Intervention de Pierre-Franck Chevet

Réunion du 15 avril 2015 à 13h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Pierre-Franck Chevet, président de l'Autorité de sûreté nucléaire :

Pour donner une réponse claire, il faudrait connaître précisément l'avancement du chantier. Pour comprendre ce qu'il sera nécessaire de démonter, il faut éventuellement interroger EDF et Areva.

La question centrale du refroidissement d'un coeur fondu dans la cuve, objet de l'avis très intéressant rendu par l'IRSN en début d'année, renvoie à des conceptions quelque peu différentes suivant les types de réacteurs. L'idée centrale est que si l'on n'a pu éviter une fusion du coeur, le meilleur moyen consiste à le refroidir lorsqu'il est encore en cuve, sous réserve d'avoir à disposition l'appoint d'eau qui a justement fait défaut, puisqu'il y a eu fusion. L'idée serait de récupérer de l'eau et de laisser refroidir le coeur fondu dans la cuve. Ce serait la meilleure parade. Sur les réacteurs actuels, cette parade n'existe pas. Il y a un certain nombre de dispositions, dans le cadre du post-Fukushima qui visent à prévenir justement cette situation, en ayant dans le « noyau dur » la capacité de refroidir le circuit primaire et le coeur, via les générateurs de vapeur, ce qui va dans le bon sens par rapport au phénomène. Une alternative, en l'absence de démonstration sur la capacité à retenir le coeur fusionné en cuve, consiste à prévoir des parades telles que celle qui existe sur l'EPR, permettant de le retenir une fois sortie de la cuve via un core catcher ou un dispositif équivalent. Cette question est vraiment centrale pour la construction de nouveaux réacteurs. Un certain nombre de réacteurs dans le monde ont pris le parti d'un refroidissement en cuve, y compris pour de fortes puissances, dépassant les 600 MW. Ce qu'exprime l'avis de l'IRSN, c'est que, de notre point de vue, nous avons un doute sur le fait que la parade soit opérante. Par ailleurs, d'autres pays, y compris la France, ont pris le parti de dire que comme on travaille sur des gammes de puissance relativement importantes, il convient de traiter le coeur une fois qu'il a traversé la cuve, faute d'avoir la démonstration absolue de notre capacité à le retenir dans la cuve. C'est cela l'enjeu de cet avis très important qui porte à la fois sur les réacteurs français existants et futurs et les réacteurs qui sont en train de se développer au niveau international. Dans les développements commerciaux du nucléaire, la cible considérée comme principale est justement celle des 1 000 MW. Si je résume l'état de nos connaissances, si, en dessous de 600 MW, nous sommes à peu près certains de pouvoir en revanche, refroidir, moyennant les bonnes dispositions, le coeur en cuve, au double de cette puissance nous sommes sûrs de ne pas pouvoir le faire. 1000 MW se situe juste dans la zone d'indécision, au sens scientifique. Donc l'avis de l'IRSN est particulièrement important pour éclairer tout un tas de sujets actuellement essentiels en termes de sûreté, y compris nos propres sujets sur la prolongation de durée de vie. L'EPR étant doté d'un tel système, nous avons demandé à EDF ce qui pouvait être fait sur les réacteurs du parc pour avoir la même fonctionnalité en cas d'accident.

Pour les cuves belges, il ne s'agit pas du même type de défaut que sur l'EPR mais clairement de fissures. En revanche, ce que les derniers essais ont montré, c'est qu'il y avait sur ce type de matériau une fragilisation plus rapide que ce que prévoient les modèles. Un acier sous irradiation peut se fragiliser dans la durée. C'est modélisé et un certain nombre de formules permettent de le prévoir. Nous avons dans les cuves des réacteurs français, au droit du coeur, des échantillons de métal de la cuve qui vivent une irradiation justement plus forte que ce que vit le métal de la cuve et qu'on extrait régulièrement, pour vérifier que la fragilisation se passe comme prévu. Il y a un plan de vérification systématique, un peu en avance sur le temps d'irradiation des cuves, qui permet justement de s'assurer qu'on n'a pas de phénomène de ce type. Ce que les experts belges semblent avoir identifié, c'est un cas de figure où les formules de fragilisation ne fonctionnent pas, assez nettement dans le mauvais sens. J'en ai discuté récemment avec mon homologue belge et il semble qu'il existerait une explication à cette divergence. Ils ont reprogrammé un certain nombre d'essais pour mieux la comprendre. Nous sommes évidemment très attentifs aux résultats de leurs investigations car, si les formules ne sont pas bonnes, pour l'instant on n'a aucun signal sur les échantillons régulièrement sortis qui confirment l'évolution des cuves françaises. Malgré tout, il faut pouvoir comprendre l'origine de ce type de phénomène pour pouvoir l'exclure totalement sur les cuves françaises. On sera donc très attentif à leurs résultats.

Pour Fessenheim, je confirme que la centrale n'est pas au niveau post-Fukushima. Du moins la source froide – Thomas Houdré le confirmera – est, quant à elle, pratiquement au niveau post-Fukushima. Une source froide robuste a, en effet, été installée dans un local distinct et protégé. Pour le reste des mesures, ce n'est pas le cas. Il faudra donc le faire si la centrale est encore en fonctionnement.

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