI, l'association nationale des CLI ? Ou bien faut-il, comme les Japonais – dont on peut considérer malheureusement pour eux qu'ils ont une expérience certaine des conséquences d'un accident nucléaire majeur – prévoir par avance des plans d'évacuation à au moins 30 kilomètres, puisque, aujourd'hui, au Japon, un réacteur nucléaire ne peut pas redémarrer si un plan d'évacuation n'a pas été préalablement mis en place dans un rayon 30 kilomètres. Ce qui est vrai au Japon ne devrait-il pas l'être aussi en France si l'on veut assurer la sécurité de nos concitoyens ?
En ce qui concerne la gestion des déchets nucléaires, je voudrais évoquer la situation de ceux de Taiwan qu'il est question d'accueillir à La Hague, site dont les difficultés ont été précédemment évoquées. Dans le cadre des problèmes rencontrés par Taiwan avec le parc nucléaire, il est envisagé d'envoyer en France pour retraitement des déchets qu'on ne sait pas, dans les faits, où stocker. Il est plus facile de les stocker en France. En fin de compte, on pourrait imaginer – c'est ce qu'on peut lire – que l'uranium et le plutonium qui sortiraient de ce retraitement restent en France. Est-ce que cela vous semble conforme à la législation française qui dit que les déchets nucléaires doivent rester dans leur pays d'origine ?
Vous avez dit à quel point vous étiez sceptique sur les avancées en matière de coopération internationale. Or, on parle beaucoup d'exportation de matériel nucléaire français à l'étranger, même dans des pays tels que l'Arabie saoudite, dont on se dit que, vu leur profusion énergétique, s'ils s'intéressent aux centrales nucléaires, ce n'est pas forcément à des fins civiles. Mais vous ne pourrez pas forcément vous exprimer sur cette question. Une question qui se pose pour ces exportations, c'est que, dans le cadre de la loi Macron, une disposition a été insérée qui vise à ce que l'ASN puisse certifier qu'un réacteur nucléaire exporté par la France est conforme en matière de sûreté. J'aimerais avoir votre avis sur ce dispositif, s'il a été concerté avec l'ASN préalablement et si vous estimez qu'on peut donner un label à une centrale nucléaire pour son exportation, indépendamment du contexte de sûreté et de sécurité du pays destinataire.
Enfin, mon ultime question concerne le problème des drones. On n'en parle plus, peut-être parce qu'ils sont moins nombreux à survoler les centrales ou qu'on ne nous dit pas tout. L'OPECST avait pris l'initiative d'une réunion importante sur ces questions. Je crois qu'on avait même posé la question de savoir si notre pays était, ou non en guerre. J'ai l'impression que les événements de ces derniers mois confirment que notre pays est bien en guerre contre des gens qui ne sont pas dotés des meilleures intentions et qui ont fait la démonstration, sur TV5 Monde, qu'en matière de piratage ils avaient commencé à se doter d'outils technologiques qui pouvaient faire peur. Sur cette question des drones, vous aviez indiqué lors de cette réunion que, suite notamment au rapport de M. John Large qui avait été transmis à un certain nombre d'interlocuteurs, dont vous-même, et qui évoquait un certain nombre de scénarios, vous organiseriez une rencontre pour débattre de ces hypothèses de façon à les confronter et pouvoir donner l'avis de l'ASN, tout cela n'ayant évidemment pas vocation à se retrouver sur la place publique, parce qu'il ne s'agit pas de donner à des personnes mal intentionnés des idées précises sur ce qu'ils pourraient faire. Mais est-ce que cette réunion a eu lieu ou est-ce qu'elle a été programmée ?